069 Désertion ?
C'est avec plaisir que Steve aurait pu retrouver sa maison, après une journée de travail harassante. Malheureusement, il était tendu en se rappelant ce qu'il devait annoncer à Christa. Il se dirigea vers la terrasse où il trouva sa compagne, confortablement allongée sur un relax, un livre à la main. Elle s'était installée sous le cerisier, et des tâches de soleil dansaient sur sa robe. Il était impossible d'ignorer son état de future mère qui, au delà de la déformation de son corps, lui procurait une sorte d'aura. Steve s'arrêta pour la contempler de loin. Il sentait une crampe lui torturer le ventre. Elle était si belle ainsi. Il savait qu'il allait un peu la trahir, et se demandait ce qui alimentait le plus sa culpabilité : la laisser seule, ou ne pas être là au moment le plus important. Et si c'était lui qui, en définitive, était le plus puni ?
Elle lui sourit. Il s'approcha et se pencha au dessus d'elle pour l'embrasser puis, à travers le tissu, il déposa un baiser sur son ventre distendu.
— Alors mon amour, comment te sens-tu ?
— Quand je ne fais rien, c’est parfait.
— Mais je t’interdis de faire quelque chose !
— Je ne suis pas en sucre quand même. Tu sais que j'ai toujours besoin de bouger.
— Pour une fois, il n'en est pas question. Tu oublies tout, et tu reste concentrée sur la seule chose qui est importante.
Il lui caressa le ventre doucement. Elle rit.
— Très bien, mon seigneur et maître, j'obéis. Et toi, comment vas-tu ? La journée s'est bien passée ? Quoi de neuf au boulot ?
Un pli de contrariété barra le front de Steve.
— Je dois absolument faire un saut sur Tenbridges pour mettre en place l’équipe.
— Mais je vais bientôt accoucher ! Tu ne peux pas déléguer ?
Un sentiment de panique avait saisi Christa.
— Impossible. Le client exige ma présence. Et tu sais ce que cela représente comme contrat. Je vais tâcher de me libérer au plus vite. Dans quinze jours je serai de retour.
— Ça risque d’être trop tard.
Steve lui caressa doucement le ventre.
— Non, notre petit bout de chou va attendre gentiment que son papa soit rentré pour pointer son petit nez.
— Tu crois que ça marche comme ça toi ?
Steve poussa un soupir.
— Non, mais je t’assure, je n’ai pas le choix. L’activité n’a pas été importante ces derniers mois, et tu sais ce que m'a coûté la maison. Les traites de la banque tombent, même si je n’ai pas de contrat. Ce client constitue une opportunité à saisir absolument.
— Je sais, mon chéri. Moi aussi je suis chef d’entreprise, je connais bien ce genre de situation. Fais ton travail, et ne te fais pas de soucis pour moi. Je vais prendre beaucoup de repos et tout se passera bien, et après ton retour bien sûr.
Elle fit un effort pour ne pas laisser paraître son désarroi. Steve sembla s'en contenter.
— Je t’aime. Tu es formidable.
En vérité, l'acceptation trop facile de sa compagne l'emplissait de confusion. Il ne se sentait pas à la hauteur. Ce sentiment, il ne l'avait jamais éprouvé, même à la veille de ses missions les plus incertaines. Il ne pouvait pas non plus ne pas avoir remarqué le changement dans les yeux de Christa : son regard serein s'était empli de nuages. Tristesse ou anxiété, il ne savait le dire. Ce fut elle qui repris la conversation, peut-être pour chasser le malaise naissant entre eux.
— A propos du bébé, j’aimerai que nous lui trouvions un parrain et une marraine.
— Mais nous ne sommes pas croyants, et encore moins pratiquants !
— Ça n’a rien à voir. Cela se fait même chez les non-croyants. Le parrain et la marraine sont là pour apporter un petit plus sur le plan de l’éducation et de l'affectif pour l’enfant. C'est aussi une façon de resserrer les liens avec des personnes que l'on apprécie. Enfin, ils peuvent aussi se substituer aux parents en cas de malheur, servir de tuteur à l’orphelin éventuel.
Steve fit une grimace à l'énoncé de cette possibilité morbide.
— Et bien ça ne te rends pas gaie d'être enceinte !
— Ce n’est pas triste de prévoir l’avenir de son enfant, dans tous les cas de figure. Et c’est notre devoir.
— Et tu as des noms à me proposer, je suppose ?
— Oui. Comme parrain je pensais à Hugues…
— Milton ?!
Steve avait failli s’étrangler. Il s'insurgea.
— Tu n’es pas sérieuse ?
— Si. Tu ne vas pas débarquer avec tes préjugés machos !
— Non, mais je te rappelle que tu as parlé, il y a deux minutes, d’un petit plus pour l’éducation. Alors admets que je m’inquiète.
— Écoute : tu es un homme d’action. Avec toi, notre enfant sera formé aux efforts physiques, au sport, à tout ce qui est bon pour la santé. Moi je suis plutôt scientifique. Je pourrai l’aider dans ses études. Hugues pourrait lui apporter sa sensibilité artistique, sa connaissance de la littérature, la peinture, la musique. A nous tous nous pourrions faire de lui ou d’elle une personne parfaitement équilibrée.
— Une fois de plus, tu me présentes la situation de telle façon que je ne puisse rien opposer.
— Tu sais, dans mon état je passe beaucoup de temps à me reposer, ce qui me permet de penser.
— Et pour la marraine ?
— Hugues est de mes amis. Ce serait bien que la marraine vienne de ton coté à toi.
— Hum…Je ne vois pas trop. Je n’ai pas beaucoup de femmes dans mon entourage…excepté bien sur mon adorable compagne.
— Flatteur. Pour la marraine on en reparlera. Embrasse-moi.
Il s'exécuta sans se faire prier plus. Puis il se redressa et se tourna vers la maison.
— Je vais préparer le repas. Repose-toi encore un peu.
Elle le regarda s'éloigner. Il devait se sentir coupable pour proposer ainsi ses services. D'habitude, elle devait le soliciter plusieurs fois avant qu'il obtempère. Elle repensa à son absence prochaine. Pourquoi n'avait-elle pas essayé de le retenir ? Elle n'avait pas la réponse à cette question. Peut-être avait-elle senti l'inutilité de la démarche. Depuis qu'ils vivaient ensemble, il lui parlait facilement de son travail. Il lui demandait même souvent conseil avant de prendre une décision. Mais ici il la mettait devant le fait accompli. Au delà de l'inquiétude de se retrouver seule au moment crucial, elle se sentait blessée moralement par la défection de son compagnon.
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