Subterfuge

7 minutes de lecture

Je résiste. Ses paroles m’ont frappée telle la foudre, m’incitant à rester lucide. Il est donc conscient de ce qui se passe ? Qu’attend-il de moi ? Je le sens me pousser vers le sol. Je ploie sous lui, attrapant son dos pour amortir une chute brutale. Au dernier instant, il glisse une main sous ma tête et mes hanches pour m’éviter un contact trop rude avec le sol. Je commence à espérer revoir la lumière du jour : ma dernière heure n’est peut-être pas venue. Son corps couvre entièrement le mien et sa bouche n’a pas lâché ma gorge, mais, à présent que je suis plus alerte, je me rends compte qu’il ne s’y abreuve plus.

Sa main court le long de ma cuisse et je comprends enfin ce qu’il veut faire. Je fais mine de me débattre en le frappant dans le dos tout en ramenant mes jambes sous moi. Bingo : ses doigts se sont refermés sur le fin bracelet métallique qui enserre ma cheville et je l’entends céder sous la pression. Je suis libre ! Pourtant, il ne se relève pas. Il gesticule en grognant au-dessus de moi comme s’il m’arrachait la gorge, provoquant un courant de panique dans tout mon être. Soudain, un murmure glisse à mon oreille.

– Vous mourrez. Surtout, ne bougez plus jusqu’à ce que je sois de nouveau conscient.

Pourquoi ne serait-il plus conscient ? Je scelle mes lèvres, refusant de faire échouer son plan par une question idiote, et je gémis de douleur. Puis, je laisse mes bras s’amollir et retomber de chaque côté du vampire. Il se redresse brutalement, tout en ramenant l’un de mes bras au-dessus de mon visage. Je suis tournée sur le flanc. Je tente de maîtriser mon souffle tandis qu’il se rue sur notre geôlier.

Une détonation me fait sursauter, mais je réussis à ne pas bouger davantage. J’entends un bruit sourd puis un petit rire sadique. Hilgarde avait un fusil avec lui et je ne l’avais pas vu ! J’inspire discrètement pendant que le professeur se déplace dans la cave. Je l’entends traîner le corps du vampire jusqu’au fond de la pièce, dans un bruit de chaînes épouvantables. J’expire pour me calmer. J’ai envie de pleurer tant la panique me gagne. Et s’il venait vérifier que je sois bien morte ? S’il me tuait en s’apercevant que non ?

Hilgarde retourne aux commandes de la manivelle pour raccourcir les chaînes de son prisonnier. Ensuite, il s’approche de moi. Je ne bouge plus, respirant à peine. Je pense qu’il s’accroupit à mes côtés pour me parler.

– Vous fûtes parfaite, jolie Valentine. Dans une heure, notre ami sera de nouveau sur pied et vous serez morte. On verra s’il résiste au désir de vous ressusciter…

Il se relève. Le bruit de ses pas s’éloigne de moi. L’escalier en bois grince sous son poids. J’ai envie de me redresser mais je me souviens qu’une caméra doit nous espionner. Cependant, je pense avoir compris le plan du vampire et, malgré quelques fourmillements qui s’installent, je ne bouge pas.

Les minutes passent, dans un silence terrifiant. Et s’il ne se réveillait pas ? Si Hilgarde s’apercevait que je n’étais pas en train d’agoniser ? Je calme du mieux possible les battements précipités de mon cœur en songeant au bonheur de retrouver ma famille. Oh, bien sûr, ils ne sauront jamais à quel point je serai heureuse, mais peu importe. Je prends conscience de la fragilité de mon existence et du fait qu’elle puisse s’interrompre soudainement. Une envie de vivre puissante roule au fond de mes entrailles, inondant tout mon être. Plus jamais je ne tergiverserai ni ne me priverai de quoi que ce soit : la vie est bien trop courte pour être petite !

Combien de temps s’est-il ainsi écoulé alors que je plongeais dans une nouvelle philosophie de vie ? Je l’ignore jusqu’à ce qu’un râle attire mon attention. Je jette un regard par-dessus mon bras pour découvrir le vampire remuer au bout de ses chaînes. Il reprend connaissance. L’action va pouvoir reprendre.

Il prend appui sur ses coudes et relève la tête. Nous nous observant brièvement avant que je referme les yeux. Un hurlement bestial emplit l’espace me poussant au bord de l’évanouissement : ce son n’a rien d’humain. Ses inflexions me font dresser les poils de mes bras. J’ai beau savoir que tout ceci est prémédité, je tremble légèrement. Un nouveau rugissement s’élève dans la pièce, suivi d’un cliquetis métallique.

– Valentine !

Le vampire semble fou de douleur à la vue de mon corps inerte. Mon cœur souffre en silence tellement tout paraît vrai. Je perçois du bruit dans l’escalier : Hilgarde est de retour.

– C’est votre œuvre, annonce-t-il sans une once d’émotion.

– Qu’est-ce que vous avez fait ?

Sa voix est un coup de tonnerre qui résonne de mur en mur. Je résiste à l’envie de rentrer la tête dans les épaules. Un cliquetis sinistre me fait comprendre que le professeur tient une arme devant lui.

– On se calme. C’est vous qui avez ôté la vie à cette jeune fille. Vous regrettez ?

Bruit de chaînes. Un filet de voix gémissant s’élève dans la pièce.

