Chapitre 21 - Le mur blanc

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La porte coulissa derrière lui dans un souffle discret, refermant le monde extérieur.
Le froid du matin ne l’avait pas quitté. Il s’était infiltré dans sa nuque, glissant entre les fibres de son manteau usé, se logeant dans sa colonne comme une traînée d’incertitude.

Il n’y avait ni voix pour l’accueillir, ni regard posé sur lui. Le vieux maître était là, assis en silence contre le mur est, le dos appuyé à la pierre, les bras croisés sur la poitrine. Son regard était fixé droit devant lui, mais il savait. Il avait senti l’entrée de Takuya. Il n’avait pas besoin de le voir.

Takuya avança lentement. Le sol, nettoyé depuis la veille, ne conservait aucune trace. La fissure ? Disparue. La craie éclatée ? Balayée. Le demi-cercle maladroit ? Effacé comme une faute dans un carnet d’élève. Il y avait quelque chose de presque cruel dans cette neutralité : comme si rien de ce qu’il avait accompli la veille n’avait eu de valeur. Comme si la pierre elle-même refusait de se souvenir.

Il s’arrêta au centre de la salle.

Le vieux leva enfin les yeux. Pas pour le saluer. Juste pour parler.

— Aujourd’hui, tu traces.

Pas d’autre explication.

Takuya hocha la tête, par automatisme.

— Assieds-toi.

Il se baissa lentement, mais le vieux leva une main.

— Non. Pas cette fois. Tu ne médites pas. Tu ne sens pas. Tu ne calcules pas. Tu traces.

Il se leva, fit quelques pas vers le fond de la pièce et désigna un pan de mur nu.

— Là.

Takuya s’approcha. Le mur semblait différent du reste. Plus lisse. D’un blanc mat presque lumineux, sans être artificiel. Une surface de pierre aux nervures si fines qu’on aurait pu croire à du verre figé. Il leva la main, caressa du bout des doigts cette paroi étrange.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.

— Ce mur écoute.

— Pardon ?

Le vieux se posta derrière lui, les bras derrière le dos.

— Ce n’est pas une surface pour enseigner. C’est une surface pour inscrire. Mais elle ne retient rien qui ne vienne pas de toi.

Takuya plissa les yeux.

— Une surface magique ?

— Non. Une surface qui reconnaît. Elle garde les gestes vrais. Elle efface les gestes vides.

Il lui tendit une fine craie, semblable à celle de la veille. Mais cette fois, le cœur semblait légèrement scintiller, comme si un fragment de lumière s’était logé à l’intérieur.

— Cette craie vient d’un éclat de la Tour. Infusée de mémoire. Si ton geste résonne… il restera.

Takuya prit l’outil avec précaution. Il sentit aussitôt une pulsation douce, comme un rythme très lent, très bas, presque vivant.

— Et si je trace mal ?

— Il ne restera rien.

Le silence retomba.

Il se tenait là, face au mur blanc, une craie chargée d’attente dans les doigts. Et il ne savait pas quoi faire. Pas parce qu’il ne connaissait pas de symbole. Il en connaissait des dizaines. Il en avait vu sur les stèles, dans les manuels abandonnés, dans les fragments d’inscriptions à demi-effacées au sein même de la Tour.

Mais il savait déjà : aucun de ces symboles ne fonctionnerait ici.

Pas tant qu’ils n’étaient pas vivants.

— Tu attends quoi ? lança le vieux dans son dos.

— Une consigne, admit Takuya.

— Mauvaise réponse.

Il y eut un long silence.

Puis :

— Tu continues de vouloir faire juste. Mais ici, il n’y a pas de juste. Il n’y a que sincère.

Takuya serra la craie.

Il avait envie de dire qu’il ne savait pas par où commencer. Qu’on ne construit pas un langage sans grammaire. Qu’on ne parle pas sans savoir à qui on s’adresse.

Mais en vérité, ce n’était pas ça le problème.

Le problème, c’est qu’il avait peur de ne rien dire du tout.

Il inspira, bloqua son souffle, et posa la craie contre la paroi.

Rien.

Ni chaleur, ni vibration.

Il traça un petit cercle, hésitant. La craie glissa doucement, traça une courbe pâle.

Quand il eut terminé, il recula d’un pas.

La ligne s’effaça.

Comme si elle n’avait jamais existé.

— Mauvais, dit le vieux derrière lui. Trop vide.

— Je l’ai tracé correctement. La pression, l’angle, la fluidité...

— Tu l’as dessiné. Tu n’as rien dit.

