Libre
Je suis en apnée contre lui, les mains en appui sur son torse qui semble se mouvoir au rythme de ses déglutitions. J’ai l’impression que sa peau bouge, se tend, se repulpe, comme si son corps se transformait. Mais ce n’est pas cette sensation qui est la plus affreuse. Non, le pire pour moi est cette vague de chaleur qui débute au creux de mon intimité, se propage dans mon bas ventre avant de faire bouillir mon sang dans mes veines. Je ne comprends pas ce que je ressens, c’est à la fois magnifique et terrifiant et je ne parviens pas à savoir si j’ai envie que cela s’arrête ou non.
Je sens ses pectoraux se tendre sous l’effort et un claquement métallique m’indique qu’il vient de se libérer de ses chaînes. Ses mains s’abattent dans mon dos, et me maintiennent contre lui. Je ne peux pas lutter. Je ne le veux même pas. Je veux juste continuer de toucher sa peau, de sentir son corps contre le mien, ses mains brûler mon épiderme à travers mon tee-shirt. Mes doigts glissent dans son dos pour s’y accrocher. Je crois que je gémis mais je n’en suis pas sûre : en cet instant, mon monde est incertain. Seules les sensations qui me traversent existent vraiment. Je bascule en arrière, ployant volontiers sous le poids du monstre qui vient de détacher sa bouche de mon cou. Je sens la rudesse du sol sous mes fesses alors qu’il m’allonge sous lui. Sa bouche glisse le long de mon cou. Je sens son souffle juste au-dessus de ma poitrine. J’ai les yeux clos, et les mains agrippées aux muscles qui saillent de par et d’autre de sa colonne vertébrale…
– Valentine ?
Comment peut-il aussi magnifiquement prononcer mon prénom ? Je gémis pour toute réponse. Ses mains remontent sous mes omoplates pour me soulever légèrement.
– Valentine, revenez.
J’ouvre les yeux brusquement en prenant enfin de l’air. Son visage est à quelques centimètres du mien et, dans la pénombre de la cave, j’ai l’impression que ses yeux ont pris une teinte noisette. Je prends conscience du poids de son corps sur le mien, de ma jambe repliée contre la sienne dans une position bien trop explicite et le rouge me monte aux joues. Alors que je sens mon ventre palpiter contre le sien, je ramène mes mains entre nous et me mords les lèvres de honte. Lui semble beaucoup apprécier la situation. Moi, j’apprécie surtout d’être encore en vie.
– Vous êtes délicieuse, me glisse-t-il à l’oreille avant de se relever d’un seul mouvement, m’entraînant avec lui.
– M… Merci.
Je ne sais pas si je le remercie pour le compliment, pour m’avoir remise debout ou pour m’avoir laissée en vie. Sans parler de ces sensations troublantes qui quittent peu à peu mon corps, à regrets. Je fais un pas en arrière, lisse mes vêtements et constate que je me sens plutôt bien. Je porte la main à mon cou mais n’y sens aucune trace de morsure. Je lève vers lui un regard étonné.
– J’ai fait en sorte que personne ne puisse deviner ce que vous avez fait. Hilgarde vous soupçonnera forcément, mais sans preuve il ne pourra s’en prendre à vous.
Je le détaille sommairement : il a changé. Il n’est plus l’être décharné que j’ai rencontré ce soir. Oh, bien sûr, il pourrait reprendre encore un peu de poids, mais il y a de nouveau de la chair et des muscles sur ses os, et cela lui va plutôt bien. Même ses cheveux ont l’air plus longs et plus fournis. Ce serait me mentir que d’ignorer qu’il est sacrément attirant. Je déglutis et détourne le regard. Dehors, la tempête fait toujours rage : j’entends le volet qui claque toujours tel un métronome déréglé et les sifflements furieux du vent contre la façade.
– Qu’est-ce que vous allez faire ? fais-je en me tournant de nouveau vers le vampire.
Mais, à ma grande surprise, il a disparu. Je sursaute face au vide qu’il laisse devant moi puis, dans un élan de peur irrépressible, je grimpe l’escalier quatre à quatre et referme vivement la porte derrière moi. Où est-il ? Tristan…
Je me rue vers la chambre du petit et ouvre la porte un peu vite. Heureusement, il ne se réveille pas et ainsi ne voit pas la forme accroupie à côté de son lit.
