Chapitre 30

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Le plus compliqué dans la préparation de mon retour à la communauté, ça avait été l’annonce à Lizéa. Comme je m’y étais attendu, elle n’avait pas compris, elle s’était énervée et j’avais dû calmer sa crise de larmes. Elle m’avait supplié à plusieurs reprises de l’emmener avec moi, voir même de ne pas partir du tout. Après le départ de Ben, d’Élise et d’Emma, elle voyait le mien comme une trahison. Nous avions essayé, avec Océane, de trouver des solutions qui lui conviendraient. Hormis mon non-départ, nous n’avions trouvé aucun terrain d’entente. Elle en était même arrivée à me dire qu’elle me détestait, ce que je comprenais totalement. Mais je ne pouvais lui en vouloir, c’était différent d’avec Ben. Elle disait ça sous le coup de la colère, parce qu’elle voulait que je reste auprès d’elle. Elle ne voulait pas que je l’abandonne comme son frère et sa sœur.

— Je ne sais plus quoi faire, Océ, avouais-je alors que Lizéa s’était endormie, bercée par sa mère.

— J’ai fait tout ce que j’ai pu pour t’aider, ma chérie. J’ai bien peur qu’il n’y ait aucun changement possible. Elle n’acceptera jamais ton départ. Elle est trop jeune pour comprendre.

— Ça ne me dérangerait pas de l’emmener avec moi, mais avec l’école, ce n’est pas possible.

— Ne te torture pas le cerveau. On a déjà réfléchi à toutes les possibilités. Si tu veux vraiment aller voir ta mère, vas-y.

— Je ne peux pas te laisser Liz dans cet état.

— Je ferais avec. Je trouverais un moyen de la raisonner, de lui faire comprendre que tu vas revenir.

— Je n’ai pas envie qu’il se passe la même chose qu’avec Ben. Je ne veux pas qu’elle s’éloigne si je ne vais pas dans son sens.

— Ça n’arrivera pas. Je ne laisserais pas la situation dégénérer jusque-là.

— Non, elle a raison, je ne devrais pas partir. J’arrête tout et je reste.

— Elena !

J’ignorais le dernier appel de ma femme et m’enfuis de la chambre de ma fille. J’avais trop commis d’erreur avec mon fils, ça n’allait pas recommencer avec ma fille. Je ne pouvais la laisser me détester à cause d’envie personnelle, à cause d’une mère qui m’avait brisée. J’avais besoin de réfléchir. À ce que ma fille avait besoin, à ce que j’étais prête à sacrifier pour elle. Je m’enfermais dans mon atelier, mis de la musique et commença à peindre. Je ne sais pas pendant combien d’heures j’y restais, luttant contre les larmes. J’arrêtais de peindre quand Océane entra dans mon atelier et me pris dans ses bras.

— Je lui parlerais. Je lui ferais comprendre qu’elle n’a pas le choix. Tu vas partir et elle va rester ici, avec moi.

— N’insiste pas, Océ. Elle veut que je reste. J’ai pris ma décision, je n’irais pas.

— Je te dis que tu peux y aller. Je m’occuperais de Liz. On viendra te voir tous les week-ends. Elle ne va pas te détester juste parce qu’elle te voit moins souvent. Ça s’était très bien passé la première fois que tu y es allé.

— J’ai dit non. Arrête.

— Quand vas-tu arrêter de te sacrifier pour les autres ? s’agaça ma femme. Tu ne vois pas que j’essaie de faire tout ce que je peux pour trouver une solution, pour que tu puisses faire ce que tu as envie, quand tu en as envie ? Lizéa n’a que huit ans, Elena ! elle fera ce qu’on lui dit, point final. Ce n’est pas à elle de décider pour nous. Tu veux rejoindre ta mère, tu y vas, c’est aussi simple que ça.

— Non, ce n’est pas aussi simple que ça, Océ ! Si je pars, elle va m’en vouloir. Si je pars, je vais briser la confiance qu’elle a en moi et je vais devoir tout recommencer comme avec Ben. Si je pars, je la perds.