Takuya baissa la main.

Il essaya une autre forme. Un arc. Une spirale. Une étoile.
À chaque fois, le résultat était le même : la ligne apparaissait… puis se dissolvait.

Pas rejetée. Pas brûlée. Juste… ignorée.

Le mur ne rejetait pas. Il oubliait.

— Pourquoi ça ne reste pas ? demanda-t-il enfin.

— Parce que tu veux comprendre avant de tracer. Mais ici, c’est en traçant que tu comprendras.

Takuya ferma les yeux. Il entendait encore les mots du vieux résonner en lui. "Tu veux faire juste."

Et s’il traçait mal ? Et si le symbole était laid ? Tordu ? Sans effet ?

Et si…

Et si tu laisses enfin ton corps parler ?

Il ouvrit les yeux.

Le mur était là.

Il leva la craie. Cette fois, lentement. Et au lieu de penser à un symbole, il pensa à un ressenti. Il repensa à la chaleur qui avait parcouru sa colonne vertébrale quelques jours plus tôt. À cette vibration qui l’avait traversé, ce moment juste avant l’éclatement. Ce n’était pas un sort. C’était un appel.

Il laissa son bras bouger. Non pas pour tracer une forme. Mais pour donner une direction à ce souvenir.

Et il traça.

Un trait simple.
Puis une inflexion.
Puis un repli, à peine marqué.
Un geste fluide, doux, hésitant… mais vivant.

Il se recula.

La ligne resta.

Pâle. Fragile. Mais présente.

Elle ne brillait pas.
Elle ne pulsait pas.

Mais elle n’était pas effacée.

— C’est un début, dit le vieux, presque dans un souffle.
— Tu viens de faire ta première trace sincère.

Takuya ne répondit pas.
Il regardait la marque.
Elle n’était rien. Et pourtant, elle lui appartenait.

---

Le trait pâle sur le mur ne brillait pas.
Il ne vibrait pas.
Il n’appelait aucune attention.
Et pourtant, il résistait. Il tenait.

Takuya ne détournait pas les yeux. Il n’en avait pas la force, ni même l’envie. Il avait tracé quelque chose qui n’était ni exact, ni académique, ni symboliquement chargé. Ce n’était ni une rune, ni une barrière, ni une incantation.

C’était… un souffle.
Un ressenti.
Un fragment de mouvement qui venait de plus profond que ses idées.

Il avait simplement laissé son bras parler.

Et pour la première fois, la pierre l’avait écouté.

Le vieux n’avait pas commenté davantage. Il s’était contenté de le regarder un instant, puis de s’asseoir à nouveau contre le mur opposé, les bras croisés, les yeux à demi clos. Il semblait satisfait, ou du moins… pas déçu.

Et cela suffisait.

Takuya, lui, restait debout, sa main encore tendue, les doigts tachés de poussière bleutée. Il recula d’un pas, contempla le tracé. Il ne cherchait pas à le comprendre. Pas tout de suite. Il voulait l’imprimer en lui, comme une pulsation.

— On continue, lança le vieux sans ouvrir les yeux.

Takuya tourna lentement la tête.

— Qu’est-ce que je suis censé faire ?

— Recommencer. Encore et encore. Jusqu’à ce que ton bras se souvienne à ta place.

Il marqua une pause, puis ajouta :

— Le corps retient ce que l’esprit n’arrive pas à formuler. Il trace avant de comprendre.

Takuya hocha lentement la tête.

Il comprenait cette logique. L’apprentissage par la répétition, par la mémoire musculaire. Il l’avait expérimentée autrefois, dans ses travaux manuels, quand il fallait assembler des instruments à la main, quand il fallait répéter mille fois le même geste pour stabiliser une expérience.

Mais cette fois… il ne s’agissait pas de science.
Il s’agissait de lui.
Et de quelque chose qui coulait sous sa peau.

Il se tourna de nouveau vers le mur.
Le trait pâle semblait plus fort maintenant. Non pas en intensité, mais en présence. Il s’imposait dans l’espace sans violence, comme un murmure constant dans une salle silencieuse.

Il inspira.

Et recommença.

Un second trait.
Puis un troisième.
Puis une boucle.
Un fragment de spirale.

Les gestes étaient lents, mesurés. Il ne traçait pas vite. Il traçait profond.

À chaque ligne, à chaque courbe, il ressentait une variation dans le flux. Parfois, la craie résistait, comme si la surface refusait. D’autres fois, elle glissait sans accroc, et la forme restait, fine et stable, suspendue sur le mur comme un souffle retenu.

