Chapitre 4

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Aujourd’hui, c’était moi qui ai été chargée de récupérer les enfants. Je commençais toujours par Lizéa pour terminer par les grands. Alors que j’attendais devant la grille, comme d’autres parents, la sonnerie de fin d’école, j’aperçus une jeune maman hésiter à venir me parler. À vue d’œil, elle devait avoir vingt-cinq ans. Je me tournais légèrement vers elle et lui souris, espérant la rassurer.


— Excusez-moi Votre Majesté, puis-je vous poser une question ? se décida-t-elle enfin.

— Bien sûr.

— Dites-moi si c’est incorrect surtout.

— Ne vous inquiétez pas pour ça. Je ne mords pas, tentais-je pour la rassurer.

— Voilà, il y a quelques années, j’ai… tuée mon mari par légitime défense. Il a toujours été violent avec moi, et ce jour-là, il s’en est pris à mon petit garçon. J’ai attrapé une poêle et je l’ai assommé. Je ne pensais pas l’avoir tué, je vous le jure. J’ai été innocenté, mais depuis, je n’arrive pas à trouver de travail. Les fins de mois sont difficiles, surtout pour nourrir mon fils. Je me demandais si vous auriez du travail pour moi au château. Peu importe lequel, vraiment.

— Je comprends ce que vous ressentiez, soupirais-je. Laissez-moi y réfléchir.

— Merci, Majesté, merci. Je m’appelle Irina Lane.


Il y avait bien un poste vacant au château. Mais celui-ci demandait beaucoup de sang-froid et de calme. Le poste actuellement vacant était celui de demoiselle de compagnie, ou de dame de compagnie de Lizéa. Cette maman était-elle apte à suivre ma fille dans toutes ses heures de folie ? Dans la cour, j’aperçus Lizéa arriver en courant. Sans laisser le temps au surveillant de vérifier que j’étais là, elle dépassa la grille. Je voulus l’attraper, mais elle s’esquiva en passant sous mon bras.


— Maman, Maman, aujourd’hui on a fait de la pâte à sel ! J’en ai mis partout !

— Mais tu as fini de faire des bêtises, oui ? Je vais dire quoi à ta mère moi après ?

— Bah je sais pas, que tu m’as fait câlin ?

— Alala ma petite chipie.


C’était dans ces moments-là que Lizéa avait tout pouvoir sur moi. Elle était fière de sa bêtise, elle me l’avouait, mais surtout, elle en rigolait. Je ne parvenais pas à la punir alors qu’elle était si heureuse d’avoir désobéi.


— Quel âge à votre fils, Madame ?

— Sept ans, Majesté. Il s’appelle Antoine.

— Il doit être dans la classe de Liz.

— Qui est dans ma classe ? enchaîna la concernée, bien curieuse.

— De quoi je me mêle ! rigolais-je.

— Mais… je veux savoir moi.


Je caressais sa tête, ses cheveux déjà emmêlés par une journée d’école, attrapais son cartable et le remis correctement sur ses épaules.


— Il y a en effet un poste de libre au château. Passez quand vous pouvez, ma gouvernante verra ce qu’elle peut faire pour vous.

— Merci beaucoup, Votre Majesté. J’y vais de ce pas.

— Je vous y retrouverais alors. Demandez Emma et dites-lui que vous venez de ma part. Je dois récupérer mes ados avant de rentrer.

— Merci. Merci infiniment.


J’attrapais la main de ma fille avant qu’elle ne s’échappe et on rejoignit la voiture qui nous emmena ensuite au lycée. Je savais qu’ils n’aimaient pas quand je venais les récupérer à la sortie des cours, mais ça m’amusait. Ils se disputaient tout le temps et Lizéa était toujours ravie de pouvoir observer tous les grands sortir. Cette fois-ci, Lizéa avait aussi sorti son cartable, qu’elle laissait au milieu de l’allée. Mon petit doigt me disait qu’elle voulait embêter son frère.


— Ramasse ton sac, chérie. Quelqu’un va trébucher.

— Hum… non. Ben le ramassera pour moi.