– Valentine…

Le professeur actionne la manivelle. Le vampire s’approche de moi, lentement. Un instant plus tard, ses bras m’enlacent, créant une galopade inopinée dans ma poitrine. Mais mon visage reste de marbre. Tournés ainsi, je sais que le professeur ne nous voit pas. J’imagine facilement sa frustration…

Le vampire se penche vers moi et me berce. Un murmure s’échappe de ses lèvres.

– Ne bougez pas, Val…

J’opine à peine, il me serre un peu plus fort : on s’est compris. Puis, il se tourne vers le professeur.

– Si je la ramène, promettez-moi de nous libérer.

– Seulement si vous m’expliquez le processus.

Les deux hommes se jaugent du regard tandis que je joue toujours la belle au bois dormant entre les bras de celui que j’aime. Pourquoi refuser l’évidence ? Nos destins sont visiblement liés et nier cette réalité ne m’apporterait qu’amertume et déception. Je manque de sourire face à cette révélation, mais conserve mon sérieux.

– D’accord. J’ai besoin d’un couteau et du sang que vous m’avez pris.

Je suis certaine que Hilgarde sourit même si je ne l’ai jamais vu esquisser le moindre rictus amical. J’imagine sa petite moustache remonter sur le côté et ses paupières se plisser de satisfaction. C’est à vomir. Je l’entends repartir vers l’escalier de la cave et manipuler des objets. Le vampire en profite pour nicher son visage dans mon cou.

– Prête ? Quoiqu’il se passe, vous seule pourrez me libérer. Il y a un bouton, au milieu de la manivelle…

Nouveau hochement de tête discret de ma part alors que le professeur revient vers nous. Soudain, tout va très vite. Je sens notre geôlier s’arrêter brusquement, réalisant trop tard qu’il commettait une erreur : il s’est bien trop approché de nous, pénétrant dans le champ d’action de son prisonnier. Le vampire me lâche pour se ruer sur lui. Je me redresse pour ôter l’entrave abîmée à ma cheville, et me mets debout sans quitter la scène des yeux. Notre geôlier n’avait aucune chance : on ne peut pas commettre la moindre erreur face à une telle créature. Le vampire l’a attrapé par sa blouse et soulevé de terre comme s’il ne pesait rien. Puis, d’un geste négligé, il envoie le professeur s’abattre contre l’un des murs.

Je me rue vers la manivelle et la prends en main. Effectivement, la partie centrale est découpée et doit pouvoir être enfoncée. Je me tourne vers les deux hommes, la paume sur le bouton, mais je me fige. Le vampire a ramassé le corps de Hilgarde et l’enserre dans une étreinte mortelle. Malgré ses yeux qui paraissent vouloir sortir de leurs orbites, l’homme parvient à parler.

– Arrêtez ! C’est de votre faute… Ma femme… ne méritait pas ça…

– Je ne l’aurais pas tuée si vous ne m’aviez pas poussé à le faire. Vous êtes un fou !

– Mon fils…

Je porte la main à ma bouche : Tristan ! Je l’avais oublié ! Où est-il à cette heure-ci ?

– Ne vous inquiétez pas, je m’en charge aussi, gronde le vampire.

Sa prise se resserre et je vois le corps du professeur basculer en arrière dans une position impossible. La nausée me saisit : je préfère détourner les yeux. Les paroles du vampire tournent en boucle dans ma tête tandis qu’un bruit sourd retentit. Je sais d’instinct que le professeur git à quelques mètres de moi. Je déglutis pour tenter de contenir mon émotion puis fixe son bourreau. Il me regarde, le visage grave. Ma main tremble sur le centre de la manivelle : je n’ai pas actionné le bouton qui doit le libérer. Dois-je l’aider une nouvelle fois ?

Mon sang bat contre mes tempes à m’en faire mal, amenant avec lui une angoisse sourde qui me serre la gorge. Et si je commettais une erreur ? N’a-t-il pas dit à l’instant qu’il voulait tuer Tristan ?

Il s’avance dans ma direction, mais je l’arrête d’un geste. Nos regards se nouent, chacun en quête de la vérité.

– Vous ne ferez rien à Tristan.

Ce n’est pas une question, c’est une condition. Il acquiesce.

– Cet enfant n’a rien à craindre. Ce n’était qu’une menace.

Je marque une pause fébrile. Mon regard se porte sur le cadavre du scientifique.

– Et comment on va expliquer tout ça ? demandé-je avec une voix bien plus aigüe que ce que j’aurais aimé.

– Je vais faire disparaître le corps du professeur. J’ai des amis qui pourront s’occuper de son fils. S’en occuper comme il faut, précise-t-il en voyant une ombre inquiète dans mon regard. Des gens bien, Valentine, des personnes habituées à gérer ce genre de situation.

– Mais qu’est-ce que je vais raconter autour de moi ?

– Rien. Vous allez simplement rentrer chez vous. Et dans quelque temps, quand la police recherchera Tristan et son père, vous direz simplement que la dernière fois que vous les avez vus tous les deux, c’était aujourd’hui et que tout allait bien.

Je respire à fond. Cette solution me convient. Je ne me sens plus capable de mentir : j’ai trop fait semblant ces dernières semaines. Quant à Tristan, je crois le vampire quand il dit qu’il sera sain et sauf. J’enfonce le bouton de la manivelle. Un bruit métallique m’indique que le vampire s’est libéré de ses entraves. Deux bras m’enserrent dans la seconde qui suit, provoquant l’arrivée de larmes incontrôlables.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Enricka Larive ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0