Une seule nuit - partie 1

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La tension est palpable. Je résiste à l’envie de me jeter sur lui parce que franchement, non, ça ne se fait pas ! De son côté, je me demande s’il me dévore des yeux pour les mêmes raisons ou si une autre soif l’habite. Son trouble accentue le mien, cependant je me ressaisis : on doit parler de tout cela. On prend une large inspiration de concert, je recule alors qu’il porte son regard vers mon bureau.

– Pourquoi est-ce que vous êtes là ? osé-je enfin.

Il met un moment à me répondre, cherchant visiblement ses mots.

– C’est un peu compliqué à expliquer.

– Essayez tout de même.

Il prend ma main et, alors que c’est sans aucun doute la dernière chose raisonnable à faire, nous nous asseyons au bord de mon lit. Ses doigts brûlent ma peau, me donnant l’envie d’y entrelacer les miens avant de le faire basculer sur mon matelas, à ma merci. Mais, bien sûr, je ne permets à aucune de ces images de franchir la barrière de la simple pensée.

– Le fait que j’ai bu votre sang, à deux reprises, a créé un lien entre nous.

Direct. Clair. Net. Et tellement évident quand j’y repense. Je décide de jouer cartes sur table moi aussi.

– C’est pour cela que je rêve de vous toutes les nuits ?

Son regard s’éclaire d’un intérêt nouveau alors que ses lèvres s’entrouvrent pour me répondre. Mais il se ravise. Il ne joue pas le jeu ? La colère gronde de nouveau dans ma poitrine.

– Ne mentez pas !

– Oui, c’est possible même si je trouve cela assez… particulier.

– Particulier ?

– Peu commun.

Un ange passe. Je réfléchis à ce qu’il m’avoue à mi-mots : nous aurions donc un lien qui n’est pas habituel ? Pourquoi ?

– Ce n’est pas comme ça, d’habitude ?

– Non, Valentine.

Son visage reflète son sérieux, mais l’éclaircie dans son regard est toujours présente : il me couve des yeux au point qu’une discrète chaleur titille mon bas-ventre. Non, non, ce n’est pas le moment de céder : je veux comprendre.

– Alors, c’est comment d’habitude ?

– Les… Les humains que l’on mord ne créent pas un lien aussi fort, du moins pas au bout de deux morsures. Cela peut se produire avec des personnes qui nous fréquentent régulièrement, mais ce n’est pas aussi… aussi…

Il cherche ses mots. De quoi a-t-il peur ?

– Aussi chaud ?

Je rougis jusqu’à la pointe des racines, mais les mots sont sortis tout seuls. Il passe la langue sur ses lèvres et son pouce caresse le dessus de ma main. Mon cœur accélère.

– On va dire intense, me reprend-il.

Je déglutis. Chaud me paraissait tout à fait approprié si je me fie à ce que je ressens actuellement. J’ai presque envie de me relever ouvrir la fenêtre. Je me demande si lui aussi rêve de moi. Allez, au point où j’en suis…

– Vous rêvez de moi aussi ?

– À chaque fois que je tente de dormir. Mais là n’est pas le problème.

– Alors c’est quoi, le problème ?

Ma voix est descendue de deux octaves sans mon autorisation. Je me consume de l’intérieur. Je me liquéfie entre ses doigts. Nos genoux se frôlent, mais je me sens physiquement bien trop loin de lui. Comment lui expliquer tout cela sans passer pour une nymphomane ? Ou alors, peut-être suis-je une nympho… ?!

Sa main libre vient ramener une mèche de mes cheveux derrière mon oreille, glisse sur ma joue et je penche la tête pour me nicher au creux de sa paume, les yeux mi-clos. Je veux que cet instant se fige pour l’éternité. Il suspend son geste, caresse ma tempe. Ma gorge se noue.

– Le problème, c’est que vous êtes si jeune, Valentine…

J’ouvre les yeux sans pouvoir empêcher les larmes d’y faire leur apparition. Non ! Il ne peut pas me renvoyer cela ! Pourquoi ? Il aime les filles plus mûres ? Celles qui ont déjà de l’expérience ? C’est ça ? Moi, je ne suis qu’une putain d’oie blanche ?

– Non, ne pleurez pas, je ne voulais pas vous blesser…

Trop tard. Mais je prends sur moi et évite sa main en me relevant. Oui, je suis blessée. Mais il ne va pas s’en sortir ainsi. Je le toise, légèrement appuyée contre mon bureau.

