1.11.3

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Frère et sœur descendirent sur Hammersmith Road et s’insinuèrent dans une allée plutôt calme et bourgeoise. Devant chaque maison, des petites cours clôturées de métal donnant accès aux caves bordaient le trottoir où ils cheminaient. Theo s’arrêta devant l’une de ses demeures de brique sombre percée par les carreaux blancs de longues fenêtres à guillotine. C’était la maison du professeur Horowicz. Des jardinières de jasmins parfumés embaumaient l’entrée. Devant la porte, Theo fit à Alice les dernières recommandations d’usage :

« Sois polie et réfléchis avant de parler. Ne dis pas tout ce qui te passe par la tête et essaie de bien te comporter. Eh ! Est-ce que tu m’écoutes au moins ? Alice ? As-tu compris ?

— Oui, oui, oui ! » lui répondit d’un ton excédé la jeune lady.

Elle sonna sans plus attendre, sous l’œil effaré de son frère qui n’avait pas eu le temps de s’y préparer. Il s’apprêtait à la gronder, mais Jo leur ouvrit instantanément, la pipe au bec, un journal roulé dans la poche de sa veste à carreaux gris. C’était un assez petit bonhomme maigre avec une mine rusée, une moustache à Charlot et un menton saillant qui lui donnaient un air de lutin farceur. La peau lisse de son haut front gagnait du terrain et croissait d’année en année, repoussant vers l’arrière de son crâne, la ligne de ses cheveux noirs et plats. Derrière le verre de ses petites lunettes rondes, ses pupilles étincelantes sondèrent en un éclair d’une acuité affilée la jeune lady, dès qu’elle apparut de l’autre côté de la porte d’entrée. Bien sûr, il accueillit Theo d’une accolade et se présenta avec une vive politesse pour faire oublier ce premier coup d’œil fort indiscret.

Dans le hall, tandis que le frère et la sœur se débarrassaient de leurs affaires, sac, veste ou chapeau, les dames de la maison arrivèrent ensemble avec un entrain et une curiosité flagrants. La plus âgée, Mrs Horowicz, d’une bonne taille, prenait un peu d’embonpoint avec l’âge. Ses immenses yeux clairs, tout ronds, sortaient de leurs orbites et éclairaient comme deux grands phares un visage flasque et quelconque. Diana, sa fille, avait hérité de cette particularité physique, mais outre mesure, elle ressemblait surtout à son père. Elle avait le même gabarit de petit elfe, un peu plus grande tout de même, avec des membres effilés et des os saillants. Ses cheveux en carré noir encadraient un visage triangulaire au front bombé et au menton pointu. Alice, sans la trouver d’une grande beauté, éprouva de suite un vif attrait pour sa physionomie qui, de par son expressivité, attirait le regard. Au milieu des salutations d’usage, tandis que l’une récupérait les framboises et que l’autre s’occupait des fleurs, les premières remarques fusèrent avec une libre exubérance.

« Seigneur ! s’exclama Diana, écartant les bras dans un mouvement contemplatif devant Alice. Theo, pourquoi nous as-tu caché que tu avais une si jolie petite sœur ?

— Quel adorable enfant ! Mais ne restons pas là ! Venez donc dans le salon, ma lady ! »

Les femmes emportèrent la jeune lady dans la grande salle. Tout se passa si vite. Theo la regarda sortir de son champ de surveillance, non sans une certaine angoisse. Une main sur son épaule le secoua :

« Alors comment ça se passe ? demanda Jo, avec une pointe d’inquiétude.

— Un cauchemar ! » souffla Theo avec le soulagement de pouvoir enfin se confier.

Et ils rejoignirent les dames au salon.

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