Invitation
L’eau ruisselle le long de mon corps et j’espère qu’elle entraîne avec elle toutes ces impressions horribles qui semblent s’y être collées. Cela fait trois fois que je me savonne, que je tourne le robinet d’arrivée d’eau pour qu’elle brûle de plus en plus ma peau, mais je ne me sens toujours pas propre. Pourtant, malgré un traumatisme très présent, Clémentine et moi avons tout de même échappé au pire. Les hommes n’auront pas eu ce qu’ils voulaient et nous sommes assurées de ne jamais recroiser leur route. Pour autant, je sens toujours les doigts de mon agresseur s’immiscer contre mon pubis et des larmes coulent dès que j’y pense.
Je glisse mon visage sous le jet en serrant les dents. Ça suffit ! Je m’en sors bien, encore une fois. Il faut passer à autre chose. Je coupe l’eau, empoigne une serviette et m’enveloppe sommairement. Comment va Clémentine ? Nous avons chacune une petite salle de bain attenante à notre chambre et je ne l’ai pas revue depuis que nous sommes rentrées. Sans doute se trouve-t-elle dans le même état que moi. Peut-être même encore plus terrifiée d’avoir rencontré mon ami. Un ami ? Est-ce vraiment ce qu’il est pour moi ? Est-ce qu’un ami se trouverait toujours au bon endroit et au bon moment pour vous sauver la vie ?
Cette pensée me trouble et je décide de remettre son exploration à plus tard. J’éteins la lumière de la salle de bain et pénètre dans ma chambre. La pièce est plongée dans l’obscurité et bénéficie de la lueur bienvenue de la lune. Il fait clair cette nuit et le gel qui envahit toutes les pelouses et les toits alentour renforce cette impression. Mais soudain, une ombre assombrit la chambre. Je sursaute et me tourne vers la fenêtre pour y découvrir qu’une silhouette y est accrochée. Je me rue sur les battants et les ouvre en grand, paniquée à l’idée qu’il puisse tomber. Mais le vampire est solidement ancré au mur avec ses griffes.
Je déglutis, tentant d’avaler ma bêtise et ma naïveté en une seule fois. Je viens d’ouvrir la fenêtre de ma chambre à un vampire et son regard parcourt déjà la pièce qui me sert de refuge depuis des semaines. Ayant satisfait sa curiosité, il repose les yeux sur moi.
– Je voulais m’assurer que vous alliez bien.
– Ça va.
Je frissonne mais le froid y est pour beaucoup.
– Si je rentrais, vous pourriez refermer la fenêtre et éviter un bon rhume.
Je plisse les yeux, soudain étonnée par le fait qu’il ne soit pas entré de lui-même.
– Et pourquoi ne le faites-vous pas ?
Son regard me pénètre et je sens de coupables picotements se propager depuis mon intimité.
– J’attends que vous m’y invitiez.
J’entrouvre les lèvres, frappée par cette révélation. Se pourrait-il que les légendes disent vrai ?
– Et si je ne le fais pas ?
– Je resterai accroché à votre fenêtre et vous attraperez froid.
J’ai tellement envie de lui dire d’entrer, de refermer derrière lui puis de m’allonger sur le lit que mon cœur s’en tord de douleur dans ma poitrine. Mais une autre image, bien plus présente, se glisse par-dessus celles de mon imagination : la vision de ses crocs se plantant dans une gorge humaine. Mon souffle s’accélère alors que je m’approche de lui. Je lève la tête pour le fixer, car, accroché ainsi, il me domine d’une bonne trentaine de centimètres. Il se penche et ses lèvres sont une terrible tentation pour moi.
– Peut-être serait-ce plus prudent que je ne vous invite pas ? osé-je dans un souffle.
Ces mots me font mal, physiquement. Ils hérissent tous les poils de mon corps, frappent mon estomac, me nouent la gorge. Suis-je vraiment en train de repousser celui que j’appelle dans mes rêves chaque nuit ? Il se penche encore un peu plus. Son souffle frôle mon visage, ses lèvres à deux doigts des miennes.
– Peut-être… concède-t-il. Espérons que vous ne le regretterez pas ensuite.
Il est toujours sur l’extérieur de ma fenêtre, une main agrippée sur l’un des côtés, l’autre à la rambarde, les deux pieds posés sur les rebords. Aucune partie de son corps ne dépasse le montant de l’huisserie. Est-il vraiment incapable de rentrer chez moi ? Je pense à Clémentine : que dirait-elle si elle savait que j’étais sur le point de permettre à un vampire de pénétrer dans notre appartement ? Elle serait contre, j’en suis certaine. Je soupire, le visage tendu vers lui. J’ai tellement envie de goûter à nouveau ses lèvres…
– Je l’espère aussi.
D’un même mouvement, nous franchissons les quelques centimètres qui nous séparent encore et sa bouche se plaque sur la mienne. Comme la première fois, j’ai la sensation que tout mon corps essaye de rejoindre le sien pour se fondre en lui, mais je résiste. Je saisis les battants des fenêtres alors que ses lèvres contraignent les miennes à s’ouvrir. Le froid de l’hiver ne peut contrer la vague de chaleur qui me traverse. C’est aussi délicieux que de plonger dans un bain trop chaud, aussi voluptueux qu’un voile qui glisserait sur ma peau, et je ne peux lui refuser un baiser plus profond.
Sa langue joue dans ma bouche comme s’il la connaissait déjà et un gémissement m’échappe alors que cette caresse se propage à tout mon êtreorps. Des images d’une sensualité nouvelle pour moi frappent à la porte de ma conscience. Nos corps nus, enlacés, sa bouche qui découvre avec lenteur chaque parcelle de mon anatomie. Comme dans mes rêves. Mais cela aussi est un rêve : comment pourrais-je devenir la petite amie d’un vampire ? D’un tueur…
Avec un gémissement de désespoir, je m’arrache à sa bouche et referme brutalement les battants de la fenêtre. Il se recule juste à temps et plaque une main contre la vitre en me lançant un regard noir. Je tire le lourd double rideau pour faire disparaître le vampire de ma vue, puis je m’écroule sur mon lit. Un grognement fait écho à mon premier sanglot.
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