– Si j’avais su que pour finir avec un type qui me plaît il fallait que je me tape tout un régiment, je vous promets que j’aurais réfléchi à deux fois avant de larguer mon dernier copain !

Mes paroles pleines de hargne le surprennent. Enfuie la douce Val, évaporée la gentille cruche qui l’a libéré, il ne reste qu’une femme amère en cet instant. Enfin, une femme, si on peut dire puisque, visiblement, je n’en suis pas une à ses yeux. La surprise passée, il se redresse à son tour pour me faire face. Son visage s’est durci et je sens mon cœur se fissurer de nouveau. Je vais le perdre. Encore. Je ne pourrai pas le supporter. Encore.

– Je n’ai pas dit cela.

– Non, mais je suis trop jeune pour vous !

Il soupire, les poings serrés, les yeux au ciel. Il perd patience. Il est dangereux dans ces moments-là. Je le sais. Je m’en fous. Je préfèrerais encore qu’il me tue plutôt que de vivre la fin de scène qui s’annonce. Si je le perds, je n’ai plus grand-chose à perdre ensuite.

Il finit par poser de nouveau ses yeux rubis sur moi.

– Vous vous rendez compte à quel point c’est compliqué d’être avec vous ?

Un éclat de rire ironique franchit mes lèvres.

– Compliqué ? Vraiment ? Mais qu’est-ce qui était vraiment compliqué, dites-moi ? De choisir de vous libérer ? De vous laisser boire mon sang ? De supporter l’idée de ne plus jamais vous revoir ? De vous revoir, finalement ? D’être kidnappée ? De croire que j’allais mourir ? De vous perdre de nouveau ? De rêver de vous toutes les nuits au point d’avoir mal à en crever ? Hein ?! Mais dites-moi, Monsieur le vampire qui avez tant d’expérience, dites-moi ce qui est si compliqué ?!

Ma voix se brise dans les aigus. Les larmes gagnent notre bataille intérieure. J’en ai tellement assez de souffrir… Autant qu’il parte, maintenant.

Contre toute attente, c’est le contraire qui se produit. Je me retrouve plaquée contre lui, prisonnière de ses bras, de sa bouche qui pose mille baisers sur mon visage, de son souffle qui me murmure cent fois « pardon ». Je pleure. J’ai le droit. Je laisse toute ma douleur sortir de chacun des muscles traumatisés depuis des semaines par les cauchemars, les sanglots, la peur. Il me berce. Je ferme les yeux. Le temps s’arrête, l’espace d’un battement synchrone de nos cœurs.

Quand je relève la tête, je découvre son regard rubis brillant de tendresse. C’est la première fois que je lis cette émotion en lui et j’en ai le souffle coupé. Ce n’est plus le rouge du sang qui parle, mais celui de la passion. Je frissonne.

– Ce qui est compliqué, Valentine, reprend-il dans un murmure, c’est que vous avez tellement de choses à vivre parce que vous êtes si jeune. Je ne veux pas vous empêcher de mener cette vie comme vous l’entendez. Vous avez vos études, votre famille, votre amie Clémentine et…

– Je ne veux pas vous perdre.

– Bon Dieu, Val… Ma vie n’est pas pour vous.

– Qu’en savez-vous ?

– Vous voulez devenir une vampire ?

Un frisson glacé me traverse. Je n’avais jamais pensé à cela. Mon regard étonné est la seule réponse que je peux fournir sur le moment.

– Voilà pourquoi c’est si compliqué. En restant proche, je vous mets en danger. Hilgarde n’est pas l’unique fou sur cette planète, Val.

– Je peux aussi être en danger sans cela, comme dans le parc.

Il fronce les sourcils. Sa voix dissimule mal un grondement mécontent quand il reprend la parole.

– Je m’assurerai qu’il ne vous arrive jamais rien.

– Ce n’est pas ce que je veux.

Je sens ses mains caresser mon dos, resserrer légèrement leur étreinte, et je me plaque un peu plus contre lui. Enfin, quoi ? C’est impossible qu’il ne comprenne pas ! Il faut vraiment que je lui dise que j’ai envie de lui, au risque de piquer de nouveau un fard ? Je me glisse dans son cou, la gorge serrée par ce que j’envisage d’avouer.

*** à suivre en partie 2 ***

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