— Bon sang ce que tu peux être têtu ! Tu n’es pas seule, Elena. J’admets que j’ai ma part de responsabilité dans le comportement de Ben quand il avait dix ans, mais ça n’arrivera pas avec Lizéa. Je ne la laisserais jamais te détester. Elle est colère parce qu’elle t’aime. Elle est trop jeune pour comprendre ce monde si compliqué qui l’entoure, on la protège trop bien d’ailleurs. Elle est trop jeune pour te comprendre toi. Arrête de prendre la responsabilité de tous les maux du monde ou tu vas t’en mordre les doigts quand Liz sera adolescente. Elle sait ce qui fonctionne sur toi. Elle n’est pas bête, elle a vu Ben et Élise faire. Et elle recopie exactement le même schéma qu’eux pour avoir ce qu’elle veut, c’est à dire toi auprès d’elle. Tu ne pas partir quinze ans. Tu vas revenir, on viendra te voir tous les week-ends et elle finira par comprendre. Ce n’est pas à elle de décider, appuya-t-elle.

— Tu ne comprends pas, Océane.

— Oh si, je comprends très bien. Tu n’es pas la seule à élever Lizéa. On le fait à deux. Et que tu partes quelques mois, ça n’y changera rien. Je ne veux pas que tu te sacrifies pour nous. Tu l’as assez fait plus jeune. Je veux que pour une fois, tu sois égoïste. Je veux que tu penses à toi et uniquement à toi. Et si Liz doit détester quelqu’un pour ton départ, ce sera moi. J’en assumerais la totale responsabilité.

Nous nous disputions rarement, mais quand c’était le cas, Océane avait toujours le dernier mot. Aujourd’hui encore, c’était le cas. Je n’avais plus aucun argument pour me justifier, pour lui expliquer pourquoi je n’arrivais pas à supporter de voir ma fille s’éloigner de moi à cause d’une simple décision.

— Vous vous disputez à cause de moi ?

On tourna toutes les deux la tête vers la porte, où notre fille se tenait cachée. Je lui tournais le dos, pour lui cacher mes larmes, tandis que ma femme allait lui expliquer. Nous avions une petite fille intelligente comme Océane, mais qui laissait ses émotions être trop libre, parfois au détriment de son entourage.

— On ne se dispute pas, mon cœur, la rassura ma femme.

— Si, vous vous disputez. Je vous ai entendue.

— Excuse-moi, je ne voulais pas…

— C’est de ma faute si maman pleure ? Parce que je refuse qu’elle parte ?

— Je t’ai déjà expliqué, ma chérie. Si maman part, c’est pour aller voir sa maman. Elle en a besoin. Mais ça ne veut pas dire qu’elle ne t’aime plus.

— Je ne veux pas que maman pleure, moi.

— Tu lui ferais plaisir si tu acceptais qu’elle parte.

— Mais…

— Ça suffit, Océ. Elle ne veut pas, je ne pars pas.

— Vous m’agacez toutes les deux ! s’énerva ma femme. Lizéa, tu n’es plus un bébé, arrête de croire que le monde ne tourne qu’autour de toi. Il serait temps que tu comprennes que nous avons aussi nos propres envies et que parfois, elles ne correspondent pas avec les tiennes. Elena, c’est toi l’adulte. C’est à toi de mettre les limites. Tu as envie de quelque chose, fait le et arrête de te trouver des excuses.

Maintenant que Liz s’était fait gronder, ses pleurs et ses cris de colère ont repris. Elle se débat même dans les bras de sa mère. Même si j’avais du mal à l’accepter, je n’avais pas le choix. J’avais pris la décision de retrouver ma mère, je devais m’y tenir. Je devais oublier les conséquences qui en résulteraient, et les assumer qu’à mon retour. J’informais Elise de ma décision de finale, mais aussi de la réaction de sa sœur avant de commencer à préparer ma valise. Pour éviter que la situation n’empire, je devais partir le plus tôt possible. En fin de soirée, j’organisais mon voyage avec le chef de la sécurité puis retrouvais ma famille pour le dîner. Lizéa boudait, elle refusait de manger et encore moins de nous parler. Comme c’était Océane qui l’avait grondée et visiblement punie, je décidais de ne pas interférer. Ma fille finirait tôt au tard par s’en remettre. Sa réaction ne se fit d’ailleurs pas attendre. Alors que ma femme l’avait bordée dans son lit, elle se glissa dans le nôtre au moment où nous nous apprêtions à nous coucher.

