Chapitre 13

9 minutes de lecture

Vendredi 29 novembre 2019 - 11h15

36, Quai des Orfèvres - Paris (75)


Les véhicules du RAID avait envahi la cour du 36, Quai des Orfèvres. Dupuis renonça à chercher une place et se stationna à cheval sur le trottoir, le macaron de la police et le gyrophare en évidence pour éviter une contredanse.

Ouverture de la porte à la va-vite, les marches défilèrent deux à deux sous les pieds d’un Charles remonté à bloc. Au dernier étage, il s’engouffra dans l’étroit couloir peuplé de l’habituelle imprimante, de chaises et de casiers en tout genre. La clef à la main, il ouvrit d’un geste le bureau.

Dans son dos, Ana se débarrassa de sa veste qu’elle accrocha sur le porte-manteaux et s’enfonça dans son siège, les mains déjà sur le clavier pour entrer les données dans les différents fichiers de la police nationale.

- Tu me passes tout au peigne fin. Pars du K-bis et fonces sur le FICOBA, le TAJ et tout ce qui te semblera utile. On ratisse large.

- On retourne le système ?

- Oui.

- C’est comme si c’était fait.

- Au moindre nom, tu m’interroges la totale aussi, n’attends pas mon retour. Je descends voir Marone pour lui demander carte blanche.

Ana leva la tête, surprise par l’initiative de son collègue. Lui qui aimait tant respecter les règles, avancer étape par étape et ficeler ses dossiers pour les rendre infaillible. Elle lui adressa un sourire accompagné d’un signe de tête.

L’homme s’engouffra dans le couloir, une pochette à la main et la précieuse enveloppe dans un sachet.

Le lieutenant Delfino pianota sans relâche. Un clic de souris pour lancer une impression, un coup de surligneur pour repérer en un coup d’oeil les informations essentielles. Le tableau velleda se remplit en une demi-heure.

Exploiter les données, creuser des pistes pour avancer, trouver des liens entre les éléments pour les faire parler, Ana retrouvait enfin tout ce qui l’avait poussé dans cette profession. Ses parents avaient refusé de croire en cette vocation, son père avait tout fait pour la dissuader. Mais elle était devenue une référence dans tout Bilbao.

Dix ans plus tard, elle intégrait la crème de la police française, dans une ville qu’elle adorait par dessus tout. Paris était un terrain propice pour le crime, les réseaux et bandes organisées et les trafics en tout genre. Une chasse permanente qu’Ana ne troquerait pour rien au monde.

Une sonnerie la tira de sa digression nostalgique. Un rappel pour sa prise de médicaments contre l’asthme. L’automne n’avait pas été de tout repos et les conséquences perduraient, un peu trop à son goût. La flic détestait être dépendante des ces petits cachets et de son inhalateur, surtout après une course poursuites, mais Dupuis ne manquait pas de jouer le garde fou.

Sur une feuille vierge, Ana recensa toutes les informations lui apparaissent comme pertinentes. Noms, adresses, professions, entourages, mouvements financiers suspects. Elle traça une liste exhaustive de tous les salariés ayant été sous contrat avec Viroteck.

Pas un seul éclair de génie. Son intuition était au point mort.

Les aiguilles tournèrent jusqu’à atteindre midi, l’heure où Charles se décida à regagner ce qu’il appelait « sa tanière ». L’enveloppe avait disparu, partie pour exploitation au laboratoire. En contrepartie, il avait hérité d’un tas de paperasse à remplir.

L’homme jeta les feuilles volontaire sur son bureau et tendit un sandwich à Ana.

- Poulet, tomate, salade. Il n’y avait quasi plus rien, les gars du RAID ont tout dévalisé.

- On devrait les arrêter, rigola la femme. Ça ira très bien, merci.

- La pêche a été bonne de ton côté ? Marone n’est pas très chaud pour se lancer avec le peu d’éléments que nous avons. Il va falloir blinder le dossier pour faire plier le proc’.

La flic lui désigna un tas de pochettes colorées débordantes de feuilles. Charles se précipita derrière son bureau et éplucha une à une les lignes pour traquer la bonne information qui ferait basculer le dossier. Le flot de renseignements fusait dans son cerveau, il était lancé, telle une machine qui ne cesserait qu’une fois son but atteint.

Sa concentration l’avait plongé dans une bulle increvable. Il n’entendit pas les appels d’Ana pourtant bien bruyants. La femme se leva, annota le tableau avec un feutre Velleda rouge de sa découverte. Rien à y faire, son collègue carburait à pleine vitesse sans lui accorder le moindre intérêt.