CAINE s’activa, silencieuse jusqu’à présent :

« Trace stabilisée détectée. Similarité énergétique : 61 % avec le premier symbole. Dérivation naturelle du geste. Suggestion : cartographie sensorielle possible. »

Il sourit, à peine.

Même CAINE commençait à s’adapter. Elle ne donnait plus des ordres. Elle proposait. Elle observait. Elle apprenait en même temps que lui.

Il continua.

Pendant une heure entière.

Il traça des formes, des fragments, des lignes, des points.
Il échoua. Il réussit.
Certains traits disparaissaient aussitôt tracés, comme s’ils n’avaient jamais existé. D’autres restaient. Fins, fragiles, mais là.

Et peu à peu, il comprit quelque chose de nouveau :
chaque réussite avait une sensation propre.

Pas une émotion. Pas une image.

Un poids, une résistance, un flux.

La main, la craie, l’air… tout vibrait différemment quand le trait était juste.

— Tu le sens, hein, dit le vieux sans ouvrir les yeux.

Takuya hocha la tête, plus pour lui-même que pour répondre.

— Le bon geste n’est pas une copie. C’est un rythme. Une résonance entre toi et ce que tu veux dire. Quand ça vibre juste, ça reste.

Il s’interrompit, puis ajouta :

— Et quand tu sauras maintenir cette résonance sans craie… alors tu pourras tracer avec ton mana.

Takuya se figea.

— Tracer avec… ?

— Ton énergie. Ton souffle. Ta volonté. Ton flux.

Le vieux ouvrit un œil, le fixa un instant.

— La craie, c’est un appui. Une béquille. Une corde de rappel. Mais tu ne grimperas jamais tant que tu ne laisseras pas ton propre flux se dessiner.

Il referma les paupières.

Takuya se tourna de nouveau vers le mur.

Il regarda ses premiers symboles.

Ils étaient imparfaits. Tordus. Incomplets.

Mais ils lui appartenaient.

Et maintenant, il voulait aller plus loin.

Il prit une inspiration profonde. Ferma les yeux. Et cette fois, il ne leva pas la craie.

Il leva la main.

Et dans l’air… il traça.

---

Il n’y avait plus de craie.
Plus de mur.
Plus de point d’appui.

Juste l’air.

Et sa main.

Le geste qu’il traçait à présent ne s’imprimait nulle part. Il glissait dans le vide, suspendu entre le visible et l’invisible, porté uniquement par l’intention. C’était un acte de foi. De ressenti. D’abandon.

Et ce fut un échec.

Rien n’apparut.

Takuya rouvrit les yeux. Son bras était encore tendu, la paume dirigée devant lui. Il avait répété le même mouvement que celui qui avait marqué la pierre quelques instants plus tôt. Le même rythme. Le même souffle. La même trajectoire.

Mais dans l’air… rien.

Il fronça les sourcils, recommença. Cette fois avec plus de tension dans le poignet. Un tracé plus vif. Plus tranché.

Rien.

Il recommença encore. Trois fois. Cinq fois. Dix.
Le vide ne répondait pas.

Derrière lui, le vieux regardait. Il ne disait rien. Il attendait.
CAINE non plus ne parlait plus.
Peut-être comprenait-elle que ce moment ne lui appartenait pas.

Takuya recula d’un pas. Il secoua légèrement ses doigts. Sa main était raide. Son bras crispé. Il serra les dents.

— Pourquoi ça ne marche pas ? lâcha-t-il enfin, à mi-voix.

Le vieux répondit sans se lever :

— Parce que tu veux que ça marche.

Takuya se retourna.

— Évidemment que je veux que ça marche. C’est le but.

— Non. Le but, c’est de parler. Pas de réussir.

Il haussa les épaules.

— Ton mana n’est pas un outil. C’est une extension de toi. Et pour qu’il te suive, faut que tu sois vrai.

Il fit une pause.

— Et là, tu veux forcer. Tu veux contrôler. Tu veux montrer. Alors le mana se dérobe.

Takuya baissa les yeux vers sa main.

Elle était tendue. En effet. Pas comme un pinceau, mais comme un scalpel.

Il inspira. Essaya de relâcher.

Recommença.

Encore un trait. Plus souple. Plus lent.

Rien.

Le mur avait accepté. L’air… refusait.

Pas violemment. Pas comme une barrière.
Mais comme quelque chose qui se détourne doucement, comme une personne qu’on approche sans sincérité.

Il ferma les yeux.

