Chapitre 22: Testament.
Chapitre 22: Testament.
Gabrielle s’était installée près de Marguerite; comme souvent, les deux femmes discutaient de tout et de rien, tout en reprisant des chaussettes, des bas de robes ou encore pendant que Marguerite repassait le linge. Saut qu’aujourd’hui était une journée très différente, l'ambiance n’avait rien d’agréable. Gabrielle était rentrée la veille en quatrième vitesse pour s’enfermer dans sa chambre: évitant que Pierre, Armand ou qui que ce soit ai l’idée de venir la déranger. Étonnement, elle avait trouvé le sommeil assez vite et n’avait ouvert les yeux que vers 9h du matin. Pleine d’une énergie peu habituelle pour ces derniers temps, elle avait rapidement déjeuner et demandé à ce qu’on lui ramène les journaux du jour, les plus gros tirages.
Une demi-heure plus tard, elles s’étaient retrouvées dans le petit salon pour feuilleter ensemble les quotidiens. Plus rien n’allait, et Gabrielle n’eut même pas besoin de lire les titres pour s’en rendre compte. Dans la rue, elle voyait passer les voitures pleines à craquer de valises, de malles… Les gens fuyaient Paris. L’angoisse générale était palpable.
Depuis le petit matin, vers 5h, les gens avaient commencé à se rassembler devant le Palais de Justice de Paris, sur l'île de la Cité. Le mot d’ordre semblait simple et clair: livrer le vampire et le faire exécuter. La foule exigeait une vengeance, et surtout des explications.
“Ils semblent peu enclins à la discussion… remarqua Gabrielle avec ironie, lisant les articles à haute voix.
Marguerite acquiesça, soulevant ses sourcils en ailes d’oiseau.
- Ce n’est rien de le dire, ce matin en allant au marché avec la cuisinière, les gens ne faisaient que parler de ça. Ils sont si en colère, si effrayés… J’ai peur que les choses ne dégénèrent. On m’a rapporté que certains commençaient à monter des barricades et que la population se faisait de plus en plus insistante.
Gabrielle baissa son journal.
- Des barricades, vraiment?
- Oui, et que l’accès à Notre Dame est très compliquée, l'île de la Cité est comme en état de siège.
Le mot de siège la fit frissonner, elle avait beau être née une dizaine d’années après le siège de Paris, mais ses parents en avaient toujours beaucoup parlé…
- Et les gens commencent à fuir Paris… ajouta Gabrielle.
- Je crois qu’ils ont raison, la rébellion monte.
- J’aimerai que tu aies tort, mais je n’y crois pas beaucoup.
Gabrielle le pensait plus que sincèrement, la peur de voir la ville se soulever était ingérable pour elle. Perdue dans ses pensées, elle revint sur terre quand Marguerite toucha sa joue, l’inspectant.
- Il vous a frappé? demanda t-elle de but en blanc.
Gabrielle baissa la tête.
- Oui…
- Vous n’avez rien dit quant à la soirée d' hier. Je vous ai entendu rentrer relativement tôt.
- Ce fut … Je ne sais pas comment te l'expliquer.
Gabrielle reposa ses journaux et prit une gorgée de thé avant de raconter les événements de la veille. Marguerite s’était assise, écoutant attentivement, puis quand Gabrielle raconta l'échange houleux qu'elle avait eu avec Armand suite à la dispute entre Pierre et eux, la femme de chambre l'interrompi.
- Et monsieur de l’Estoile n’a rien dit suite à cela? s’étonna t-elle.
- Je n’ai pas eu le temps de le laisser parler, et je n’ai même pas tourné la tête pour le regarder.
- Je comprends votre conviction. Vous le connaissez bien mieux que moi, mais j’avoue avoir du mal à imaginer comment sa main pouvait ne pas être froide… réfléchit Marguerite.