- Dupuis !

Le ton fit sursauter le capitaine. Un lueur de mécontentement à faire frémir un cadavre traversa ses yeux avant qu’il ne s’aperçoive de l’avancée inscrite par sa partenaire.

- Tu aurais pu me prévenir, tenta Charles.

- Et en plus, il se fout de ma gueule ouvertement… Le gars du tribunal de commerce a été bien sympathique. Aucun K-bis pour Viroteck dans les recherches sur leur site. Il a dû remuer ciel et terre, mais il m’a transmis le document dans la seconde où il l’a obtenu.

Ana fit rouler sa chaise jusqu’au bureau de Charles. Elle posa ses notes sur le rebords, s’assit et croisa une jambe sur l’autre avant de reprendre ses explications.

- Petite société de recherche sur la mutation des virus classiques type grippe, bronchite, otites et même la gastro-entérite.

- Appétissant. On a l’identité du dirigeant ?

- Oui. Pierre de Montefroi. Décédé il y a un an d’un accident cardio-vasculaire à l’âge de soixante-dix-huit ans. Pas de casier judiciaire.

- D’autres noms ? Actionnaires, salariés ou bien tout autre lien avec l’entreprise.

- À part la dizaine d’employés, rien de significatif. Juste une étroite collaboration avec le groupe scientifique Keraunós durant deux ans.

Dupuis s’empara de son bloc de papier et d’un stylo. Sous les yeux d’Ana, il schématisa les informations qu’ils avaient collectées et essaya de les relier avec logique les unes aux autres. La femme l’imita et lui soumit plusieurs propositions. Aucune ne permettait de faire sauter le verrou ardu qui leur parait la route.

Les feuilles s’accumulèrent près de la corbeille, déchirées ou bien sous forme de boulettes. Les deux policiers sentaient qu’ils n’étaient pas loin de trouver la solution, mais rien n’y faisait, leurs raisonnement souffraient à chaque fois d’une faille imparable.

Après plusieurs tentatives, Charles décida d’employer une autre méthode. Même s’il n’était pas le plus grand supporter de cette technique, un petit brainstorming ne pourrait que les aider à identifier une piste à explorer. Il dessina plusieurs colonne au feutre et commença à les remplir d’une écriture illisible.

- On est censé chercher quoi ? Il n’y a pas de rapport entre tous ces mots…

Ana voyait juste, Charles appréciait cette vivacité d’esprit. Mais alors, comment raccrocher des éléments qui n’ont aucun lien apparent ? Cette question, Dupuis l’avait réfléchi des heures lorsque Nicolas Laville était son supérieur. Il lui avait torturé l’esprit si souvent avec cette énigme. Pas un indice pour l’orienter vers la solution pourtant si évidente une fois dévoilée.

Des noms, des lieux, des événements. Les deux enquêteurs disposaient de maigres éléments, mais ils n’avaient pas pris le temps de pousser leurs recherches. Aller au-delà de la surface et s’enfoncer dans les sombres profondeurs.

Charles finit par dessiner une flèche en bas de chaque colonne, toutes convergeant vers une seul et même point d’interrogation.

- Vas-tu m’expliquer à la fin ? s’impatienta Ana.

- Depuis le début, nous nous contentons de suivre la piste. Comme dans un jeu de société, nous sommes guidés, baladés ici et là en suivant le scripte. Mais notre rôle ne consiste pas qu’à cela. Prendre un coup d’avance, tel est notre véritable objectif.

- D’accord, et comment veux-tu t’y prendre ? Parce que les beaux discours… ça me file la gerbe.

- Interroger et explorer le passé pour trouver un ou plusieurs points communs.

- Charles attrapa le dossier sur son bureau et l’ouvrit. Quelques feuilles tentèrent de s’échapper, mais l’homme ne se laissa pas abuser et les regroupa d’un geste rapide.

- Je vais parcourir une nouvelle fois les éléments que Laville m’a communiqués. Pendant ce temps, croise les listes des salariés de Viroteck et Kerauós, toute personne ayant eu affaire avec ces deux entreprises. nous devons chasser les incohérences et les concordances.

- Autre chose ?

- Je veux que tu me notes le moindre détail qui t’alerte sur ce tableau. On ne laisse absolument rien passer, quitte à ce noyer sous les informations. Il sera bien temps de faire un tri après.

- Entendu. Mais… très chronophage. D’où tiens-tu cette méthode peu singulière ?

- D’un ami très peu conventionnel. Crois-moi, c’est efficace. Mais pas un mot à Marone.

