090 Jour d'orage
Le quatorzième anniversaire de Christina se déroula en petit comité. Celia et Andrew avaient déménagés. Ils vivaient maintenant sur une autre planète. Quand à Ben et Ania, ils étaient brouillés avec les Maroco. Les deux hommes avaient eu un différent en affaire. Steve avait fait un devis pour une prestation que lui avait demandé son ami, en cherchant un juste équilibre entre qualité et coût. Mais Ben en avait demandé un autre à un concurrent qui, bien sûr, avait cassé les prix au dépend de la qualité. Depuis, Ben traitait Steve de voleur, en pensant que celui-ci avait voulu l'escroquer. Quand à Steve, il ne pardonnait pas à Ben de ne pas avoir eu confiance en le mettant en concurrence, et le traitait d'imbécile de ne pas s'être aperçu du manque de sérieux de son prestataire. Du coup, seuls le parrain et la marraine étaient invités.
Maintenant, Christina était assez grande pour que l'examen de ses cadeaux ne lui perturbe plus l'appétit, aussi est-ce à l'apéritif qu'ils lui furent offerts. Le ciel, comme souvent au dessus de la ville d'Ursianne, n'était pas de la partie, et l'orage menaçait. De gros nuages noirs avaient progressivement envahis le ciel. La lumière était crépusculaire, bien que l'on soit en milieu de journée, et l'air était étouffant, le vent étant tombé. Par prudence, les convives s'étaient retranchés sous la véranda, dont on avait seulement ouvert les baies vitrées.
Le parrain et la marraine sentirent tout de suite que l'orage ne menaçait pas seulement dans le ciel. Christa et Steve évitaient soigneusement de s'adresser la parole, et même de se regarder. Quand à Christina, elle ne manifestait qu'un enthousiasme de façade devant ses cadeaux, pourtant choisis avec soin.
La maîtresse de maison s'interrogea à voix haute :
— Je me demande s'il ne serrait pas plus agréable de manger à l'intérieur. Ici, nous sommes à l'abri de la pluie, mais il fait lourd. Là-bas nous pourrions mettre la clim.
Steve jeta un regard ennuyé au ciel et grommela sans la regarder :
— Encore une journée de fichu, rentrons.
Christa commença à ramasser les couverts, pour les transférer dans la salle à manger. Évidemment, Erin avait bondit de son fauteuil pour lui donner un coup de main, et Christina avait suivi. Steve, par contre, ne fit pas mine de bouger. Hugues, gêné, proposa de les aider.
Steve haussa les épaules.
— Elles y arriveront bien toutes seules.
Comme sa compagne revenait pour ramasser les assiettes il rajouta d'une voix plus haute que nécessaire:
— De toutes façons, nous les hommes faisons toujours les choses de travers.
Christa lui jeta un regard mauvais mais continua le transfert sans intervenir dans la conversation. Hugues essaya de parler d'autre chose, en prononçant le genre de phrases bateaux qui meublent les silences.
— Et ton boulot, ça marche ?
— Tu parles, depuis que Ben est passé à la concurrence, la confiance s'effiloche chez mes autres clients.
Il retomba dans sa bouderie sans avoir la politesse de retourner la question à son interlocuteur.
Après de tels préliminaires, le repas se transforma vite en corvée pour tout le monde, malgré les efforts persistants du parrain à relancer périodiquement la conversation languissante.
Arrivés au dessert, Christa alla chercher une bouteille de champagne qu'elle posa sur la table devant Steve, sans rien dire. Il fit semblant de ne pas la voir. Erin, agacée, s'en empara.
— Tu vas voir, ouvrir les bouteilles de « champ », c'est ma spécialité.
La détente du gaz lorsque le bouchon sortit du goulot émit un bruit qui ravit d'habitude les convives. Christa avait placé les flûtes et s'empara de la bouteille.
— Laisse-moi faire le service. Si je m'y prends bien, je pourrai te servir la dernière goutte. Ainsi, comme le veut la tradition, tu te marieras peut-être dans l'année.
Hugues éclata de rire, et Tina eu un petit sourire. Christa s'appliquait à remplir chaque flûtes en plusieurs fois, pour ne pas faire déborder le précieux breuvage, mais, alors qu'elle remplissait celle d'Erin, elle fit un faux mouvement et la renversa. La marraine fut un peu aspergée, et le cristal fragile éclata. Steve eut un geste de colère.
— P.... tu pourrais faire attention. Quelle maladresse ! Tu as même réussit à mouiller Erin. Lorsque l'on ne sait pas faire on s'abstient !
Christa était devenue livide. Elle resta une ou deux secondes la bouche ouverte, comme si elle n'arrivait pas à croire que Steve ai pu prononcer de telle paroles. Les larmes lui étaient montées aux yeux. Erin s'apprêtait à dire que ce n'était pas grave, lorsque la rage accumulé par Christa éclata brutalement.
— Tu ne dois pas savoir faire grand chose, parce que tu t'abstiens souvent. C'était à toi de t'occuper de ça, et tu restes le cul sur ta chaise comme un empoté que tu es.
— C'est facile de reporter sa faute sur les autres.
— C'est facile de ne pas faire d'erreur lorsque l'on ne participe à aucun travail dans la maison.