Essaya de repenser à cette première pulsation dans la colonne, quelques jours plus tôt. À cette pression chaude dans le ventre, au moment de la première barrière instinctive. Mais il n’y parvenait pas.
C’était comme tenter de se souvenir d’un rêve à moitié effacé.

Son bras se baissa, lentement.

Il serra les poings.

— Ce n’est pas censé être si différent du mur.

— Ah non ? répondit le vieux, calmement.

Il se leva cette fois, s’approcha.

— Le mur, c’est stable. Passif. Froid. Il attend.

Il tendit la main vers l’espace vide devant lui.

— L’air, lui… vit. Il bouge. Il danse. Il absorbe.

Il marqua un temps.

— C’est pour ça que tu ne peux pas juste copier le même mouvement. Tu dois projeter ton intention, pas ton geste.

Takuya inspira longuement.

Il comprenait. Techniquement. Mais son corps, lui, n’y parvenait pas encore.

Il ferma les yeux à nouveau.

Et tenta une approche différente.

Il ne pensa pas à la ligne. Ni à la forme.
Il pensa à un mot.
Ou plutôt, à une note. Une émotion simple. Quelque chose d’informulable. Une envie.

Pas une image. Pas une pensée. Une direction intérieure.

Et avec cela… il leva la main.

Traça lentement un demi-arc.

Une courbe. Souple. Flottante.

Et là…

Une étincelle.

Faible. Fugace.

Un filament lumineux, à peine visible, traversa l’espace pendant une demi-seconde.

Puis s’éteignit.

Takuya rouvrit les yeux, haletant.

— C’était ça ? demanda-t-il.

Le vieux sourit. Juste un peu.

— Non. C’était le début.

Il s’approcha, désigna la zone du vide où le filament était apparu.

— Tu as laissé ton mana sortir. Pas en force. Pas en calcul. Tu l’as laissé suivre ton envie.

Takuya baissa les yeux vers sa paume. Elle picotait légèrement.

CAINE s’activa alors, lentement :

« Trace énergétique partielle détectée. Source : canal corporel actif. Durée : 0,7 seconde. Intensité : très faible mais focalisée. »

Il sourit.

Faiblement.

Mais sincèrement.

Il recommença.
Encore.
Encore.

Il échoua encore.
Mais de temps en temps… une étincelle restait.

---

Le vide n’était plus hostile.
Mais il n’était pas accueillant non plus.

Il était devenu présent.

Takuya n’essayait plus d’imposer quoi que ce soit. Il ne tendait plus le bras avec crispation. Il ne dessinait plus un symbole. Il laissait simplement couler ce qui, jusqu’à présent, refusait d’être nommé.

Et parfois… une ligne se formait.

Faible. Tremblante. Mais là.

Un filament de lumière flottait un instant dans l’air, comme un fil suspendu au souffle du monde. Puis il s’effaçait. Comme une idée qui traverse l’esprit et s’effondre faute de mot.

Takuya recommença.

Encore.

Encore.

Et encore.

Le vieux ne disait rien.

Il s’était assis dans un coin, à même le sol, les bras posés sur les genoux, le regard à demi voilé. On aurait pu croire qu’il dormait. Mais Takuya savait qu’il observait.

Il observait le rythme.

Non pas les résultats. Pas les formes. Mais le souffle entre chaque tentative, les hésitations, les tensions qui se relâchent, la courbe des épaules après l’échec, le micro-rictus après une étincelle.

Il observait le vivant.

Et c’était peut-être la chose la plus exigeante.

Takuya, lui, était dans un autre espace.
Entre la fatigue et l’élan.
Entre l’impatience et la curiosité.

À chaque tracé invisible, il sentait son corps répondre. La chaleur dans sa nuque. La tension dans ses doigts. Les micro-vibrations de l’air contre sa peau.
Il ne cherchait plus à créer une barrière.
Il ne cherchait plus à modeler une forme.

Il voulait juste laisser son mana danser.

Et cette fois… ça prit.

Le tracé jaillit.

Net. Léger. Fluide.

Une ligne lumineuse apparut dans l’air devant lui, à la hauteur de sa poitrine. Elle resta suspendue pendant trois secondes. Peut-être quatre.
Elle ne vibrait pas.
Elle ne brillait pas fort.
Mais elle restait.

Son souffle se bloqua.

Il n’osa pas bouger.

Sa main encore tendue, la paume ouverte, il sentit comme une traction douce, une ligne invisible qui liait son bras à la forme flottante. Pas une corde. Pas une chaîne. Un fil de conscience.

Il l’avait faite.

Une trace stable.