— Pardon, mamans, marmonna-t-elle.

— Je te pardonne, ma chérie, ajoutais-je en le prenant dans mes bras.

— Tu vas revenir hein ? Tu ne vas pas me laisser toute seule au château pour toujours ?

— Je te le promets, mon bébé. Est-ce que tu veux que je fasse comme Ben et que je t’envoie régulièrement des lettres ? J’essaierai de trouver quelque chose à dire.

— Je veux bien.

— Ce n’est pas tout, mais au dodo, jeune fille, intervint Océane.

— Je peux dormir avec vous ?

Océane attendit mon approbation pour le lui autoriser. Lizéa nous embrassa chacune notre tour, avant de s’installer entre nous deux, sous la couverture.

— Bonne nuit, mon bébé, lui murmurais-je en lui caressant la tête.

— Tu vois, tout fini par s’arranger.

Lizéa s’endormit rapidement entre nous, remplissant la chambre de ses ronflements. Peu de temps après ma femme et ma fille, je m’endors à mon tour.

- - - - - -

— Tu ne veux pas la réveiller ? Je ne voudrais pas partir sans lui dire au revoir.

— Vas-y, je m’occupe de vérifier que tout est bien organisé pour ton voyage.

Afin de ne pas arriver trop tard à la communauté, j’avais décidé de partir tôt, avant même que tout le palais ne soit réveillé. Mais ça incluait de devoir réveiller ma fille, alors qu’elle était profondément endormie dans mon lit.

— Ma chérie, excuse-moi de te réveiller, mais…

— Tu t’en vas ? marmonna Lizéa, toujours dans les méandres du sommeil.

— Oui, c’est l’heure. Je suis venue te dire au revoir.

— Tu vas me manquer, maman.

— Toi aussi tu vas me manquer, ma chérie.

Je la pris dans mes bras, pour un long câlin. Je séchais ses larmes et attendis, à sa demande, qu’elle se rendorme pour la laisser. Après un dernier au revoir à ma femme, je montais dans la voiture et m’endormis pour pratiquement tous le trajet. Je me réveillais moins d’une heure avant l’arrivée. Comme la première fois, Clémence m’accueillit. Elle m’aida à m’installer dans ma chambre puis me laissa faire. Je connaissais déjà l’organisation de la communauté. Comme je savais exactement pourquoi j’étais venue, je me rendis rapidement dans la salle commune. Ma mère était toujours assise à la même table. Elle me sourit quand elle me vit entrer.

— Puis-je prendre mon petit déjeuner avec vous ?

— Elena ! s’égaya-t-elle. Bien sûr, assis-toi, je t’en prie. Ça me fait plaisir de te revoir.

— Cette fois-ci, je suis venue exclusivement pour vous. Je veux que tout soit mis à plat et qu’on reparte sur de bonnes bases, une bonne fois pour toutes.

— Tu m’en vois ravie.

Je récupérais un plateau et le remplis avant de m’asseoir à côté de ma mère. On resta un moment silencieuse, aucune de nous deux ne savait comment commencer cette conversation. J’alternais entre une observation des membres de la communauté et mon repas.

— Comment tu vas, depuis ton renouvellement des vœux ? finit-elle par commencer.

— Ben et Élise sont partis. Mon fils a décidé de voyager avant de se poser, avant de devenir le potentiel nouveau Roi de Carandis.

— Il va se marier avec l’une des filles de Stephania Alec ?

— Son aînée, Luna. Ils sont juste en couple pour le moment, mais je pense qu’il finira par la demander en mariage à un moment donné. Élise est partie étudier à l’université. Elle suit un cursus d’histoire avec son petit ami.

— Et lui, il vient d’où ?

— D’Eldusia. C’est un réfugié du…

— Système de protection des témoins ? C’est ton père qui l’avait fait mettre en place.

— Il faudra que je vous en reparle plus tard de ça, d’ailleurs.

— On aura tout le loisir de parler de tout ce que tu veux.

— Oh si, aussi, Emma s’est mariée.

— Vraiment ? Avec qui ? J’aurais cru qu’elle resterait avec toi pour toujours.

