Chapitre 1: Espoirs.
Chapitre 1: Découvertes.
Paris, 1900.
« Pierre, je te présente Gabrielle, ma fille aînée.»
Les yeux bleus glacier de Pierre vinrent se poser sur elle, et tout de suite Gabrielle se mit à sourire. Elle n'avait pas réussi à contrôler cette réaction, mais celle-ci pouvait passer pour de la politesse: la joie de rencontrer une personne nouvelle. Mais Pierre n'était pas seulement une rencontre agréable: c'était son futur mari. Et si Gabrielle s'était mise à sourire c'est que celui-ci était plutôt bel homme.
« Bonsoir Pierre, je suis enchantée de vous rencontrer, sourit-elle en tendant sa main.
Le-dit Pierre vint la prendre pour la baiser, avec élégance et peut-être un peu de raideur.
- Vous m'ôtez les mots de la bouche, mademoiselle Deslante.
- Gabrielle, insista Alphonse Deslante, le père de Gabrielle.
L'homme leva les sourcils, tentant de bien se faire comprendre de Pierre.
- Gabrielle, rit alors Pierre.
- Pierre est un de mes collaborateurs, son nom ne doit pas t'être inconnu. Il travaille avec moi depuis presque dix ans.
- Un avocat alors, sourit Gabrielle tout en opinant du chef.
- Tout à fait, spécialisé dans le droit pénal.
- Je vais vous laisser faire connaissance.» Déclara Alphonse lui donnant une tape dans le dos.
Le père de Gabrielle lui sourit, tout en lui jetant un regard très entendu dont elle comprit immédiatement le sens. "Ne me déçoit pas" pouvait-elle presque entendre distinctement dans son esprit. Son père devait être encore plus sous pression qu'elle ne l'était à ce moment, à vrai dire, elle n'avait pas vraiment peur, en tout cas, plus maintenant. Sa principale crainte avant de rencontrer Pierre était d'avoir à faire à un homme de petite taille, au physique disgracieux. Mais Gabrielle n'était pas une femme prompte au jugment et même si Pierre ne lui plaisait pas énormement, il ne la repoussait pas non plus. Avec le temps, elle pourrait apprendre à aimer ces traits et apprécier ce qu'il était à l'extérieur. En ce qui concernait la beauté intérieure, Gabrielle se contentait d'un avis très simple: son père ayant choisi son futur mari, elle pouvait se fier à son jugement et son appréciation.
« Que pensez-vous d'aller vous installer au calme pour discuter un peu? proposa Pierre.
- Bonne idée, sourit Gabrielle.
Pierre tendit son coude pour que la jeune femme puisse s'y accrocher et quitter tous les deux la salle de réception bondée. A partir de maintenant, Alphonse n'aurait plus de regard sur ce qui allait se passer.
- La soirée vous plait-elle?
- Pour ne rien vous cacher, je n'en attendais pas grand chose. J'étais principalement là pour accompagner mon père. Mais à sa façon pressante de me faire venir, j'ai bien compris qu'il comptait me présenter quelqu'un.
Le jeune homme replaça ses cheveux châtain en arrière avant de proposer un fauteuil à Gabrielle, puis de s'asseoir à son tour. Isolés dans un endroit peu passant, ils pouvaient à présent discuter sans hausser le ton. Pierre remplissait le siège, sa carrure était large et imposante; un détail peu commun pour un avocat, du moins c'est ce que pensait Gabrielle qui avait toujours pensé que tous les hommes de lois ressemblaient à son père: de petits hommes à la voix portante, revêtant des costumes noirs et buvant de l’alcool fort dans des verres en cristal dans des endroits bien fréquentés. Bon, Pierre portait bien un costume gris foncé et avait un verre d'un liquide pouvant s'apparenter à du whisky… Il y était presque.
- Suis-je un numéro sur une liste? demanda Pierre, d'un sourire charmant.
- Non, au contraire. Jusqu'à aujourd'hui, mon père ne m'avait présenté aucun homme. Je sais très bien où les choses risquent de nous mener.
- Hé bien Gabrielle, vous n'y allez pas par quatre chemins! s'exclama Pierre.