- Je ne comprends pas non plus, mais au fond de moi je le sais. Il n’a pas touché à son assiette, à passer la soirée à remuer la nourriture dans celle-ci, portant sa fourchette à sa bouche, sans jamais l’y mettre. Et ce qu’il se passe quand il touche les gens, et ses dents… Je .. Je ne comprends seulement pas que je sois la seule à le voir! Comment cela se fait-il? Comment les gens ne peuvent-ils pas le voir?
Elle fixait le vide, les sourcils froncés, presque en colère.
- Je l’ignore, Madame… Peut-être a-t-il manipulé beaucoup plus de personnes que nous ne pourrions l'imaginer?
- Je ne vois que cette solution. Alors pourquoi n’y suis-je pas réceptive?
Un bruit énorme les interrompit. Comme une explosion.
- Qu’est-ce que c’était? s’exclama Marguerite.
Gabrielle s'était levée en vitesse pour regarder à la fenêtre, au loin s’élevait une fumée noire.
- Rien de bon…
- Je commence à avoir peur… fit Marguerite, d’une petite voix.
Gabrielle se retourna pour rejoindre son amie, posant ses mains sur ses épaules avec douceur.
- Ne t’en fais pas. Nous allons faire en sorte d’être en sécurité ici. Je te promets. Je ferais ce qu’il faut.
Les deux femmes se sourirent. Puis Gabrielle changea de sujet, elle avait besoin de vérifier une chose.
- J’aimerai que tu viennes avec moi; tu as bien toutes les clefs de la maison n’est-ce pas? demanda la maîtresse de maison.
- Oui, bien sûr…”
Le pas décidé, Gabrielle s’en alla vers l’escalier pour rejoindre le bureau de Pierre, accompagnée de sa femme de chambre. Son époux n’était pas rentré de la soirée, ni même au petit matin, il ne faisait aucun doute que celui-ci avait dormi chez Armand, trop ivre pour aller ailleurs. Même si la situation devait être compliquée.
“Je voudrais profiter de l’absence de Pierre. Il ne rentrera pas aujourd’hui, je pense. Armand et lui ont dû discuter pour mettre les choses au clair hier soir, ou encore que Armand l’a fait changer d’avis. Cependant, comme je te le disais, il a malgré tout agit comme s’il se souvenait de ce qu’il s’était passé… Donne-moi les clefs s’il te plait.
Marguerite s'exécuta alors qu’elles se trouvaient devant la porte du bureau. Fermée à double tour.
- Sûrement. Que faites- vous?
- Je veux fouiller dans ses papiers.
La jeune femme s’agita, regardant autour d’elle que personne ne vienne.
- Cherchez-vous quelque chose en particulier?
- Je ne sais pas… De précis, non. Mais j’ai la sensation que je vais trouver quelque chose.“
Les clefs se succédaient pour tenter d’ouvrir la porte, mais en vain. Gabrielle commença à s’agacer; elle recommença une seconde fois à tester chacune d’entre elles. Aucune n’était la bonne. Pierre devait garder avec lui l’unique modèle qui permettait d'accéder à la pièce. Gabrielle ne pouvait même pas aller et venir comme bon lui semblait dans sa propre maison, par la faute de cet homme… Mais soudain, Marguerite retira une épingle de son chignon et demanda à Gabrielle de s’écarter. Après quelques manipulations, le verrou céda.
“Où as-tu appris cela? sourit Gabrielle soulagée.
- Je préfère ne pas vous répondre.
La jeune femme eut un petit rire avant de rentrer dans le bureau.
- Surtout si tu entends le moindre bruit en bas, il faut que l’on sorte, je ne pense pas que Monsieur apprécierai. Même si je ne pense pas qu’il rentre aujourd’hui.”
Marguerite acquiesça et les deux femmes se mirent à fouiller. Gabrielle ne savait pas exactement ce qu'elle voulait y trouver, mais elle avait une idée... un pressentiment. Alors elle brassa, remettant au fur et à mesure les documents à leur place, cherchant, lisant, … Là des factures, des contrats d’assurance, d’emprunts bancaires, de titres de propriété, de correspondance personnelle. Tout autant d’informations inutiles qu’abondantes. Son amie, lui montrait au fur et à mesure ses trouvailles; la jeune femme ne sachant pas lire, elle cherchait seulement si certains documents étaient dissimulés.