— Avec le Roi de Thérénia. J’ai officié à leur mariage.

— Je devrais lui écrire une lettre, pour la féliciter. Elle reste ma petite-cousine.

— Je ne sais pas si ça lui fera plaisir.

— Mon psychiatre pense que c’est une bonne idée d’écrire des lettres de pardon, même sans les envoyer. J’ai commencé avec toi pour te dire que j’étais en vie et je me dis que mes parents doivent être les suivants, mais je ne sais quoi leur dire.

— Ça viendra le moment venu.

— Et sinon toi, comment tu vas ?

Je réfléchis un moment à comment je pouvais lui répondre. J’allais bien, j’étais heureuse, ma maladie ne m’avait pas importunée depuis un moment. Mais il me manquait toujours la chose la plus importante. Une mère et sa reconnaissance.

— Je voudrais savoir… comment votre maladie fonctionne. J’ai l’impression qu’elle est différente de la mienne. Parce que vous étiez tous le temps… pas vous, alors que moi, c’est quand j’entends cette voix, qui me retourne le cerveau.

— C’est compliqué à expliquer. J’entends aussi une voix. Je la vois même, parfois. Mais ma maladie était bien trop importante. Comme je n’avais pas vraiment été diagnostiquée et que le Dr Langstone n’était pas un expert…

— Est-ce qu’il aurait pu se tromper ? Est-ce que vous auriez autre chose ? Une maladie différente que la mienne ?

— C’est probable. Tu devrais venir à l’une de mes séances de psychothérapie. Je n’ai plus fait de crise depuis mon arrivée à la communauté alors il se base sur ce que je lui dis, mais il partirait plus sur un trouble de l’identité.

— Ce serait plus logique, en effet. La mère que j’ai toujours connue était totalement différente de celle que vous êtes aujourd’hui.

Je discutais avec ma mère une bonne partie de la matinée et profitais du reste de la journée pour me détendre. Dans ma chambre, j’avais installé mon matériel de peinture que j’avais apporté. Avec un peu de musique douce, je continuais la toile que j’avais commencée avant de partir. Une courte promenade dans les jardins de la communauté m’aida à m’aérer l’esprit, à me délier les jambes, mais surtout à stimuler ma créativité. Comme la communauté fonctionnait autour d’activité, les lieux étaient, la plupart du temps, suffisamment calmes pour me ressourcer. Je n’entendais pas d’enfants qui criaient et couraient dans tous les sens. Il n’y avait pas de domestiques qui discutaient dans les couloirs durant leur temps de travail, entre deux tâches. Il n’y avait plus personne pour me solitaire à chacun de mes pas. Il n’y avait surtout plus de soldats qui rôdaient autour de moi.

Je pouvais enfin prendre le temps de paresser dans les jardins, de peindre, d’avancer sur mes lectures ou tout simplement de réfléchir, assise dans l’herbe sans que personne ne vienne me déranger. J’aimais ma vie au château, mais parfois, je ne la supportais plus. Je ne supportais plus d’être Impératrice, je ne supportais plus d’être bridée dans mes envies par manque de temps. Je n’avais jamais vraiment pris le temps de penser à moi, à ce dont j’avais vraiment envie. Quand je n’étais encore qu’une Princesse, ma mère avait dicté le moindre de mes faits et gestes, elle avait réprimé toute envie personnelle, jusqu’à vouloir réprimer mes propres émotions. En devenant Impératrice, le besoin de redresser un Empire en ruine avait pris le dessus sur tout, d’autant plus après la naissance des enfants. Maintenant que j’avais réduit à voir presque arrêter mes activités de dirigeante, je pouvais enfin faire ce que je voulais, comme je le voulais. Et ça commençait par ne rien faire, par prendre le temps d’écouter les oiseaux chanter, de sentir le vent caresser ma peau, de vider mon esprit de toutes pensées et de tous les questionnements que j’avais dû résoudre au quotidien. La vie d’Impératrice n’était définitivement plus faite pour moi. Il était temps de passer la main et pourtant, je devais attendre qu’Élise termine ses études pour lui confier la couronne. Je ne pouvais revenir sur l’accord que nous avions conclu.

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