CAINE s’activa aussitôt :

« Équilibre énergétique détecté. Liaison partielle avec l’émission consciente de l’utilisateur. Symbole de type inconnu. Structure stable. Intensité : faible. Durée : 4,6 secondes. »

La ligne disparut dans une pulsation discrète.

Il resta figé.

Puis relâcha doucement son bras. Il se sentit vide. Mais pas d’un vide douloureux. Un vide comme celui qu’on ressent après avoir parlé longtemps : un vide de trop plein.

— Tu l’as tenue, dit le vieux derrière lui.

Takuya tourna lentement la tête.

— Juste quelques secondes.

— Juste ce qu’il faut.

Il s’approcha, s’agenouilla près de lui, observa la zone où le symbole avait flotté.

— Tu sais ce que c’était ?

Takuya secoua la tête.

— C’était rien, murmura-t-il. Juste un arc. Une ligne incurvée.

— Non. C’était une intonation.

Takuya le fixa, intrigué.

Le vieux désigna l’air.

— Les gens pensent que les symboles sont des lettres. Des mots. Mais avant ça, ce sont des sons internes. Des formes d’élan. Des morceaux d’intention. Et ton tracé… c’était la première syllabe.

— Syllabe ?

— Tu parles enfin la langue de ton propre mana.

Il se releva.

— Maintenant, il va commencer à t’écouter.

Takuya se redressa lentement.

Il ne ressentait ni euphorie, ni victoire. Juste une profonde lucidité. Une conscience nouvelle : il ne possédait pas son mana. Il ne le commandait pas. Il négociait avec lui.

Et pour une fois, il avait répondu.

Le vieux alla chercher un petit coffre qu’il ouvrit lentement. Il en sortit une fine lamelle de bois, gravée de minuscules traces, presque invisibles.

Il la tendit à Takuya.

— C’est une craie vivante. Réactive. En contact avec ton flux, elle peut absorber un geste. Pas pour dessiner, cette fois. Pour l’ancrer.

Takuya la prit avec précaution.

— Tu veux que je répète ce que j’ai fait ?

— Non. Je veux que tu le fixes.

— Comment ?

Le vieux s’approcha, posa un doigt sur son cœur.

— Ce que t’as tracé, là… ce n’est pas dans ta tête. C’est ici. Et maintenant, tu vas devoir le faire sortir à nouveau, mais cette fois, tu vas le graver. Pas dans la pierre. Dans l’air. Dans toi.

Takuya inspira.

Il leva la craie.

Et traça.

---

Le bois dans sa main était presque tiède.
Pas parce qu’il chauffait. Pas parce qu’il contenait une énergie propre.
Mais parce qu’il réagissait à la sienne.

Une fine lamelle, à peine plus épaisse qu’un ongle, plus douce que la craie, mais bien plus lourde. Elle vibrait légèrement quand il bougeait ses doigts, comme si elle cherchait déjà à deviner le prochain mouvement. Elle n’attendait pas un tracé mécanique. Elle attendait un geste vivant.

Takuya la fit rouler dans sa paume. Le bois ne craquait pas, ne grinçait pas. Il pulsait. À chaque micro-contraction de ses muscles, une variation légère de fréquence résonnait dans sa main. Pas une douleur. Une tension.

Un appel.

— Elle est sensible, dit le vieux. Trop, peut-être. Mais c’est pour ça qu’elle convient.

Takuya leva les yeux.

— C’est dangereux ?

— Non. Mais elle n’enregistre que le vrai. Si tu essaies de la tromper, elle se brisera. Si tu forces, elle se détournera. Tu ne peux pas y imposer une volonté. Tu dois y souffler ton intention.

Il hocha la tête. Il comprenait ce que cela signifiait.

Le bois ne fonctionnerait pas avec un simple geste. Il ne garderait pas une ligne de craie, un mouvement reproductible. Il capterait une trace de mana. Et cette trace devait être pure.

— Tu es prêt ? demanda le vieux.

Takuya serra légèrement la lamelle entre ses doigts. Elle vibra à nouveau.

— Oui.

Il se plaça au centre de la pièce. Ferma les yeux.

Et respira.

Longtemps.

Il ne pensait plus à la forme.
Ni à la lumière.
Ni au symbole.

Il repensa à cette première pulsation. À cette étincelle qui avait jailli dans l’air. À ce moment bref mais intense où le geste avait parlé.

Et il chercha à retrouver cette note.

Ce souffle. Cette résonance.

Il leva lentement la main.

CAINE resta muette. Présente, mais discrète.

Le vieux, dans le fond, ne fa

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