— Ton frère n’est pas ton porte-marteau, bébé.

— Je suis pas un bébé !


Elle aimait taquiner son frère, j’aimais la taquiner. Elle n’aimait pas qu’on l’appelât bébé, mais toute la famille aimait le faire. C’était notre petite vengeance personnelle. Tout juste sortit, les jumeaux s’approchèrent, encore engagés dans une discussion mouvementée.


— J’y peux rien si je suis intelligent, poulette, se vanta mon fils.

— Ne m’appelle pas poulette, tête de crapaud, rétorqua ma fille ;

— Tu n’as qu’à passer plus de temps à la bibliothèque, face de rat.

— Je préfère travailler au soleil, face de dindon.

— Vous avez fini ? les coupais-je quand ils arrivèrent devant moi.

— Désolée Maman, répondirent-ils en même temps.

— Liz ! Ton sac traîne encore par terre, enchaîna Ben en l’évitant de justesse.

— Bah ramasse-le, tête de crapaud, répondit la concernée en imitant sa sœur.


On se retint tous les trois de rire en même temps. Lizéa avait pris la mauvaise habitude de copier son frère et sa sœur. Aussi bien dans leurs activités, que sur leur langage. Cette fois-ci, c’était Ben la victime.


— Ça suffit, Liz. Ramasse ton sac à la place. On rentre.


Ben et Elise furent les premiers à monter dans la voiture. Ils aimaient choisir leurs places en premier. Durant tous les trajets, ils continuaient à se disputer sur lequel des deux étaient le plus intelligent. De temps en temps, Lizéa prenait le parti de sa sœur, décidée à s’attaquer à son frère, sans rien comprendre à la discussion. Dès qu’on fut rentré, Lizéa jeta son sac par terre, près de la porte de la grande salle et se dépêcha de s’asseoir à table pour le gouter, qu’Emma avait déjà préparé. Ben et Elise, plus calme, la rejoignirent rapidement. Le fils de la jeune maman rigola aussitôt avec Lizéa. Quand Mme Lane, elle revint vers moi, sourire aux lèvres. Avant qu’elle ne puisse prononcer le moindre mot, ma femme entra, un gros dossier sous le bras.


— Chérie, tu tombes bien, commença-t-elle en m’embrassant. Stephania a appelé, elle voudrait augmenter l’importation de produits maritime. Et savoir comment tu vas aussi.

— Je la rappellerais. Fais une pause et viens goûter avec nous.

— Non, je dois finir la réécriture des lois sur l’éducation avant se soir et les envoyer au Conseil.

— A bah le Conseil, lançais-je en l’embrassant à mon tour.

— Tu n’es pas crédible, Elena. Va donc jouer à la poupée avec ta fille.

— Saleté.

— Moi aussi je t’aime, termina-t-elle en s’éloignant.


Je me tournai ensuite vers la mère d’Antoine et l’invitais à se joindre à nous à table. Si elle souriait, c’est qu’elle avait réussi à trouver un emploi avec Emma.


— Votre couple à l’air solide, Majesté, commenta-t-elle.

— Il l’est. Les épreuves difficiles qu’on a traversées nous ont beaucoup rapprochés.

— Lizéa ! N’utilise pas ta manche pour t’essuyer la bouche ! Combien de fois je dois te le répéter ? rouspéta Emma.

— Oups.


Emma leva les yeux au ciel et se tourna vers la jeune maman. Je la savais épuisée à cause de Lizéa. Elle épuisait quiconque s’approchait d’elle.


— Madame Lane, êtes-vous certaines de vouloir vos occupés de cette teigne ? Lizéa n’est vraiment pas facile à vivre.

— J’ai l’habitude avec Antoine. Ils ne sont pas amis pour rien, rigola-t-elle.

— Et bien c’est parfait tout ça ! Elena, Madame Lane a déjà signé son contrat. Elle commencera demain matin, pour une période d’essai. Si c’est trop compliqué avec son fils, je lui trouverais un autre poste.

— Merci Emma.