Gabrielle regarda dans la poubelle, assise à même le sol, des piles de feuillets tout autour d’elle. Rien d'autre que des brouillons raturés de lettres à l’attention de son banquier ou encore des collègues. A nouveau, elle regarda le livre où Pierre tenait ses comptes, il y avait un dossier complet regroupant les dettes de jeu de son père. Gabrielle en avait la gorge serrée. Le livret de compte commençaient à quelques semaines uniquement, à la date de leur mariage. Les dépenses étaient toutes bien consignées, de même que les entrées d’argent. Il n’y avait rien qui ne semblait attirer l'attention. Il y avait seulement des dépenses en espèces sans ordre, sans justifications. Mais de petites sommes. Pas plus d’une dizaine de francs.
“Madame, regardez…”
Marguerite l'interrompit dans sa lecture, lui tendant un livre. La jeune femme leva la tête et attrapa l’ouvrage. Son amie lui montra, ouvrant le livre. Il était creux et à l’intérieur il y avait quelques courriers, non cachetées. Gabrielle les déplia sans attendre. Marguerite s’assit près d’elle.
“Que disent-elles?
Gabrielle lu rapidement la première, c’était une lettre écrite sur un papier très fin, de mauvaise qualité, l’écriture était erratique et pleine de fautes.
- C’est une femme nommé Jeanne qui écrit à Pierre pour lui dire que l’enfant est de lui… souffla Gabrielle, un peu bouleversée.
- Un enfant?
- Sûrement un bâtard qu’il lui a fait. Un petit garçon nommé Pierre. Elle lui demande de l’aide financière, de l'indulgence.
- C’est à peine croyable!
- Tu trouves? Pas moi. Je ne serais même pas étonnée qu’il y en ai un autre.
- Cela ne vous blesse pas? s’étonna Marguerite.
- Oui et non… c’est un homme à femme, une petite partie de moi se disait qu’il devait avoir une maitresse, une régulière qui devait sûrement être amoueruse de lui et pourquoi pas lui d’elle. Mais sa condition l’empêchant de vouloir l’épouser. Alors un enfant illégitime qu’il entretient ne m’étonne guère.
- Je comprends cela… Mais si cette femme veut plus? Vous ne pouvez plus avoir d’enfant, et elle en a eu un …
Marguerite la regarda, l’air inquiet.
- J’espère dans ce cas que le mariage me protégera…
Gabrielle replia la lettre dans ses plis et la remit soigneusement dans son enveloppe. Puis elle prit le document suivant. Cette fois-ci le papier était épais, très qualitatif, à travers de celui-ci elle pouvait voir qu’il avait été dactylographié. Le sortant de son enveloppe, elle commença à se décomposer. Aucun besoin de lire ce qu’il contenait: elle reconnaissait sans soucis ce que c’était.
- Un certificat de décès? souffla Marguerite.
- A mon nom…
Un silence affreux se fit entre les deux femmes, Marguerite était livide. Gabrielle, elle, ne ressentait aucune surprise, seulement la preuve qu’elle cherchait. Seule la vue de son nom écrit sur un document comme celui-ci était un choc.
- Je ne m’attendais pas à trouver quelque chose d’aussi … évident. Je cherchais plutôt de l’argent détourné, des courriers codés… Mais sûrement pas ça.
- Je ne comprends pas… Pourquoi un certificat de décès?
La jeune femme était paniquée, toujours plus blanche.
- Je pense que Pierre va chercher à me faire disparaître. Je ne suis devenue qu’une charge pour lui: réfléchie Marguerite, je ne peux avoir d’enfant, donc il n’aura pas d’héritier, il a récupéré des dettes immenses par ma faute et dire que nous ne nous entendons pas est un euphémisme. Alors certes, ce n’est sûrement pas une raison suffisante pour faire tuer quelqu’un… Il doit avoir autre chose en tête.
- Qu’allez vous faire?