Chacun plongea dans sa bulle. Un silence religieux enveloppa la pièce dans son voile divin, une bénédiction sacrée bienvenue pour affronter un travail d’enfer. À tour de rôle, ils écrivaient une information ou punaisait une feuille sur le tableau en liège. Peu importait s’il devait y passer le reste de la journée, la capitaine Dupuis ne comptait pas quitter son bureau le dossier vide.

Son instinct de flic était en plein ébullition. Il avait flairé la piste sans pour autant trouver le premier rouage d’un mécanisme qui s’annonçait complexe. Que ferait son ancien collègue fasse à une telle impasse. De mémoire, il n’avait jamais rencontré ce cas.

À l’extérieur du bureau, un homme clama son innocence. Il opposait une forte résistance aux officiers de police, refusant toute audition avec des « corrompus » du système. Charles se leva, excédé et dans l’incapacité de se concentrer. Le bougre allait en prendre pour son grade et fermer son clapet aussi sec.

Son pas s’arrêta net. La voix de Jamlin s’élevait dans le couloir pour frapper toute âme qui vive d’une onde de colère noire. Le calme fut immédiat.

Les cloches avaient sonné la mi-journée vingt minutes plutôt lorsqu’Ana bondit subitement de sa chaise. Son genou heurta le coin du bureau. Une grimace traversa son visage, une déformation qui fit sourire son supérieur. Lui aussi n’avait pas échappé à la mesquinerie du meuble.

La femme frotta avec énergie son articulation pour atténuer la douleur, un geste réflexe qui n’avait aucun effet. Papier à la main, elle s’adossa à la droite du tableau blanc recouvert des raisonnements de Charles.

Croiser les données avait été fastidieux, mais un nom était revenu à plusieurs reprises dans les listes d’Ana. Bien trop pour n’être qu’une simple coïncidence. La photo de l’individu aimantée sur le tableau, la flic se décida à partager sa découverte.

- Alain Sobiliet, cinquante ans, responsable d’un laboratoire de recherche scientifiques.

Le Capitaine saisit l’identité sur son propre ordinateur et afficha sur son écran les données disponibles sur l’individu.

- Il a débuté chez Viroteck à l’âge de trente et un an après une brillante thèse sur les virus. Aucun lien personnel avec Pierre de Montefroi, mais il a travaillé sur le projet en commun avec le groupe scientifique Kerauós avant d’être débauché par un concurrent.

- Et aujourd’hui ?

- Responsable d’un laboratoire privé, de la recherche sur les virus et le contrôle des mutations. Ça me fait froid dans le dos tous ces scientifiques qui jouent avec les maladies. Imagine que l’un d’eux laisser échapper un de ces trucs dans la nature, c’est la pandémie assurée.

Dupuis ne pouvait pas la contredire sur ce point. Il se leva, contourna son bureau et s’assiégea sur le rebord de son bureau. Menton sur son poing, une théorie germait dans un creux de sa tête. Il préféra ne pas l’exposer avant quelques vérifications.


- Bon boulot, Delfino. Fais une pause, la journée n’est pas encore terminée et j’ai l’impression que notre compte n’est pas prêt d’être réglé.

- Un café ?

Le flic refusa d’un signe de la tête et la porte du bureau se referma. Charles en profita pour fermer les yeux. Index et majeures massèrent ses tempes dans de petits mouvements circulaires. La fatigue le plombait, il la sentait déployer ses griffes et lacérer son esprit.

Il inspirait avec lenteur, sa poitrine se gonflant d’un air qu’il espérait vivifiant. Chacune de ses expirations semblait interminable. Se déconnecter de la réalité quelques minutes ne pourrait qu’être salutaire pour terminer cette journée à rallonge.

À peine eut-il le temps de reprendre place dans son fauteuil que le téléphone sonna. Le numéro ne le laissa pas sans indifférence.

- Docteur Fargot, vous avez déjà terminé les quatre autopsies ? Quelle prouesse !

- Oui, Charles. Enfin, je n’ai pas eu grand chose à faire. Mes premières constatations se sont confirmées. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que je suis complètement désarmé face à une telle situation.

- Expliquez-moi votre difficulté, je peux peut-être vous orienter ? Nous avons progressé avec Ana, ma nouvelle coéquipière.

Il y eut un instant de silence. La réaction du légiste se fit attendre. Le flic connaissait son interlocuteur, un grand bavard qui n’avait aucune limite. Ce blanc de l’anthropologue judiciaire n’avait rien d’habituel. Un long soupir et l’homme dit :

- Non, Charles. Cette fois-ci… c’est inexplicable.

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