Plus vite que je ne l’aurais cru, Océane était déjà de retour. Elle lâcha son dossier sur la table, et tout le monde sursauta en même temps.


— Ça m’énerve, j’abandonne. Au diable le Conseil.

— Ils pourront bien attendre un jour de plus, ajoutais-je. Je m’en occuperais demain.

— Merci, chérie. Vous parliez de quoi ?

— Qu’on avait trouvé une domestique pour Lizéa. Ce n’est qu’un essai pour le moment.


Océane remarqua la présence de notre invité. Elle fit le tour de la table pour aller la saluer en bonne et due forme.


— Bienvenue Madame. C’est un plaisir de faire votre connaissance.

— Irina Lane, je suis ravie de vous rencontrer.

— Hé, mais je vous connais en fait ! s’exclama Océane.


Voyant qu’elle n’allait rien ajouter de plus, je croisais les bras. Pourtant, elle partit s’asseoir à table, oubliant totalement qu’on attendait tous une réponse supplémentaire de sa part.


— Océ, soupirais-je. Arrête ton numéro et parle.

— Tu as vraiment la mémoire courte Elena. L’affaire Lane, celle que j’ai suivie du début jusqu’à la fin.


En une phrase, elle m’avait rafraichi la mémoire. Cette affaire, elle m’en avait parlé jour et nuit pour être certaine que l’accusée soit innocentée.


— Ah oui ! Celle où ta menacée les juges d’innocenter l’accusée, tu veux dire ?

— Bon, juste un tout petit peu, mais ça c’est un secret. En tout cas, je suis ravie de vous rencontrer, Madame Lane.

— Vous êtes vraiment intervenu dans mon procès, Majesté ? l’interrogea-t-elle.

— J’ai été dans votre situation, alors oui, je me devais d’intervenir.

— Je ne savais pas, excusez-moi.

— Ce n’est rien, c’est fini maintenant et j’ai une merveilleuse femme. Peu de personnes le savent de toute façon.


Pendant tout le goûter, je laisser Océane et Irina Lane discuter. Elles avaient un passé commun et se comprenaient. Je pouvais aussi m’intégrer à la discussion, à cause de ce que Marc m’avait fait durant notre mariage, mais je préférer reporter mon attention sur mes enfants. Lizéa continuait de s’essuyais la bouche avec sa manche, malgré les remarques incessantes d’Emma. Ben et Elise étaient en plein échange historique sur les débuts de l’Empire. Surement en lien avec leur cours d’histoire du jour. Cette même époque dont je ne savais que peu de chose, hormis l’histoire qu’Océane m’avait racontée le jour de mes vingt ans, quand mon père m’avait offert le collier familial. J’attendais l’accession au trône d’Elise pour le lui remettre. Ce qui ne pourrait avoir lieu que quand elle aura fini ses études.


Dès la fin du goûter, Irina et Antoine rentrèrent chez eux. Ben et Elise partirent s’enfermer à la bibliothèque pour les révisés tandis que j’attrapais Lizéa au dernier moment pour faire ses devoirs.


— Non ! Je veux pas ! Je veux pas ! bouda-t-elle.

— Liz », si tu fais tes devoirs correctement, je reste avec toi durant ton cours de karaté.

— Bon d’accord. Je veux bien les faire.


Océane soupira, se retenant de rire. Lizéa était une comédienne née. Elle savait exactement quoi faire et surtout quand le faire pour obtenir tout ce qu’elle voulait. Si elle avait été dans l’obligation de prendre la couronne, elle aurait été insupportable. Elle ne voulait jamais être contredite. Même si elle savait avoir tort, elle avait raison d’avoir un tors. Avec Océane, nous avions décidé de l’inscrire au karaté en début d’année pour lui permettre de dépenser un maximum d’énergie. Pour le moment, nous ne voyons pas les bénéfices du sport, mais ma femme était convaincue que ça allait arriver. En même temps, elle était celle qui connaissait le mieux ce sport. Elle en profitait même pour passer un peu de temps seule avec Lizéa, dans sa salle personnelle d’entrainement.