Hugues, remarquant que sa filleule avait les larmes aux yeux, la pressa de l'emmener dans sa chambre pour lui faire écouter ce qu'elle avait appris récemment au violoncelle.
Erin, n'ayant pas envie de se trouver au milieu d'un couple se déchirant, sortit de la salle à manger et s'assit dans la véranda. Une averse courte mais violente avait eu lieu pendant le repas, et avait rafraîchi l'atmosphère. La dispute finit par s'arrêter. Christa vint la rejoindre et s'assit à coté d'elle. Elle était très pâle, ses mains tremblaient un peu. Soudain elle fondit en larmes, la poitrine déchirée par des gros sanglots. Erin, peu habituée à ce genre de situation, ne savait que faire. Elle avait envie de consoler son amie, mais ne savait pas comment s'y prendre. Ou plutôt, elle n'osait pas avoir un geste tendre alors que Steve était à coté. Elle hésita longuement avant de lui prendre une main dans la sienne. Christa tourna vers elle un visage baigné de larmes, et lui fit un petit sourire d'excuse.
— Je suis désolée de te mêler à nos problèmes de couple. Tu étais venu participer à une fête et voilà...
— Ne t'occupe pas de moi. Tu sais que je suis ton amie. Ce que j'ai entendu me désole. Comment pouvez-vous vous disputer comme cela pour des futilités ?
— Je n'en peux plus, j'étouffe ici. J'ai l'impression de ne vivre que pour les autres, de ne pas exister moi-même.
— Tu n'aimes plus Steve ?
— Je ne sais pas. M'aime-t-il seulement lui ? Je voudrais tellement que les choses s'arrangent, qu'il s'intéresse un peu à ce que fais, ce que je ressens.
Elle poussa un profond soupir. Erin questionna à nouveau.
— Et Christina ?
— Ah, Christina ! Elle grandit, devient une personne... comment dire ? J'ai parfois l'impression qu'elle est déjà adulte. Je ne la comprends pas, nous n'arrivons pas à communiquer. Et puis, il y a sa satanée musique. Elle ne vit que pour son violoncelle. Ça va la mener où ? Mais je n'ai pas mon mot à dire : Hugues la pousse dans cette direction, et Steve est trop content d'avoir une occasion de me contrarier.
Erin resta silencieuse. Que pouvait-elle répondre ? Certes, Steve n'était pas clair. Cela faisait un moment qu'il fuyait ses problèmes familiaux dans le travail. Mais Christa n'était-elle pas un peu responsable elle aussi, trop autoritaire, trop décidée à faire entrer tout le monde dans des moules qu'elle leur avait fabriqués, au mépris de leur propre personnalité. Et puis, elle regrettait sûrement l'époque où elle était chef d'entreprise et risquait sa vie dans des puits de mine pourris. L'action lui manquait, et elle devait être jalouse que Steve en profite encore.
En partant, elle confia le résultat de ses réflexions à Hugues. Celui-ci approuva mais, en même temps, il remarqua qu'il était difficile de s'immiscer dans les problèmes d'un couple. De l'extérieur, on ne pouvait pas tout savoir sur ce qu'il se passait entre eux. Ce qu'il regrettait le plus, c'était l'effet délétère sur Christina. Il essayait de protéger sa filleule au maximum, mais c'était une bien faible compensation. Erin, elle, pensait surtout à Christa, et était révoltée qu'elle en soit réduite à supporter une telle situation.
Le lendemain, au travail, Steve était d'humeur massacrante. Il n'avait pas apprécié la réaction de sa compagne devant témoins. Sans qu' Erin ne lui demande rien, il déballa ce qu'il avait sur le cœur.
— Je ne sais plus quoi faire pour elle. Je lui ai tout donné, le nécessaire comme le superflu. Elle ne manque de rien, elle peut vivre comme une princesse. Mais plus elle en a, moins elle est contente !
— Crois-tu que le confort matériel soit suffisant pour une femme ?
Steve la regarda, surpris.
— Tu vas encore me reprocher de trop travailler, de ne pas être assez présent chez moi. Crois-tu que je puisse en avoir envie, vu comme cela se passe ? Elle aurait mieux fait d'épouser un rond de cuir.
— Oui, mais c'est toi qu'elle aimait.
— C'était il y a longtemps.
— Ne soit pas cynique. Elle t'aime encore, j'en suis sûre. Mais ce n'est pas en fuyant le problème, que tu vas le résoudre. Je crois te l'avoir déjà dit.
Steve lui jeta un coup d'œil et soupira.
— Tout va mal en ce moment. A la maison, cela devient invivable. Certains jours ça va, j'ai l'impression que ça recommence comme avant. Et puis patatras, pour un rien tout dégringole. Au boulot ce n'est pas mieux. Non seulement Ben m'a préféré un charlot qui déshonore le métier, mais ce mec en a tellement raconté sur moi qu'il est prêt à me faire un procès. Si ça continue, tu auras place libre, autant sentimentalement que professionnellement.
— Ce n'est pas le genre de réflexion que j'apprécie. Ce que je veux, je me l'offre moi-même, tu sais très bien que c'est ma devise. Alors démerde-toi pour garder et la femme et le boulot, et compte sur moi pour te botter le cul chaque fois que tu le mériteras.
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