2.1.2

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La jeune lady poussa la porte à minuit et demi, toute fardée dans sa robe de soirée aux drapés givrés, embaumant le parfum et le tabac à plein nez. L’appartement lui parut désert, le silence régnait, elle songea que Theo ne devait pas être rentré. Sans s’inquiéter, elle accrocha dans l’entrée sa bourse nacrée, sa cape de chantilly et son petit tambourin de feutre gris, puis elle s’aventura au salon. Elle appuya sur l’interrupteur, se retourna, tomba nez à nez avec un regard meurtrier et poussa un cri de frayeur. Theo s’était glissé en embuscade derrière elle et l’attendait. Alice blêmit. Son rythme cardiaque accéléra au lieu de ralentir. Elle reconnaissait sur le visage de son frère les traits durs de la colère. La bouteille de whisky qui trônait sur le buffet augurait le pire et confirmait ses craintes.

« Liam, que fais-tu dans le noir ? Tu m’as fait une peur bleue !

— Où étais-tu ? demanda-t-il d’un ton cinglant.

— Où j’étais…

— Oui ! rugit à bout de nerf Theo. D’où est-ce que tu sors ? Bordel ! Où est-ce que tu as été traîner ?

— Au cinéma…

— Avec qui ?

— Avec Rezia. Un de ses amis et un autre type nous ont invités.

— Un ami de Rezia ? Tu rigoles, j’espère ! Tu étais avec cette putain et un client de cette putain, maquillée comme une vraie salope ! Tu te fiches de moi, là ! »

Theo empoigna le visage de sa sœur d’une main et frotta de l’autre le rouge tapageur qui enluminait ses lèvres, mais le maquillage ne fit que s’étaler davantage et empourpra le pourtour de sa bouche, laissant une traînée écarlate sur le blanc diaphane de sa joue gauche. Theo la lâcha et partit en trombe dans sa chambre. Elle suivit son mouvement.

« C’était juste une sortie au cinéma, rien de plus, se justifiait-elle. Je ne les reverrai même pas !

— C’est assez que tu sois sortie avec une prostituée et son client ! Franchement Alice, qu’est-ce qu’il t’a pris d’accepter leur invitation ?

— Parce que je voulais aller au cinéma ! C’est tout ! Je n’étais jamais allée dans une vraie salle de cinéma comme il y en a ici ! J’y aurais été seule si tu ne m’avais pas ôté mon argent… Liam, qu’est-ce que tu fais ? Eh, arrête ! »

Theo s’était rué vers la coiffeuse. Il éventrait les tiroirs et fouillait leur contenu pour en arracher tous ses produits de beauté qu’il jetait avec rage sur le lit.

« Je te confisque ton maquillage. Tu n’es qu’une gamine. Tu n’en as pas besoin. Et certainement pas pour traîner à minuit dans les rues.

— C’est bon ! Arrête ! implora-t-elle. Je vais te donner tout ce que j’ai mais ne prends pas tout ! Laisse-moi au moins les huiles essentielles que Mrs Horowicz m’a données ! »

Alice ne songea pas à duper son frère ou à lui désobéir d’une quelconque façon. Dans l’espoir de s’en sortir à moindres frais par une attitude conciliante, elle lui remit tout son nécessaire de beauté, puis s’installa devant le miroir de la coiffeuse et frotta les traces de maquillage sur son visage à l’aide d’un linge imbibé d’huile d’amande douce. Theo s’assit sur le lit et déclara :

« À partir d’aujourd’hui, je veux que tu sois rentrée au plus tard à cinq heures et demie, que je sois là ou pas. Et tu as intérêt à être là quand je rentre ! Compris Alice ?

— Si tôt ? geignit la jeune lady. Et comment suis-je censée faire pour manger ?

— Je parlerai aux Menard, trancha Theo. Tu souperas chez eux tous les soirs, et je leur demanderai à quelle heure ils t’ont servie. Alors, j’espère que tu as retenu. À quelle heure dois-tu être au plus tard, ici ?

— Cinq heures et demie.

— Bien. Maintenant, dis-moi où vous êtes allés après le cinéma !

— Comment ça ?

— N’essaie pas de mentir. Il est plus de minuit. Le cinéma est fermé depuis longtemps. Je veux savoir ce que tu as fait ensuite.

— Nous sommes allés prendre un verre dans un pub…

— Après la fermeture ? En lock-in ? Bon sang, Alice ! s’exaspéra son frère. Qu’est-ce que tu as dans le crâne ? Tu n’imagines pas à quel point j’ai envie de te gifler. Tu as seize ans et tu sors dans un bar avec une prostituée et son client ! As-tu l’intention de devenir une putain toi aussi ? C’est un miracle que ces hommes ne t’aient pas tenté d’aller plus loin !

— Ils l’ont fait, mais je leur ai dit que mon prix était trop élevé pour eux, et Rezia connaissait le patron du pub. Il m’a aidée.

— Tu es folle ! Tu as été chanceuse, cette fois, mais ce ne sera pas toujours le cas. Quelqu’un finira par abuser de toi !

— Je pourrais me défendre si tu ne m’avais pris le revolver ! »

Theo pouffa de rire et railla :

« Que crois-tu faire avec une arme ?

— Je n’ai pas besoin de ta force pour tirer.

— Et après ? Tu ne vas quand même pas tuer un homme ?

— Je sais viser.

— Alice, s’il te plaît, ne sois pas stupide ! Tu ne peux pas faire n’importe quoi ! Si tu continues à fréquenter cette Rezia, tout le monde pensera que tu es comme elle ! Tu crois que je vais l’accepter ? Ma sœur, une prostituée ? Il n’en est pas question ! Je ne veux plus que tu la revoies ! Tant que tu es ici, avec moi, sous mon toit, tu vas te comporter comme il se doit, respecter la morale et garder une vertu sans faille ! Je le dis pour ton bien, pour ton intégrité ! Et je ne transigerai pas sur le sujet ! »

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