Steve déverrouilla son fusil et envoya une rafale vers la cible représentant une silhouette humaine. Elle fut coupée en deux.

Il présenta l’arme à Erin.

   — Légère, faible recul, idéale pour le tir d’instinct, sans viser. Son seul défaut : un chargeur de faible capacité. C’est une arme excellente. Elle est fabriquée sur Tenbridges.

   — J’irai rendre visite au concepteur.

   — Il a un stand de tir superbe. Comme on est des clients potentiels, il te laissera t’y entraîner.

Ils retraversèrent la cour en direction du bâtiment.

   — Bon. Je te confie l’équipe. Le maître mot de la mission c’est : dissuasion. Dissuasion avec les systèmes d’alarmes, dissuasion avec la présence d’hommes en arme aux endroits stratégiques, etc..

   — Pas de problème, ne te fais pas de soucis.

Le regard de Steve se perdit dans le vide. Il soupira avant de reprendre :

   — Tu ne peux pas savoir comme j’ai hâte de retrouver Christa et le bébé.

   — Si, j’imagine bien au contraire. Tu sais, je suis allé leur rendre visite à la maison du bébé.

Steve fit deux pas sans rien dire, attendant la suite.

   — Elles sont en forme toutes les deux. Steve, tu as une chance pas croyable. Occupe-toi bien de ta famille. C’est plus important que le boulot.

   — On dit ça, mais ce n’est pas si simple. J’étais obligé d’aller à Tenbridges, tu le sais bien.

   — Je sais surtout que tu avais la trouille de l’accouchement, comme beaucoup d’hommes.

Steve faillit répliquer vertement, mais il se retint. Erin continua.

   — Tu dois te faire pardonner ton absence. Elle ne t’en fera pas le reproche, mais enfin tu n’étais pas là.

Ils pénétrèrent dans le bureau en silence. Steve pris son attaché-case et le tendit à Erin.

   — Il y a tout dedans. Le code d’ouverture est 4357.

Erin saisit la sacoche mais resta plantée devant lui.

   — Elle m’a demandé d’être la marraine de votre fille.

Steve fronça les sourcils.

   — Elle m’a proposé ça après que je lui ai confié que je ne pourrai pas avoir d’enfant.

   — Tu ne lui a pas dit tes sentiments pour elle ?

   — Non.

   — Elle ne s’en doute pas ? Elle est pourtant très futée.

   — Je ne pense pas. Pour elle je suis une chic fille , elle veut que l'on soit amies, un point c’est tout.

   — Tu vas accepter ?

   — Vu le contexte, j’aimerais déjà savoir ce que tu en penses.

Steve poussa un gros soupir.

   — Pendant quinze jours sur Tenbridges j’ai eu le temps de réfléchir. Et effectivement, j’ai aussi pensé à toi comme marraine.

   — Mais enfin, est-ce que j’ai une gueule de marraine ? Qu’est-ce que vous avez tous les deux ?

   — Je vais t’expliquer mon idée. C’est elle qui a évoqué qu’en cas de disparition des parents biologiques, le parrain et la marraine pouvaient devenir les tuteurs de l’enfant. Moi j’ai pensé un peu différemment. Mon métier est dangereux. Je peux disparaître et les laisser seules. J’ai envie qu’elles aient quelqu’un sur qui compter pour les protéger. Et je dis bien elles au pluriel. Et je ne vois que toi dans ce rôle. J’ajouterai que, dans mon ego de mâle imbécile, je préférerais savoir Christa dans tes bras plutôt que dans ceux d’un autre homme. Voilà, tu sais ce que je pense. Ah non, j’oubliais un détail : en attendant que je disparaisse, j’aimerais que tu te cantonnes dans le rôle de marraine exclusivement. Tu vois ce que je veux dire ?

   — Bien sûr.

Erin avait baissé la tête, pensive. Steve se mépris et rajouta:

   — Je sais que je te demande beaucoup, trop sans doute. Dans ce cas là refuse. Je ne t’en voudrais pas.

   — Décidément, vous avez le don de dire la même chose tous les deux sans vous concerter : « si tu refuses, je ne t’en voudrais pas ». C’est à peu de chose prêt ce qu’elle m’a dit. C’est vrai que tu me demandes beaucoup, mais tu demandes toujours beaucoup à tout le monde. Depuis que l’on bosse ensemble j’ai toujours accepté tes missions. Je prends celle-là comme les autres, même si elle m’est particulièrement dure. Au fait, tu n’as pas peur que j’ai envie de me débarrasser de toi ?

Steve la regarda dans les yeux.

   — Ça fait partie des possibilités. Personne n’est cent pour cent fiable. Mais il y a des risques calculés.

   — Au fait, une dernière question : qui est le parrain ?

Steve lui jeta un regard amusé.

   — Hugues Milton.

   — Mais il est aussi...

Il opina du chef, la regardant ironiquement. Mais une fois la surprise passée, elle ne sembla ni amusée ni choquée par la situation, comme si elle allait de soi. Sa réponse surprit Steve :

   — Là aussi, c’est le meilleur choix possible.

   — Que veux-tu dire par-là ?

   — Tu en sauras beaucoup plus dans une heure ou deux.

Steve referma doucement la porte de la chambre. Il respira profondément, comme s’il était resté longtemps en dette d’oxygène. Il allait s’élancer dans le couloir, lorsqu’il vit quelqu’un venir dans l’autre sens. Il reconnut Hugues Milton. Il ne s’était jamais senti à l’aise avec le jeune homme, à cause de ses préférences sexuelles. Il avait toujours peur de faire un impair, lâcher un mot blessant sans le vouloir, trop habitué aux blagues machistes des soldats. Et puis maintenant, il était jaloux du rôle qu'il avait pris dans l’accouchement de sa femme, même si ,au fond de lui, il devait reconnaître que sa présence avait été une bonne chose. Mais se retrouver en face de lui si vite, sans avoir eu le temps de s’y préparer, le déstabilisait.

   — Bonjour Hugues.

   — Bonjour Steve. Comment va l’heureux père ?

   — Je n’ai pas encore réalisé. Se trouver en face de sa fille ça fait drôle la première fois.

   — Elle est mignonne n’est-ce pas ?

   — Heu...oui, bien sûr. Au fait, je voudrais te remercier d’avoir aidé Christa en mon absence.

Hugues haussa les épaules, mal à l’aise.

   — Tu sais, Christa pour moi c’est comme une sœur. C’était naturel de l’aider. Il n’empêche que ce sera un sacré souvenir. J’espère que tu n’es pas fâché…

   — J’aurais dû être là. Je réalise maintenant combien j’ai eu tord. On reparlera de ça plus tard. Je suppose que tu veux les voir.

   — Elles ne sont pas trop fatiguées ?

   — Non. La petite dort, et Christa fait ses bagages. Je reviens les prendre dans une heure.

Steve remarqua un petit paquet dans les mains de Hugues. Celui-ci suivit son regard et sourit.

   — Je voulais être le premier à lui offrir un jouet, même si elle est encore trop petite pour s’en servir. Tu sais, une petite girafe facile à manipuler, que le bébé peut sans risque porter à sa bouche. Un cadeau qui a des siècles, mais qui ne s'est jamais démodé.

Steve eu un pincement au cœur. Décidément, il était en dessous de tout. Il n’avait pas pensé une seconde à apporter quoi que ce soit, ni à la fille ni à la mère. Il faillit faire demi-tour pour aller s’excuser auprès de sa compagne. Mais la présence de Hugues le retint.

   — Très bonne idée. Vas-y, on se reverra bientôt.