– Non ! dis-je dans un murmure en avançant. Vous avez promis !
Il observe l’enfant endormi et j’ai clairement l’impression qu’il respire son odeur comme le ferait un loup sur la piste d’un gibier de choix. Puis, lentement, il se redresse et se tourne vers moi.
– Je sais.
D’un mouvement bien trop rapide pour que je puisse le comprendre, il ouvre la fenêtre et disparaît alors que le vent s’engouffre avec rage dans la pièce. Tristan se réveille en sursaut alors que je me bats contre les deux battants.
– Valentine ? Qu’est-ce qui y’a ?
D’un coup d’épaule, je parviens à contrer le vent et à refermer la fenêtre.
– Rien, bonhomme. C’est juste le vent qui a réussi à ouvrir ta fenêtre. Elle devait être mal fermée.
– Y’a encore la tempête ? fait Tristan d’une voix pleine de sommeil.
– Oui, mais tu n’as rien à craindre.
Par la fenêtre, j’aperçois la voiture du professeur se garer devant le perron. La panique manque de m’envahir. Le voilà ! Qu’est-ce qu’il va se passer quand il va comprendre que la créature n’est plus là ? Une idée s’impose soudain à moi : si je fais comme d’habitude, il ne pourra rien deviner.
– Voilà papa, rendors-toi, Tristan.
Le petit ne se fait pas prier et je sors calmement de sa chambre avant de courir récupérer mon sac à dos. J’ai tout juste le temps d’arriver dans la grande salle que j’entends la porte d’entrée s’ouvrir. Je pose mon sac sur un fauteuil, l’ouvre, attrape mon ordinateur et compte les pas du professeur. Quand il pénètre dans la pièce, je lui adresse un sourire en rangeant mon ordinateur dans mon sac à dos.
– Bonsoir, professeur. Vous avez passé une bonne soirée ?
Il me fixe sans rien dire et j’ai l’impression qu’il sait tout. Mais comment pourrait-il savoir ? Je continue de sourire en refermant mon sac. Puis, je m’approche de lui comme pour sortir.
– Et vous, Valentine ?
– Sans souci : Tristan est toujours aussi mignon. J’ai même pu réviser un peu mon partiel d’histoire. Cela aurait été parfait sans cette coupure de courant.
Mais pourquoi ai-je amené le sujet ? D’un autre côté, cela m’est venu naturellement et, s’il n’y avait pas eu la créature en bas, j’en aurais sans doute parlé… Je passe devant le professeur et attrape mon manteau dans le couloir. Je l’enfile sans le regarder. Je suis habituée à ses longs silences, mais celui-ci finit par me mettre mal à l’aise. Et je suis certaine qu’il le sent… Je me tourne vers lui. Je n’ai pas besoin de me forcer pour avoir l’air ennuyée.
– Professeur, je peux vous poser une question ?
Ses yeux se plissent. Je prends cela pour un oui.
– Eh bien, je ne voudrais pas que vous me trouviez trop curieuse, mais quand je suis descendue à la cave toute à l’heure…
Je piétine un peu sur place, le cœur battant. Je me trouve gonflée mais je suis certaine que ça va marcher.
– Oui, Valentine ?
– Et bien, sur le mur du fond, j’ai vu des chaînes et je me demandais, enfin, ça ne me regarde pas, mais à quoi elles pouvaient servir dans le temps ?
Je le vois blêmir alors que sa lèvre inférieure tremble légèrement sous sa moustache blonde.
– Vous avez vu les chaînes… Et vous n’avez rien remarqué de particulier ?
Je réfléchis, ou tout du moins je fais semblant.
– Non. Elles étaient cassées, mais après je n’ai pas été voir de plus près. Je n’étais pas très rassurée, finis-je avec un peu rire idiot.
– Oui, je comprends. Bon, je vais vous laisser partir. Prenez garde à vous par ce mauvais temps.
– Oui, bien sûr. Bonne nuit, professeur.
Je croise un instant de panique dans ses yeux alors qu’il referme la porte de sa demeure, me plongeant dans un monde de sifflements, de craquements, et de bourrasques inédit.
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