Chapitre 3, 2éme partie
Heureusement, les toilettes qu'elle avait choisies sont à proximité. Pilant in extremis pour éviter de se prendre la porte, elle s'introduit dans la salle de classe, le souffle court.
– Juste à temps, Maedh. Dit son professeur de sciences. Attention quand même à ne pas te blesser ! Maintenant prend place, s'il te plait, qu'on puisse commencer.
Par chance, l'une des rares places libres se trouve juste à côté de Jennifer près de la fenêtre. Cette dernière la regarde avec des yeux pétillant d'excitation et d'appréhension. Maedh ne perd pas de temps pour s'installer.
– Alors ? Murmure-t-elle dès que le prof a le dos tourné. Comment ça s'est passé ?
– Typhaine est une maitresse-chanteuse, fulmine à voix basse sa voisine. Devant le regard surpris et confus de Maedh, elle se contente de balayer l'air. Ce n'est rien. Mais sinon, ça s'est pas trop mal passé. Elles pensent, ou du moins, Typhaine pense, que je suis cinglée et que tu me manipules donc elles veulent te voir à la récré pour savoir si j'ai dit la vérité.
– Elles ne seront pas déçues, je te promets, glousse la jeune fée.
– Les filles, on fait attention s'il vous plait, les rappelle à l'ordre le professeur. Avec un soupir presque inaudible, elles redirigent leur attention sur le cours. Ugh, c'est tellement compliqué, pense Maedh, frustrée. Et dire que ça ne me servira sûrement jamais. Mais ça va en valoir la peine. Si je réussis à me faire trois vrais amis qui me connaissent vraiment, ces deux dernières années n'auront pas été en vain.
L'heure passe ainsi, les deux filles accordant peu d'attention au cours. Les yeux de Jennifer ne cessent de se diriger vers la fenêtre, à travers des paysages de forêts enchantées et de plaines ondulant sous le soleil d'été. Maedh, elle, rêve du futur, de moments de joie partagée et de connaissances échangées, de soirées sans déguisements ni omissions, avec la simple vérité nue. L'heure suivante n'est guère différente.
Quand la musique retentit, annonçant la fin du cours et le début de la récré, c'est tout juste si les deux filles ne bondissent pas de leurs chaises pour se précipiter dans le couloir.
– Sophie et Typhaine sont pas loin de la salle d'arts appliqués. Annonce Jennifer en pianotant rapidement sur son téléphone. Il y a un escalier juste à côté, on ira jusqu'au sommet. Il n'y a presque jamais personne. Sinon, on peut facilement se rendre dans d'autres endroits à partir de là.
– Au pire, dit Maedh, d'un ton badin, je nous cacherais toutes sous une illusion pour que personne nous voie.
– Tu peux faire ça ? Demande Jennifer, la bouche en croissant et des bulles plein les yeux.
– Ma petite, tu n'as pas idée de tout ce que je peux faire, fait Maedh avec un sourire en coin. Personne ne nous verra si je ne le veux pas. Sinon, je peux aussi faire disparaitre les inopportuns. Mais non, t'inquiète pas, je plaisante.
Et elle se met à glousser avec son rire particulier qu'une volaille lui envierait. Jennifer se met à rire elle aussi, plus à cause des sons peu ordinaires de sa camarade qu'à cause de la blague. Sérieusement, je n'aurais jamais imaginé une fée, une princesse en plus, avec un rire comme ça. Alors qu'elle tourne sur sa droite vers le couloir qui mène à salle d'arts plastiques, elle pile net.
– Ouch, fait Maedh en lui percutant l'épaule. Jennifer ne réagit pas en dépit du choc. Jennifer ? Qu'est ce qu...
Plus loin dans le couloir se trouve un groupe de filles. Ou plutôt deux groupes de filles. Le premier est composé d'une jeune brune, aux poings serrés et à la respiration saccadée. Devant elle se trouve une asiatique aux beaux cheveux noirs. Elle se tient fermement entre la brune et l'autre groupe, les yeux brillants d'inquiétudes mais déterminés à ne rien céder. L'autre groupe est mené par une élégante blonde aux vêtements colorés mais chics. Ses acolytes sont vêtus dans un style similaire. Malgrè leur posture presque nonchalante, elles n'ont pas moins l'air de lionnes prêtes à bondir.
– Fiche nous la paix, Lilia ! Crie Sophie, sa voix un peu tremblante. Tu n'as pas quelqu'un d'autre à aller faire chier ?!