La jeune femme sourit, tentant de contenir sa gêne face à cette remarque. Elle avait parlé un peu vite.
- Je suis une femme de 23 ans promise à un mariage arrangé depuis toujours, je savais que ce jour arriverait.
- L'idée de voir votre père choisir votre mari n'est pas un problème pour vous?
- Aucunement. L'on marie des femmes à des inconnus depuis toujours, cette idée me va bien. Je ne pense pas être faite pour tomber éperdument amoureuse et me voir être éconduite, ou voir des hommes défiler devant ma porte pour me demander de les autoriser à me faire la cour. Je n'ai pas le temps pour ces choses, ni les épaules, expliqua-t-elle, tentant de se tenir toujours aussi droite que possible.
- Et alors, à quoi occupez-vous votre si précieux temps? demanda Pierre en buvant une gorgée.
À nouveau, Gabrielle sentit une petite pointe de sarcasme dans la voix de Pierre. C'était un avocat, elle aurait dû s'attendre à être interrogée de la sorte. Il ne la prenait pas au sérieux.
- La lecture par exemple, j'ai un goût pour les livres gothiques de la littérature anglaise, mais aussi les romantiques français. Les musées pour aller y voir les œuvres impressionnistes, en particulier Camille Corot. J'aime flâner dans les rues de Paris, ou en forêt, à cheval… Je peux me contenter de peu, mais une discussion vivifiante sur l'astronomie me plait beaucoup également.
- L'astronomie? En voilà une activité bien étrange pour une femme! s'exclama son vis à vis.
La jeune femme pinça les lèvres avant de remettre une boucle derrière son oreille, voilà tout ce qu'il avait retenu.
- Je ne vois pas en quoi cela devrait être une occupation d'homme ou de femme. Je ne crois pas avoir besoin de ce que j'ai entre mes jambes pour étudier les étoiles. A moins que l'on m'ait menti toutes ces années.
Face à elle, Gabrielle ne s'attendit pas à voir Pierre éclater d'un rire sonore. De toutes les réactions possibles, c'est bien la seule à laquelle elle ne se serait pas attendue. Sa remarque était très déplacée, surtout pour une femme, surtout pour quelqu'un de son rand et surtout face à un homme avec lequel on est suposé se marier…
- Je ne m'attendais à pareils mots dans la bouche d'une si belle jeune femme! J'aime votre répondant Gabrielle, vous me plaisez sincèrement.
- Vous m'en voyez ravie alors, car ce n'est pas ce que mon père aurait pensé en entendant cela… fit Gabrielle, un peu gênée d'elle-même.
- Alphonse à bien fait de nous présenter. Vous voyez, je suis un peu comme vous, je n'ai fait jusqu'à aujourd'hui que me concentrer sur ma carrière professionnelle. Je suis entré à l'âge de 17 ans au cabinet de votre père comme étudiant, et aujourd'hui nous travaillons côte à côte. J'ai 29 ans et je suis sans épouse et sans enfant, je dois me marier, mes parents deviennent de plus en plus insistant à ce propos. Un mariage arrangé avec une femme m'allait bien, mais vous rencontrer et voir ce que vous êtes: c'est une chance qui n'arrive qu'une fois dans une vie.
- Vos égards me touchent beaucoup.» Sourit Gabrielle, de nouveau mal à l'aise.
Alors oui, Pierre était un homme au physique assez agréable, il était sûrement fortuné et bien éduqué… Mais Gabrielle était tout de même un peu déçue, ne semblant pas trop savoir pourquoi. Elle serait sûrement très bien dans ce mariage, il lui fallait peut-être du temps pour accepter tout cela? Les changements et la nouveauté, un peu comme un mal du pays, elle se retrouvait un peu déboussolée par tout cela.
Gabrielle était une jeune femme au physique très avantageux, et elle avait sûrement un peu menti à Pierre en lui disant qu'il n'était pas un numéro sur une liste de prétendants: car Gabrielle en avait vu passer bon nombre… Bien entendu, aucun d'entre eux n'avait pu l'approcher ou ne serait-ce qu'avoir le moindre accord de son père pour l'autoriser à fréquenter ces hommes: depuis toujours elle devait se marier pour le bien de sa famille, dans l'intérêt des autres avant le sien. Comme elle l'avait expliqué à Pierre, cela ne lui avait jamais posé de soucis et elle avait été honnête sur ses intentions, l'amour ne lui plaisait guère ailleurs que dans les livres.