- Je crains de n’avoir d’autres solutions que partir. Je réfléchissais déjà à cette idée depuis quelque temps, mais je crois que les choses se précipitent.”
Gabrielle replia le document et remit l'ensemble de preuves à leur place, en étant la plus soigneuse possible pour ne laisser aucune trace de son passage. Elle fit de même avoir tout le reste des affaires qu’elle avait dérangées sur le bureau de Pierre. Laissant Marguerite sortir en premier, elle resta un instant dans l’encadrement de la porte pour prendre soin de n’avoir rien oublié. Pas de traces sur le plancher, pas d’odeur de parfum… très bien. Elle referma alors la porte et se sentit un peu faiblir quand elle réalisa qu’elle n’avait toujours pas la clef pour refermer le bureau.
“Peux-tu refermer la porte avec ton épingle à cheveux? demanda Gabrielle.
- Non, cela ne fonctionne qu’à l’ouverture.
- Bon… Je crains que la porte ne doivent rester ouverte. La meilleure solution est de faire comme si de rien était, il aurait simplement oublié de fermer la porte. Si tout est en place à l’intérieur, cela ne peut être un problème… Non?
Gabrielle voulait être rassurée.
- Oui, cela me semble réaliste.
- Bon… redescendons. Nous sommes restées trop longtemps ici.”
Les deux femmes retournèrent au salon: les journaux toujours ouverts et le thé de Gabrielle, maintenant froid, attendaient. Elle n’avait plus du tout envie de boire, un nœud dans la gorge. A nouveau, une explosion se fit entendre au loin.
“Allez vous réellement partir, madame? demanda Marguerite.
Pour seule réponse, Gabrielle soupira en hochant la tête. Pendant qu’elle parlait, elle replia ses journaux, tentant de se donner une contenance.
- Hier soir, il me l’a clairement dit. Je prenais cela pour une simple menace, mais maintenant, les choses sont différentes… Quand je lui ai dit que je préférais mourir que de le laisser me toucher à nouveau, il m’a dit que cela pouvait s’arranger. Je le croyais, car même saoule, il dit la vérité: cela fait ressortir toutes les horreurs qu’il a dans la tête.
- Pourquoi ne pas aller porter plainte?
Gabrielle eut un rire de dépit.
- Pierre est avocat, sur un simple mot, c’est lui qui pourrait influencer les policiers pour me faire enfermer sous un prétexte fallacieux. Je crains de ne pouvoir jouer à ce jeu-là avec lui. Il gagnera toujours. Jusque là, je voulais simplement laisser le temps passer et prendre du recul sur tout ce qu’il avait pu se passer. Je voulais pouvoir être une épouse convenable pour faire honneur à ma famille, pour ne gêner personne. Mais je ne dois plus rien à personne, je suis toute seule. Mon mari souhaite se débarrasser de moi et Armand est… Sa voix s’éteignit avec la fin de la phrase.
- Peut-être pas? souffla Marguerite, semblant vouloir se rassurer.
- J’aimerai tant que tu aies raison… souffla Gabrielle.
Le silence se fit de nouveau, quelques secondes
- Je vais commencer à voir comment je pourrais partir. Peut-être prendre le bateau pour Londres, ou même l’Amérique? Personne ne me retrouvera là-bas, je paierai en espèce, donnerai un faux nom. Ou juste monter clandestinement.
- C’est risqué…
- Certes, mais moins que de rester ici.
Marguerite n’avait cessé de la fixer, la bouche crispée.
- Viendrais-tu avec moi? demanda Gabrielle.
La jeune femme se mit à pleurer, semblant soulagée.
- Oh oui Madame, je ne veux pas rester ici au service de Monsieur.
Gabrielle la rejoint pour la prendre dans ses bras. La chaleur de son amie réconforta son cœur meurtri.
- Faisons cela alors. Je vais commencer à monter un plan, allons nous préparer, nous allons nous rendre à la gare pour consulter les tarifs et les trajets.”
Marguerite approuva alors qu’elle tentait de reprendre ses esprits. Il était temps d’agir.