— Maman ? m’interpella ma petite dernière, la tête penchée au-dessus de son cahier.

— Qu’est-ce qu’il y a ma puce ?

— Y’a un mot de la maîtresse pour toi.


Je récupérais son carnet de liaison et m’assis sur son lit. Sa maîtresse voulait organiser une sortie scolaire au château. Leur cours d’histoire actuelle était sur la famille impériale et elle pensait que ce serait une bonne idée que les jeunes puissent voir d’eux-mêmes ce que c’était. Je lui répondis et notais le numéro d’Emma pour qu’elle règle tout l’administratif avec elle.


— Pfff, trop facile, rigola Lizéa en rangeant aussitôt son cahier.

— Tu parles de ton cours d’histoire ? Vas-y, récite-le-moi.

— Mais maman ! tenta-t-elle pour y échapper.

— Liz.

— Les Impératrices, c’est toi et maman. Le Prince, c’est Ben, les Princesses, c’est Elise et moi. Tu vois, c’est trop simple.

— Selon ton cours, qui héritera du trône ?

— Moi ! s’enjailla-t-elle.

— Tu crois vraiment pouvoir devenir Impératrice, chérie ?

— Heu….non. Je veux être libre de faire tout que c’que je veux !

— Tout ce que je veux, Liz. Pas tout que c’que je veux.

— C’est pareil.


Elle me tira la langue avant de répondre correctement. Pour tout le monde, comme pour Lizéa, Ben comme Elise pouvaient nous succéder. La réalité c’était que seule Elise le voulait. Ben ne voulait pas s’attacher à un endroit. Il voulait voyager, profiter de sa jeunesse pour être libre comme l’air, sans aucune contrainte ou obligation. Ce que je comprenais totalement.

Dès que Lizéa termina ses devoirs, non sans avoir tenté à plusieurs reprises d’arrêter, elle courut dans sa chambre mettre son karatégi et sa ceinture blanche. Les pieds dans ses sandales, elle s’assit devant son miroir, les pieds basculant d’avant en arrière, pour que je la coiffe. Afin de faire vite, mais surtout pour que ça tienne, je lui fis une natte unique. L’heure étant passé très vite, c’était déjà le moment de partir pour son cours. Je vérifiais son sac, remplie sa bouteille d’eau et on se dépêcha de rejoindre la voiture.


— Bonjour, Lizéa, l’accueillit son professeur. Enlève tes sandales et va vite rejoindre les autres. Je vais discuter un instant avec ta maman.


Aussi vite que le vent, elle était déjà sur le tatami à courir dans tous les sens.


— Ce n’est pas trop compliqué de faire cours à Lizéa ? Elle n’est pas trop indisciplinée ?

— Contrairement à ce que m’a dit votre femme lors de la première séance, pas du tout. Elle se défoule lors de de l’échauffement et du jeu final, mais sinon elle est très concentrée, elle écoute les consignes et les appliques correctement. J’ai d’autres élèves bien plus indisciplinées qu’elle.

— Vous me rassurez. Ma femme l’entraine aussi, de temps en temps.

— Avec la triple championne d’Eryenne comme professeur, votre fille pourrait s’épanouir dans le Karaté.

— Tant qu’elle trouve un sport qui lui convient, c’est tout ce qui m’importe.

— N’hésitez pas à rester durant la séance. Si vous voulez voir comment elle est ici.

— Avec plaisir. Merci.


Je m’installais sur l’un des bancs mis à disposition et envoyais un message à Océane pour la prévenir que je restais observer la séance de Lizéa. Durant toute la séance, je redécouvris ma fille. Elle était silencieuse, calme et appliquée. Le contraire de la petite fille que j’avais à la maison. Le contraire de la petite fille que la maîtresse avait à l’école. Pendant une heure complète, elle arrivait à rester concentrée sur son activité. Faire du sport lui était vraiment bénéfique. J’avais bien fait de suivre le conseil d’Océane et de l’inscrire au karaté. Ce sport qui lui permettait de se dépenser, mais aussi de passer du temps, seule à seule, avec sa mère.

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