Dès qu'elle avait été commencé à prendre les atours d'une femme et non d'une enfant, Gabrielle Deslante avait vu son père repousser les avances d'hommes bien plus agés qu'elle. On avait reluqué son corps comme on inspecte une génisse avant de la proposer à la reproduction et le regard des hommes l'avait complexée et gênée suffisamment pour qu'elle n'ai plus envie de les approcher plus que de raisons. Rousse aux cheveux long jusqu'en bas du dos, une chevelure luxuriante bouclant de façon ample; Gabrielle avait également les yeux vert et des taches de rousseurs sur le nez, les pommettes, mais également sur les épaules et plongeant dans son décolleté, qu'elle avait assez généreux: encore une fois, suffisamment pour qu'une robe légèrement décolletée attire les yeux des messieurs comme un aimant. Son visage avait un air légèrement mélancolique et sa bouche parfaitement dessinée et ourlée la faisait ressembler à une poupée de cire, tant par son teint que par son allure boudeuse. Alors oui, Gabrielle était une femme au physique agréable, mais elle s'était également forgée une personnalité autour d'elle: forte et indépendante, car elle avait bien comprit que cela avait tendance à faire fuir les plus récalcitrants.
Gabrielle était l'ainée d'une famille bourgeoise de bonne naissance, vivant dans une maison dans le 8ème arrondissement de Paris depuis plusieurs générations, à l’angle de la rue Murillo et de la rue Rembrandt, tout au bord du parc Monceau. Alphonse, son père, avait été avocat toute sa vie, réussissant cette carrière. Mais aujourd'hui, il voulait tenter de trouver un moyen de se lancer en politique -hélas- sans y parvenir. C'était un homme talentueux et impliqué dans son travail, mais il lui manquait quelque chose. Gabrielle se serait bien abstenue de lui avouer cela, mais elle voyait bien autour d'eux comment étaient les hommes, les conseillers, les haut fonctionnaires qui avaient réussi en politique se ressemblaient: très à l'aise, avenants, des orateurs exceptionnels, et surtout avançant des idées très fortes, pleins de convictions. Son père avait un peu de tout cela, mais rien ne le rendait exceptionnel.
Sa mère, Marthe, était une femme droite et fière, lui inspirant beaucoup d’admiration. Elle ne s’était jamais plainte, jamais laissée aller. Elle avait élevé ses trois enfants tout en continuant à apprendre, à étudier la littérature. C’est ce qu’elle lui avait transmis: l’amour de la lecture mais aussi le goût d’apprendre. Elle avait une sœur et un frère plus jeunes qu'elle, Louis et Marie. Sa sœur, sortant à peine de l'enfance, lui ressemblait beaucoup physiquement, mais possédait un caractère plus doux, plus facile. Elle se destinait à une carrière de pianiste, au grand désarroi de leur père. Mais celui-ci pouvait se permettre d'avoir une enfant dissidente, car son fils avait entamé des études de droits et semblait bien parti pour reprendre les rênes du cabinet familiale, et sa fille aînée suivait la destinée qu'il lui avait tracée.
« Il faut que je vous présente quelqu'un!» dit subitement Pierre, se relevant en boutonnant sa veste.
