L'ogre-roi

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Les parents se mirent en route, accompagné de la troupe de ceux qui n’avaient pas réussi l’épreuve qui les mèneraient sur le trône. Le voyage ne dura pas longtemps. En tout cas, c’est ce qui sembla à Thalie et au prince. Non pas qu’ils vivaient sur un nuage, perdus dans un amour inconditionnel et déconnectés du monde. Non. Ils avaient les deux pieds sur terre, un bébé entre les bras. Et le temps ne passe jamais aussi vite qu’auprès le cœur d’un nouveau-né qui bat comme un métronome affolé. Entre les nuits sans sommeil, les angoisses naturelles et tous ces tracas qui rendent la vie de parents si dure, ils arrivèrent à destination sans même s’en rendre compte. Ils n’avaient même pas encore pris le temps de nommer le nouveau-né.

Au cœur du royaume, à la capitale, ils rencontrèrent d’abord la reine, une femme douce. Elle dégageait une aura, un charisme presque palpable. Elle n’était plus toute jeune, sans être encore vieille. Et de toute façon, cela ne change rien au fait qu’elle était une femme intelligente, cultivée et agréable à écouter. Tout le contraire de son mari, le roi, dont tout le monde se demandait comment il avait fait pour arriver sur le trône, avant de se rappeler que la charge était héréditaire et que leur roi ne devait d’être là que parce qu’il avait gagné à la loterie génétique. Ce ne fut d’ailleurs pas lui qui accueillit le prince héritier. Il était parti à la chasse. Ou à la guerre. Enfin, une de ces mâles et saines activités impliquant du fer et du sang.

La reine fut une hôtesse parfaite. Elle montra à Thalie et son homme la suite princière. Elle appela les couturiers, les coiffeurs et tous les autres métiers pouvant être utiles à donner une apparence plus noble à la jeune mère. La magie dans la forêt devait être puissante (ou peut-être quelques fées s’étaient penchées sur son berceau), car il ne fallut pas beaucoup de travail pour rendre tout son éclat à la beauté cachée de la princesse. Même en ayant partagé le style de vie des bûcherons et des paysans, elle avait préservé une harmonie dans ses traits qui fut vitement soulignée par la diligence de ses nouveaux serviteurs.

Le lendemain soir, elle fut présentée à la cour, accompagnée de celui qui allait devenir son mari. On annonça officiellement le nom de l’enfant qui s’appelait donc Nuit, pour la bonne raison qu’il vivait et se faisait entendre surtout lorsque le soleil était couché. Malgré leurs cernes, ils étaient magnifiques, couverts d’ors et d’argents. Ils avaient peu dormi, à cause du nouveau-né dont ils voulaient s’occuper eux-mêmes, malgré qu’ils aient des serviteurs et nourrices pour cela. Ils étaient resplendissant. Et même si le roi était absent, on avait l’impression que la royauté était déjà revenue, en s’incarnant dans la peau du jeune couple. La reine les menait de groupes en groupes, les présentant à tout le monde, leur lançant aux oreilles des noms, des titres, des anecdotes, toute information qu’ils auraient oubliée le lendemain, si pas dans une poignée de minutes. Comme si cela ne suffisait pas, il leur fallut ouvrir le bal. Thalie ne savait pas danser la valse, aussi ce fut son prince qui mena la danse. Les ivresses se mélangèrent : celle des alcools à bulle, celle de la danse, celle de la fatigue, celle de l’amour. Lorsqu’ils purent enfin rentrer en leurs appartements, ils remercièrent le jeune homme qui s’était occupé de garder le jeune Nuit et tombèrent endormis jusqu’à ce que l’enfant ne les réveille, au petit matin.

Les jours passèrent ainsi en se ressemblant. Le retour du roi vint mettre un terme à ces jours heureux. Il avait versé suffisamment de sang à son goût et revenait en son royaume, content de lui. Dès que l’annonce fut faite, l’humeur de la reine changea. Elle qui était d’habitude si joyeuse se renferma et sombra dans une douloureuse mélancolie. Thalie ne la reconnaissait pas. Elle ne comprenait pas ce qui arrivait à cette femme si brillante qu’elle était en temps normal un soleil pour toutes celles et ceux qui vivaient en en sa présence. Les jours qui avaient suivi l’annonce du revenir de son mari, son humeur était devenue maussade. Et cela empira à mesure que la date fatidique approchait.

Enfin, le roi revint. Personne n’avait rien dit à Thalie et son prince sur la personnalité du roi. Certainement pour qu’ils puissent savourer les délicates subtilités de la psyché de cet homme d’âge mûr. Il était tout le contraire de la reine : rustaud, bourru et ignorant de bien des sujets. Il avait également des mœurs violentes, frappant ses serviteurs dès que l’occasion s’offrait à lui.

Quand on lui présenta Thalie, il l’ignora, préférant s’adresser directement au prince. La jeune femme comprit à cette occasion qu’aux yeux du roi, elle n’était que des organes reproducteurs emballés dans de la chair humaine. Elle n’en était alors pas sure. Jusqu’à présent, elle avait simplement considéré que le roi avait une préférence naturelle pour celui avec qui il avait un lien familial. Mais au fur et à mesure des rencontres et des discussions, elle finit par ranger le roi dans la catégorie « vieux con ».

Qui plus est, il ne semblait pas vouloir abdiquer afin de laisser le trône à plus jeune que lui. Il était accroché au pouvoir de toutes ses forces finissantes. Les mois et les années passèrent. Thalie donna naissance à deux filles qui fit leur bonheur et que leur grand-père ignora royalement. Pis encore : il venait parasiter leur éducation en instillant dans leurs jeunes têtes des idées d’un autre temps. Selon lui, une femme valait moins qu’un homme et devait obéissance au « sexe fort ».

Thalie comprit que le roi n’était pas seulement vieux et idiot, mais aussi dangereux. Elle réalisa pourquoi la reine portait toujours des vêtements qui la couvrait entièrement et pourquoi sa suite n’était composée que d’hommes exclusivement.

Un jour qu’ils étaient tous partis à la chasse, le roi repéra une troupes de lions. Par fierté sans doute, il décida de quitter le camp avec son sénéchal et quelques hommes de confiance. La reine, le prince et Thalie restèrent en retrait, ce qui leur permit d’assister depuis des loges de choix au massacre du roi et de sa suite par quelques lionnes en colère.

Il eut droit à une cérémonie d’enterrement sobre. Personne ne le regretta et très vite, il fut oublié. Thalie devint reine de ce royaume et consacra toute son énergie au développement de la démocratie et dans l’éducation, mettant un point d’honneur à inclure les femmes de tout le royaume dans ce processus moderne, avec l’aide enthousiaste de la reine-mère.

Et ainsi, tous vécurent bien plus heureux.

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