***
Le ciel était parfaitement bleu et le vent soufflait si fort que Gabrielle peinait à rester en place. Pierre tenait sa main si fort qu’elle en avait presque mal, mais au fond d’elle, elle ne voulait surtout pas qu'il la lâche car la foule dans laquelle ils se déplaçaient était très dense. Les gens ne cessaient de hurler, de scander et de faire le plus de bruit possible se pressant le plus possible pour s’approcher d’un point précis.
Sur la place devant le Palais de Justice de Paris, il y avait en effet des barricades, des feux de joie, et surtout une foule débordante. Les murs des bâtiments avaient été peints, ou dégradés, à coup d'œufs, de légumes pourris… Et au milieu, devant la grille de l’entrée, une estrade de fortune avait été montée. L’odeur de brûlé, de sueur, d’urine était si puissante que Gabrielle en avait eu un haut-le-cœur en sortant de son fiacre. On avait pourtant été obligé de la déposer loin, une rue avant l’accès au Pont Neuf, car l’accès sur place était devenu impossible.
Les choses avaient débordées, et plus que largement. La foule, depuis deux jours, était devenue incontrôlable, On avait recensé des incendies devant les instances du gouvernement, mais aussi dans des maisons, des bâtiments abandonnés. Les raisons étaient multiples: souvent, elles faisaient office de menace, de moyen de pression sur le gouvernement qui gardait un silence insupportable au sujet de l’affaire des vampires. La colère, la révolte faisaient bien plus que gronder: elles avaient explosé. Car on commençait à dénombrer quelques actes de vandalismes gratuit, mais surtout des meurtres, des exécutions en public, des enlèvements, des incendies de bâtiments que l’on supposait abriter des vampires: sauf que personne n’en savait rien, les seules informations qui circulaient étaient véhiculées par les journaux, mais surtout le bouche à oreille. Tout se déformait, tout s'interprétait: et maintenant accuser son voisin d’être un vampire était devenu un sport local. Pierre lui avait même parlé de milices qui se montaient pour assurer la sécurité des citoyens. Gabrielle ne savait pas encore que l’armée avait été mobilisée et que certains accès de la ville commençaient à être bloqués.
Voilà qu’elle se retrouvait là, à suivre Pierre au travers de la foule pour rejoindre l’estrade. Sur le chemin, nombreux furent les gens à leurs manifester plus que de l’attention, certains acclamaient Pierre, lui tapaient sur l’épaule, sifflaient de joie et brandissaient des drapeaux français. Puis ce fut Gabrielle que l'on acclama, la touchant comme on aurait approché une sainte, l’appelant “martyr”, la soutenant. C’était à peine croyable; Pierre avait demandé à Gabrielle de se vetir de noir pour sortir et de l’accompagner: il ne lui avait rien expliqué, avait seulement demandé à son épouse de ne rien dire, de ne surtout pas ouvrir la bouche. Voilà qu’il l’avait amené ici, et quand il monta sur l'estrade, certains hommes s’exclamèrent, demandant le silence. Pierre leva les bras et les applaudissement s’élevèrent puissamment. Qu’est-ce qu’il était en train de se passer? Il attrapa un porte-voix et se mit à y crier:
“Mes amis!! Nous sommes tous là pour demander justice ! Pour éradiquer la vermine de notre ville!
Les cris d'éxultation lui coupèrent la parole un moment.
- Les autorités ne nous entendent pas, mais nous allons nous faire entendre! S’ils ne veulent pas nous aider, nous nous ferons justice nous-même !
Encore une fois, la foule s’embrasa, brandissant des drapeaux, mais aussi des torches, des armes. Gabrielle était glacée, exposée au vent puissant, se prenant dans le visage les fumées.
- Mon épouse a vu sa famille massacrée par ce monstre, et la justice ne veut plus rien nous dire? Le garde caché ? Nous exigeons un procès public et son exécution! Justice doit être faite! Et s’ils ne veulent pas, nous viendrons le chercher et nous le brûlerons sur cette même place !”