La jeune femme approuva cette soudaine envie et suivit son compagnon, rejoignant la pièce principale où se tenait la réception. L’endroit était magnifique, un hôtel particulier prêté pour accueillir ce soir un gala. Il regroupait des mécènes, des acteurs de la vie politique et mondaine de Paris, tous ici pour officiellement lever des fonds pour l'ouverture d'un dispensaire, et officieusement pour faire des affaires et nouer du réseau. Gabrielle n'aimait pas en règle générale ce genre de soirée, car on ne s'y amusait guère, et puis les choses se déroulaient toujours de la même façon, Gabrielle restait près de son père, n'ayant pas vraiment l'autorisation de quitter sa supervision, et elle devait assister à de longues conversations sur la façon dont le Conseil de Paris gérait la ville, ou encore la gestion des actes antisémites par la police (ce qui se terminait toujours de la même manière: en pugilat), les emprunts russes, et parfois on discutait des heures sur les taux d'emprunts auprès des banques et de matériaux de construction utilisé par l'un ou l'autre pour l'agrandissement de leur maison… Avec tout cela, Gabrielle avait acquis de nombreuses connaissances sur la situation politique et économique en France, mais personne ne lui demandait jamais son avis: après tout, elle n'était qu'une femme dans un monde d'hommes. Tout ce qu'on attendait d'elle, c'est qu'elle porte un anneau en or autour de l'annulaire et c'est tout.
« Je me permets de vous présenter mon conseiller et ami, Monsieur Armand de L’Estoile.
Pierre s’était approché d'une homme assis au piano trônant dans un coin de la pièce, posant sa main sur son épaule. Ledit Armand ne s'arrêta pas de jouer, et ne leva même pas un œil pour aviser celle qu'on lui présentait.
- Enchantée, Monsieur, se força à dire Gabrielle, tentant un sourire.
Le jeune homme ne prit pas la peine de se lever, ou bien encore de lui répondre et continua son morceau. Gabrielle retint un soupir d'agacement, quel était le souci de cet homme? Le manque d'éducation ou bien le mépris pour les femmes?
- Ne lui en tenez pas rigueur, j’ai coupé mon ami au milieu de son morceau, mais je ne pouvais pas attendre de vous le présenter. Intervient Pierre, lisant sur le visage de sa compagne son désappointement.
Armand, depuis son piano, releva le regard vers ses deux vis à vis. Gabrielle se crispa. L’associé de son futur fiancé était… A la fois dérangeant et fascinant, sans qu’elle ne puisse identifier pourquoi. Tout comme elle, Armand avait les yeux verts, mais leur ressemblance s’arrêtait là. Il n’avait rien en commun avec Pierre non plus, si celui-ci était grand et trapu, Armand lui était plutôt fin et délicat. Depuis son piano, Gabrielle ne pouvait se faire une idée de sa taille.
- Je vous en prie, j’espère que Monsieur de L’Estoile ne traite pas tout le monde de cette façon.
- Loin de là, sans lui je ne pourrais rien faire. C’est mon homme de l’ombre, mon conseiller, mon bras droit. Cela fait déjà 5 ans qu’il est près de moi pour m’aider à gravir les échelons en politique. Ses conseils sont avisés et son esprit aussi affûté qu’une lame de rasoir! sourit Pierre.
Armand eut un petit sourire un peu crispé, puis, finissant son morceau prit enfin la peine de se lever. Lentement il remit ses gants et s’approcha de Gabrielle pour pouvoir la saluer convenablement. Gabrielle hésita une petite seconde à proposer sa main à Armand, mais elle le laissa faire. Et alors que le menton du jeune homme effleurait le dos de sa main, un intense frisson la prit toute entière. Lâchant une petite exclamation de surprise inappropriée, elle se mit à rougir avant de s’excuser.
- Il fait cet effet à toutes les dames, je ne devrais pas vous le présenter, rit un peu Pierre.
Gabrielle en était terriblement gênée et en tentant de capter le regard d’Armand pour lui faire part de son embarras, il prit la parole, comme si de rien était, repoussant une mèche de ses cheveux noir qu'il avait long.
- Quel est votre parfum ?
La jeune femme hésita avant de répondre, déroutée par la question. Elle serrait son sac entre ses mains.
- Rien d’exceptionnel, je ne porte que quelques gouttes d’essence de rose.
- Cela ne vous va pas du tout. Vous devriez porter quelque chose d’autre.
Armand dit cela en ajustant la manche de sa chemise. Pas un regard, il lançait cela comme une provocation et ne cherchait même pas à voir l'effet que cela faisait. Ses joues commençaient à la brûler, d'ailleurs c'était même toute sa poitrine. Pierre semblait ne rien avoir à redire à cette remarque, ni en être choqué.
