Les boules... !!

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Je descendais une à une les marches de l’immeuble, la tête basse comme à mon habitude. Je fixais ce sol grisâtre bien dégueulasse, je ne peux pas vous le cacher… Soudainement, quelque chose m’a perturbée; il y avait de petites boules de polystyrène, toutes mignonnes, qui avaient l’air d’avoir été posées là, pour moi… elles m’appelaient silencieusement à les suivre. Comment est-ce possible me diras-tu? Je sais pas pour toi, mais quand tu portes un prénom relativement unique par rapport à l’endroit où tu vis et qu’un ou plusieurs objets se mettent ensemble pour le former… Ma mère a lutté – et gagné – pour me prénommer Enya, parce qu’elle adore cette chanteuse, et je te garantie que j’ai toujours été la seule du quartier même si j’ai déménagé une paire de fois! Alors de voir de petits boules blanches sur un vieux plancher gris sombre qui ne reflète plus la lumière former mon prénom avec un trait au-dessus qui fait comme une flèche, c’est assez difficile de ne pas se sentir interpelée…

Je cherchai tout de même à m’en approcher, question de confirmer ce que je voyais. De m’assurer que je ne devenais pas à moitié folle. J'avais bien raison, le polystyrène formait bel et bien Enya – d’un très beau lettrage soit dit en passant – avec une flèche pointant vers la porte de sortie opposée de celle que j’empruntais normalement, celle qui donne dans le stationnement. Je n’avais jamais emprunté cette sortie vu que je ne conduis pas, mais pourquoi pas pour ce matin, une fois n’est pas coutume… En voulant enjamber le polystyrène, je vis qu’il se mit à reculer; j’ai dû créer un courant d’air assez puissant pour que le polystyrène bouge, c’est tellement léger ce truc! Mais non, plus j’avançais et plus ça reculait. Jamais mon prénom ne se déformait lors du mouvement. Les boules formant l’espèce de flèche ne s’y mêlaient jamais; elles reformaient plutôt une base plus épaisse à l’indicateur, pour ensuite ‘’remonter’’ vers la pointe, qui allait elle-même se glisser sous la porte – oui, il y a un jeu dessous, assez haut pour un courant d’air… ainsi que des boules de polystyrènes on dirait.

Une fois près de la porte, une bouffée de chaleur m’envahit soudainement, me forçant à enlever mon pardessus doublé pendant un moment. Je dû m’arrêter et m’appuyer au mur; avoir trop chaud me donne des malaises, comme des vertiges, et je suis obligée de m’appuyer pour ne pas tomber quand ça arrive. En mettant ma main sur la barre de la porte, je remarque que cette dernière est chaude. Pas au point de brûler, non, mais anormalement chaude pour une journée d’hiver quand je sais que je devrais tomber dans un stationnement extérieur. Je place mon pardessus sur mes épaules, sans y mettre les bras – j’ai encore trop chaud pour l’enfiler convenablement – et je pousse la barre pour entrouvrir, pour avoir un peu d’air frais pour me fouetter le visage. Surprise! Un courant chaud, humide et sentant l’eau de mer s’engouffre dans l’interstice, apportant avec lui quelques boules de polystyrène qui se changent en gouttelettes au contact de ma peau, comme une pluie fine. Mais comment est-ce possible? Me suis-je évanouie sur le bord du mur et on m’aurait ignorée jusqu’à l’été? Mais non, on m’aurait transportée ailleurs, voyons… ou du moins je crois?

J’ouvre en grand pour jeter un œil à l’extérieur. La nuit tombe, non pas sur le stationnement familier de l’immeuble que j’habite depuis déjà trois ans, mais sur un phare allumé. Il y a effectivement une pluie fine qui tombe… une vraie, cette fois, bien qu’elle m’apparaisse blanchâtre comme les boules de polystyrène qui m’ont amenée ici… Mais, pendant que j’y pense, où sont-elles passées, les boules? Devrais-je sortir et, si je sors, vais-je pouvoir rentrer? Je regarde vite fait derrière, dans le couloir, pour y apercevoir UN PUTAIN DE FANTÔME AAAAHH !! Bah voilà, je suis dehors sous la pluie, la porte s’est refermée derrière moi. Maintenant, si je veux rentrer, je devrai faire le tour comme je fais d’habitude vu que cette porte n’a pas de poignée à l’extérieur… Mais mes clés sont dans mon pardessus, qui est tombé sur le plancher du couloir quand je me suis sauvée de peur. Bravo Enya...

Je tourne mon regard vers le phare, qui me semble chaleureux, loin d’être intimidant. Bon, autant aller voir, tant qu’à faire... La pluie est fine mais pas le vent, qui lui souffle mon corps, siffle dans mes oreilles. Heureusement, le temps n’est pas froid. Je penche la tête pour ne pas avoir trop de pluie dans les yeux et retrouve mes petites boules qui me montrent un chemin encore une fois, celui du phare. Cette fois, nom prénom n’y est pas, seulement une longue file de boules, par contre les bruits du vent me donne l’impression d’être appelée… J’avance, je suis le chemin, et en même temps je m’interroge encore et toujours à savoir si je ne suis pas en train de devenir à moitié folle. Comment le vent pourrait-il m’appeler? Le phare, éclairé à l’intérieur, est toujours aussi invitant. Me semble chaleureux. Les boules de polystyrène, toujours sous l’emprise d’une volonté quelconque, se sont accrochées au mur pour aller reformer mon prénom au-dessus de la porte d’entrée, probablement pour s’assurer que j’allais y entrer. Comme c’est le seul endroit autour où je peux entrer et être au sec, j’y vais de toute façon. Je vois pas ce qui peut m’arr-ENCORE CE FANTÔME !!