– D’où tu me parles comme ça, connasse ? Vocifère la dénommée Lilia, les muscles tendus. Déjà que j'ai pas aimé le regard que ta copine chelou m'a fait en classe. Vous cherchez la merde en vrai.
– Je ne t'ai même pas regardé, s'exclame Typhaine, la voix tremblante, ses yeux humides, fermement fixée sur Lilia. J'ai juste regardé la fenêtre une minute !
– Mais c'est qu'elle me prend pour une conne en plus ! Tu...
– Ah mais ouiii ! C'est toi la fameuse Lilia ? Je me disais bien que j'avais déjà entendu ce nom quelque part. Fais une voix réjouie derrière elle.
Les quatre filles font volte-face tandis que Typhaine et Sophie lèvent la tête, leurs yeux s'agrandissant comme des soucoupes quand elles virent qui se tient à l'autre du bout du couloir. Le beau visage de Lilia se tord de colère en apercevant Maedh mais son regard se dérobe devant celui de la jeune fée.
– Qu'est-ce que tu fais là, toi ? Tu traines avec ces cassos ? Remarque, ça ne devrait pas me surprendre. Dit la blonde, le ton dur et incendiaire, comme une bête coincée.
– Ils sont bien plus plaisants que toi et tes groupies. Réponds Maedh avec désinvolture, le bras posé contre le mur, désinvolte. Mais peu importe. Laisse les tranquilles si tu ne veux pas avoir de problèmes. Ce serait dommage que tu te retrouves par terre comme la dernière fois, n'est-ce pas ?
Lilia tressaille à ces mots et ses amies se regardent nerveusement, leur féroce assurance fond comme une glace dans un four.
– Tu ne... tente Lilia, la tête haute, clairement désireuse de ne pas se laisser intimider.
– Je le referais. Sans hésiter. La coupe Maedh, avec un regard de loup, sa posture plus tendue, prête à frapper. Je peux même faire pire que lorsque tu as essayé de me prendre par surprise. Et tu sais quoi ? Personne ne me dira rien. Personne n'essaiera de me punir ou de me virer pour ça. Personne n'en aura quoi que ce soit à faire. Tu serais surprise à quel point je m'en sortirai facilement. Donc, dégage. Maintenant.
L'une des sbires de Lilia ne se le fait pas dire deux fois et fonce vers la sortie du couloir opposé et dévale les escaliers. Le reste de sa bande la suit presque aussitôt. Avec un dernier regard de défi, Lilia marche à leur suite en tournant délibérément le dos à Maedh. À peine hors de vue, le son régulier de ses pas se transforme en course qui ne tarde pas à s'évanouir.
– Eh bien, voilà qui est réglé. Dit Maedh d'un ton un peu forcé. Mère des Étoiles, je déteste les gens comme ça, ajoute-t-elle dans un murmure avant de se tourner vers les deux autres filles. Vous devez être Sophie et Lyphaine, pas vraie ?
– Typhaine, la corrige Jennifer en se dirigeant vers ses amies. Est-ce que ça va ? Demande-t-elle en les serrant contre elle. La grande brune s'accroche désespérément, un soupir s'échappe discrètement de ses lèvres avant qu'elle ne s'écarte.
– Ça va. Cette dingue nous est tombée dessus après géométrie. On a essayé de la semer avant de venir mais ses copines de 1ére 3 nous attendaient. J'ai cru qu'elle allait... Je ne voulais même pas...
– C'est ok, c'est ok. Elle est partie maintenant. La rassure Jennifer en serrant la main de Typhaine.
– Grâce à ton amie flippante. Fait Sophie qui ne lâche pas Maedh des yeux. C'est elle dont tu nous a parlé ? La... fée ?
À ces mots, Typhaine relève la tête, les yeux ronds. Après un instant, sa mine choquée devint dubitative, examinant Maedh de haut en bas.
– Oui, c'est moi ! Fait cette dernière. Ravie de faire votre connaissance. Jennifer m'a dit que vous ne me croyiez pas. Ce que je comprends parfaitement mais je peux vous prouver que je dis la vérité. Une fois dans un endroit plus discret.
Jennifer se tourne un instant vers ses amies pour les scruter. Typhaine émet un nouveau soupir avant de lui sourire, un sourire fragile mais vaillant. Sophie, la main sur son épaule, se contente de hocher la tête.
–Très bien, fait la rousse en agrippant le bras de Typhaine. Suivez- moi.
Elles montèrent les escaliers en silence suivies de Maedh puis Sophie qui ferme la marche sans quitter le dos de la jeune fée des yeux, prête à bondir. Elle est prête à me neutraliser, c'est trop mignon, sourit Maedh, par franchement inquiète.