- Je ne vous permets pas, Monsieur. Mon parfum me convient très bien. Personne n’a jamais eu rien à redire dessus.
- Peut-être, mais ce n’est que mon avis. La rose est trop tape-à-l'œil, et vous ne l’êtes pas. Cette odeur ne se marie pas avec votre peau. Essayez plutôt le musc, cela passe partout, ou l’iris.
- Je croyais que vous étiez conseiller, pas parfumeur?
Armand eut un sourire avant de finir par regarder Gabrielle dans les yeux. Celle -ci le vit entrouvrir la bouche juste une seconde, avant de se mettre à parler, tout en la regardant de la tête aux pieds.
- En effet, le parfum des gens en dit très long sur eux, mais ce n'est que mon avis. Je ne suis en rien un professionnel dans ce domaine, cependant, cela me semble assez évident chez vous. Ne soyez pas offusquée, tant que cela plaît à notre ami Pierre, n’est-ce pas?
Le dit Pierre souriait toujours, semblant très amusé par cet échange.
- Tout à fait, Mademoiselle Gabrielle est une jeune personne élégante et loin d’être une idiote, vous savez très bien que c’est tout ce que je demande.
- Et dans le fond c’est vous qui avez raison, mais je ne peux m’empêcher de dire tout haut ce que je pense, vous me connaissez.
Armand posa sa main sur l’épaule de son ami, détournant son regard de Gabrielle. Celle-ci se mit à respirer d’un seul coup comme si elle sortait d’une longue apnée. Elle bouillonnait de colère, ne pouvant pas en laisser paraître la moindre parcelle. Son sac prenait pour les autres, et elle enfonçait ses doigts dedans, à défaut de pouvoir les mettre dans le sarcastique visage de Monsieur de L'Estoile.
- Excusez-moi, Messieurs, il faut que j’aille prendre l’air, dit-elle, se tenant droite et souriante.
- J’espère ne pas vous avoir vexée, Mademoiselle.
Armand avait dit cela sur un ton provocateur à peine dissimulé, juste assez pour qu'elle le remarque, mais que Pierre juste à côté n'y prête pas attention.
Puis elle se força à sourire, et sur le même ton, répondit:
- Non, Monsieur. N’ayez crainte.»
Ses yeux ne mentaient pas, elle en était incapable. Et Armand avait vu clair en elle, ce qui l’amena à sourire légèrement, comme satisfait. Gabrielle s'excusa de nouveau, avant de rejoindre la terrasse. Il faisait déjà nuit et la soirée était bien avancée, elle ne tarderait pas à rentrer. Soudainement, elle vit Pierre qui vint la rejoindre, deux coupes de champagne dans les mains.
« Nous vous avons froissée, je le vois bien. Acceptez mes excuses.
Il lui tendit un des verres.
- Non merci, je ne me sens pas très bien, je ne pense pas que le vin m’aide à avoir les idées claires. Et vos excuses sont acceptées Monsieur, ce n’est pas vous qui vous êtes conduit de manière aussi cavalière.
Pierre se détourna pour déposer les coupes sur une table adjacente avant de revenir vers Gabrielle.
- C’est moi qui vous ai présenté mon conseiller, j’en ai donc quelque part la responsabilité. Armand n’est pas une mauvaise personne, vous le verrez avec le temps. De plus, je serais très fâché de voir que vous n’arriviez pas à vous entendre, Armand et moi sommes toujours ensembles. Comme je vous l’ai dit, c’est plus qu’un associé. Et vous Mademoiselle, votre père ne nous a pas présentés pour que nous discutions seulement une soirée.
Gabrielle sourit un peu avant de détourner les yeux, regardant vers le jardin, empli du bruit lointain des sabots et des moteurs à explosion. Le vent soufflait doucement dans les buissons de rosiers, de rhododendrons… Cette vision l'apaisa un peu.
- Non, en effet, sourit-elle avec conviction.
- Voudriez-vous m'accompagner dimanche pour aller visiter l'exposition universelle? Je n'ai pas encore l'occasion de m'y rendre, cela me semble être un endroit qui pourrait vous intéresser, proposa Pierre.
- En effet, l'idée me séduit beaucoup, j'accepte.