Je m’éveille. J’ai mal au crâne. Je tente d’ouvrir les yeux, bien que la lumière empire la douleur. Un âtre allumé. Des murs de pierre. Je suis sur un lit de bois. Dans une petite pièce. Tous ici n’est que pierre, bois et feu. Pas un livre. Pas une décoration aux murs. Puis je remarque un mouvement devant l’âtre. Une personne. Dos à moi. Ou plutôt une silhouette.

- Ça ira mieux bientôt, la tête. C’était une chute bénigne.

La voix est douce, chaleureuse, féminine, invite à la détente. Je referme les yeux pendant un moment, bercée par le crépitement des flammes. Je peux voir la lueur des flammes danser derrière mes paupières closes.

- C’est l’intérieur du phare, ici? Pourquoi je suis ici?

J’avais planifié m’exprimer d’une voix normale mais je ne put émettre qu’un chuchotement. Chaque mouvement de mâchoire apportait une douleur différente

- Je t’ai menée ici pour une raison bien simple. Tu es l’une des nôtres.

- Hein?!

Je m’assis d’un coup, me causant par la même occasion un étourdissement qui me forçât à me rallonger.

- Ne dis rien, laisse-moi plutôt t’expliquer…

La silhouette se leva, se tourna, prit une carafe et un verre qui était posés près d’elle avant de venir vers moi. La carafe contenait de l’eau. Je levai mes yeux en buvant pour détailler la femme… et me perdit dans ses yeux. Deux sombres abysses étaient rivés sur moi. M’englobaient tout en ne me voyant pas. M’ensorcelaient de par la lueur étrange nichée au fond. Puis la femme se retourna vers l’âtre, m’invitant à terminer mon verre d’eau avant de commencer son récit…

Tu as toujours fait partie des nôtres. Seulement, dans cette réincarnation, tu nous a oubliées. Dans chaque vie, nous nous étions promises de ne jamais nous séparer, du moins ne jamais nous perdre de vue. Ça a fonctionné pendant quelque siècles, mais pas cette fois. On ne s’explique pas ce qui s’est passé... Je suis l’une de tes Sœurs, nous devons être quatre. Sans toi, nous sommes incomplètes. Sans toi, l’ordre des choses perd un peu de son sens. Sans toi, le cycle normal de la vie et de la mort est chamboulé, puisqu’on ne peut accomplir la tâche convenablement à trois. Nous avons tenté pendant un temps, pensant que tu devais être en chemin pour venir nous retrouver, mais nous avions tort! Quelque chose, ou quelqu’un, a modifié ta mémoire profonde, et tu n’es jamais revenue vers nous, avec nous.

Nous sommes une équivalence à ce que beaucoup d’Hommes appellent les cavaliers de l’apocalypse. Seulement, nous sommes des entités féminines. Nous n’apportons la mort qu’à un seul être à la fois, mais nous agissons à la vitesse de l’éclair. C’est sur les champs de bataille que Napoléon nous donna ce surnom, certains d’avoir affaire aux vrais cavaliers, par rapport à la notre rapidité. Ce nom ne nous a pas lâchés depuis, bien qu’entre nous, on ne se soit jamais donné de nom de groupe. On se contentait de faire la tâche donnée, réglée par un pacte signée il y a de ça bien longtemps. Ce même pacte allait faire de nous des Sœurs d’un sang unique dès les incarnations suivantes.

Ton véritable nom est Annomis. Je suis Nolc. Nos autres Sœurs sont Mikla et Kwan. Ta véritable forme ne devrait pas être humaine, mais vaporeuse, telle que tu m’as vue les deux premières fois ou je me suis montrée à toi. J’ai dû faire un effort pour avoir l’air humaine avant que tu ne t’éveilles, par contre j’ai raté les yeux; je ne m’en suis aperçue que lorsque tu m’as fixée… Crois-tu ce que je te dis? Te sens-tu prête à nous rejoindre? À délaisser tout ce que tu as connu d’humain jusqu’ici, dans cette vie? Devons-nous délaisser la tâche, rompre le pacte, et nous diriger toutes les quatre vers une mort définitive?

- Pourquoi une mort définitive? Je veux pas mourir maintenant!

- Et pourtant, si le pacte est rompu, ce sera bel et bien ce qui nous arrivera. Tu ne te souviens donc de rien?

- Malheureusement, non. Et comme j’ai encore mal à la tête…

- Bien sûr, mes excuses, je te bombarde d’informations, oubliant ton humanité…

Je ne sais pas si je dois le prendre comme une insulte, par contre je ne prends pas la chance de poser la question. Je referme les yeux, incrédule. Comment puis-je faire partie d’un groupe de sœurs assassines et ne pas être au courant? Ou plutôt ne pas m’en souvenir, comme elle l’affirme… Je ne comprends rien, je ne suis pas certaine de vouloir comprendre, rien de tout ça n’a du sens! Et pourtant, je m’entends lui répondre bien malgré moi que oui, je la suivrai. Que oui, je les rejoindrai. Et l’entendre me dire que c’est parfait, que la transition du corps physique au corps vaporeux va bientôt commencer…

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