Arrivées au sommet, les trois filles entourent Maedh, un large sourire sur le visage de Jennifer, ses amies plus tendues, les bras croisés.
– Prêtes ? Je veux dire, sûres que vous êtes prêtes, hein ? Je ne sais pas si Jennifer vous l'a mentionné mais si vous faites une crise, je ne suis pas sûre de pouvoir aider.
– Je croyais que t'étais magicienne, raille Sophie avec un demi-sourire.
– Fée, et ça ne veut pas dire que je sais tout faire. La magie en relation avec le vivant...
– Tout ira bien, la coupe Jennifer, qui trépigne sur place, son excitation à peine contenue. Montre leur, montre leur !
Ça pour leur montrer, elle leur a montré. Comme ce matin, elle commence par une petite flamme dans le creux de ses mains. Un hoquet sort en saccade de la bouche de Typhaine tandis que les yeux de Sophie s'arrondissent comme des assiettes. Et à nouveau, Maedh laisse le feu se répandre sur tout son corps avant d'apparaitre dans toute sa gloire telle une déesse née des flammes.
Sophie réagit de manière très similaire à Jennifer plus tôt: en reculant précipitamment contre le mur. Typhaine décide de se montrer plus originale : Sur un ultime hoquet, ses yeux roulent dans leurs orbites et elle s'écrase avec la grâce d'un paquet de ciment contre le sol dur.
– Merde, Typhaine ! Crie Jennifer en se précipitant vers elle. Elle la saisit dans ses bras et tente de la réanimer en lui donnant de petites baffes. Sophie, elle, reste sans bouger, complétement tétanisée.
–Mère des Mères. Fait Maedh, paniquée. Qu'est-ce qu'elle fait ? C'est pas l'attaque au cœur, je sais plus comment ça s'appelle, hein ?!
– Non, non, elle s'est juste évanouie. Merde, j'aurais dû y penser, pourquoi je n'y ai pas pensé ? On fait quoi maintenant ?
Par bonheur, Typhaine se met à remuer et à cligner des yeux, l'air confuse.
– Ah, c'est bon, elle revient à elle ! S'exclame Jennifer, soulagée. Typhaine, ça va aller ? Non ! Reste avec moi, c'est Maedh, la fée que je voulais vous présenter, tu te souviens ? Reste avec moi.
– Ooooh bordel, dit la brune, ses yeux, à présent bien éveillés, fixés sur la fée.
– Attends, pose-toi contre le mur. Il faut que j'aille voir Sophie, ça va aller ?
– Ne me laisse pas... gémit la jeune fille en se massant l'arrière endolori de sa tête.
– Tout va bien, c'est Maedh. C'est une amie, tu ne risques rien. Il faut vraiment que j'aille voir Sophie, je suis juste là, ne t'inquiète pas.
– Mais oui, fait Maedh, joyeusement. Tu n'as rien à craindre. Je suis une amie. Je suis une amie, exulte-t-elle en son for intérieur, une amie, enfin...
Jennifer s'accroupit près de Sophie. La jeune fille n'a pas bougé un muscle. Sa bouche émet à peine un souffle au point qu'on pourrait la croire faite de marbre blanc. La rouquine interpose sa main dans son champ de vision ce qui a pour effet de lui faire cligner les yeux. Elle s'anime, le corps tremblant comme un pantin sans fil. Ses doigts, tels des serres, s'accrochent fermement au bras de Jennifer au point de la faire gémir. Et lentement, toujours agrippée à son amie, elle s'avance vers Maedh, qui se ratatine légèrement devant ses yeux brûlants.
Quand enfin elle l'atteint, elle commence par lui tapoter légèrement le bras puis de plus en plus fermement. Ses tâtonnements continuent jusqu'au visage et Maedh est obligée de lui saisir les mains avant qu'elle ne lui fiche une baffe. Sophie s’immobilise, fixant les doigts obsidienne qui tiennent ses poignets avant d'émettre une longue expiration.
– Oh mon dieu, tu es réelle ! S'exclame-t-elle, mi angoissée, mi-extatique avant de se tourner vers Jennifer. Elle est réelle !
– Oui, oui, je sais, c'est ce que je vous ai dit ce midi ! Répond la rousse en grimaçant. Euh, Sophie ? Tu es en train de me péter le bras.
– Pardon... fait cette dernière en desserrant sa prise sans pour autant la lâcher.
Maedh sourit, un grand sourire qui dévoile ses dents cristallines et illumine son visage.
– Donc, fait-elle, presque sur le ton de la conversation, qui veut passer une journée entre filles samedi ?
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