L'enthousiasme qu'elle ressenti à l'idée d'aller enfin visiter l'exposition universelle remplaça tout le reste. Voilà presque trois mois que l'inauguration avait eu lieu, mais Gabrielle n'avait pas eu le temps de s'y rendre, et pour une fois, elle aurait voulu s'y rendre avec quelqu'un pour pouvoir partager ce moment, discuter des découvertes… Mais Marie n'avait pas son penchant pour les visites, et Louis travaillait toujours et encore.
- Disons à 14h.
- Très bien, Monsieur… Quel est votre nom de famille déjà? demanda Gabrielle.
- Pierre Loiseau, mais appelez moi Pierre, s'il vous plaît.
- Et où habitez-vous?
Pierre sembla gêné de cette question.
- Je vais être honnête avec vous, je ne possède pas de demeure à mon nom. Je suis toujours à mon bureau, et sinon, je vis chez mon ami Armand, il possède une hôtel particulier suffisamment grand pour accueillir de nombreux invités. Et je suis son hôte quasi permanent.
- En voilà une découverte étrange, sourit Gabrielle.
- Ma famille vit à Fontainebleau, je ne peux me permettre de faire des aller et retour quand je travaille avec votre père.
- Je comprends mieux. Et pourquoi n'avoir jamais pris le temps de vous trouver un pied à terre?
- Le temps comme vous l'avez suggéré, et puis trouver une maison? Pour y loger quoi? Ma personne? Non, je préférerais attendre d'avoir un foyer pour m'installer. Et même un petit endroit ne me tente pas, j'y serai seul, alors que chez Armand je suis bien logé, il y a des domestiques, et de la compagnie. Cela me correspond bien.
- C'est original, mais pourquoi pas!
Gabrielle ne savait pas trop quoi penser de cette nouvelle, cela pouvait être à la fois très étrange et charmant. Pierre lui apparaissait comme un bon ami, vis à vis d'Armand, mais aussi comme un homme peut être un peu immature, ou même farfelu… Elle comprenait par contre assez bien la solitude qu'il pouvait ressentir.
- Je vous ai effrayée, je crois, rit nerveusement Pierre.
- Je vous assure que non! sourit Gabrielle, maladroite. Cela me questionne plutôt.
- Je com…
Pierre n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'Alphonse Deslante refit son apparition.
- Je suis désolé de vous déranger, mais il est temps que nous rentrions.
Gabrielle n'en fut qu'à peine étonnée, d'ordinaire, son père aimait profiter de la soirée; mais là, il voulait éviter qu'on la voit trop en compagnie de Pierre tant que les choses n'étaient pas officialisées; surtout dans ce genre d'événement. Son père était quelqu'un qui tenait à la réputation de sa famille.
- Alphonse, je voulais vous demander si je pouvais emmener votre fille dimanche à l'exposition universelle? » demanda Pierre, s'étant levé.
Gabrielle se redressa elle aussi, écoutant seulement d'une oreille l'échange entre son père et Pierre, évidemment il allait dire oui, c'était simplement une question de politesse. Pendant qu'ils rejoingnaient la sortie, les deux hommes se mirent à parler rapidement travail. Tous les mêmes.
S’installant dans la voiture à cheval, juste après son père, Gabrielle vit arriver Armand qui rejoignait son collègue. Son visage, illuminé par la lueur des lampadaires à gaz, apparaissait comme immaculé, d’une perfection irréelle. L’espace d’une seconde, Gabrielle se surprit à le trouver beau. Leurs regards se croisèrent, et sous ses cheveux de jai mi-long, les yeux d’Armand la fixait. Sans ciller.
« Bon retour et à dimanche, alors.
Gabrielle eut un petit soubresaut, sortant de ses pensées. Elle s’arracha au regard d’Armand avec difficulté. Rapidement, elle eut un sourire pour son futur fiancé.
- à dimanche, Pierre. Monsieur de l’Estoile.»
Armand ne répondit pas, mais salua seulement de la tête. Les deux hommes regardèrent partir le fiacre, sans un mot, seulement dans le brouhaha des fers à cheval sur les pavés.
A suivre...
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