Nouvelle vague de cris et d'applaudissements, Gabrielle comprit alors la raison de sa présence: encore une fois, elle était la carte sympathique de Pierre. Mais pire encore, il se servait d’elle pour sa cause. Car de toute évidence, il semblait être devenu le leader d’un mouvement populaire. Elle resta debout sans rien dire, sans bouger pendant de longues minutes, pendant lesquelles la foule hurlait, transcendée à la moindre déclaration de Pierre. Voilà donc ce que son époux faisait de ses journées depuis le début des évènements. Cela coulait de source, Pierre était quelqu’un qui avait la carrure pour s'ériger en porte-parole d’un mouvement tel que celui-ci, il défendait les victimes devant la justice pour cette affaire, son épouse avait été directement victime du tueur, et il n’aspirait qu’à une chose: entrer en politique par la grande porte. C’était donc chose faite, son nom était connu, et reconnu. Devant leur podium de fortune, il y avait même quelques photographes. L’idée de faire la couverture d’un journal ne l’enchantait guère, à vrai dire, c’était même bien pire que cela. Dans un trou percé sur le côté de son matelas, sous les draps, elle avait dissimulé deux billets de train pour rejoindre Le Havre, puis deux autres, le même soir, pour embarquer à bord d’un paquebot qui les emmènerai à New-York. Elle laissait certes des traces de son passage, mais elle se disait principalement qu’un voyage aussi long, dans un pays si grand, serait rédhibitoire pour entreprendre la moindre recherche. Le départ était prévu pour dans une semaine, au 20 septembre. Pierre n’irait sûrement pas la chercher, au contraire, il possédait déjà un certificat de décès à son nom, il la ferait passer pour morte et à lui la vie de jeune veuf. A vrai dire, elle pensait même que cela arrangerait bien tout le monde. Soudainement, tout ceci faisait encore plus sens: si Gabrielle était déclarée morte, il pourrait imputer cela à des vampires, et passer à son tour pour un victime, être pris encore plus au sérieux car ayant des intérêts personnels à défendre dans cette histoire.
Alors que Pierre terminait son discours visant à haranguer la foule, il aida Gabrielle à descendre pour rejoindre, avec d’autres personnes, un abri de fortune construit un peu à l’écart de la foule. On avait tendu des draps au-dessus de leurs têtes, entassé quelques chaises autour de deux tables collées l’une à l’autre. Sur celles-ci étaient étalés en vrac, des documents sous pochettes, des plans de la ville, de l’alcool avec plusieurs verres, un cendrier plein… Gabrielle se sentait bien mal à l’aise en arrivant là. Ses chaussures et le bas de sa robe étaient couvertes de boue et sûrement d’autres choses qu’elle ne préférait pas essayer de deviner.
“Bravo Pierre! C’était un grand discours, la foule se presse vers l’Elysée! s’exclama un des hommes.
- La ligue n’a pas dit son dernier mot!” lança Pierre, tonitruant.
Gabrielle remarqua soudainement que Pierre semblait épuisé, il avait les traits tirés, des cernes fortement prononcées et sa voix était cassée. Depuis combien de temps était-il ici? Cela faisait trois jours qu’il n’était pas revenu dormir à la maison, il était seulement passé en coup de vent deux ou trois fois, pour prendre des vêtements. Évidemment, elle n’avait posé aucune question et Pierre n’était pas venu lui parler sauf pour lui demander de venir avec lui ce jour.
Les hommes autour d’eux s’agitaient, certains partaient rapidement rejoindre la manifestation.
"Amener ton épouse était une idée de génie! Les gens vont vouloir la voir plus souvent!
Pierre s’alluma un cigare.
- Il faudra que tu viennes avec moi, Gabrielle. Je dois rencontrer le ministère de l’intérieur demain, cette fois en tant que leader de la ligue contre les vampires.
- La ligue contre les vampires? répéta Gabrielle, un peu perplexe.
- C’est le mouvement qui s’est créé suite à l’arrestation d’Ellias. Les révélations de Courtois ont embrasé la foule, les gens veulent réparation. Commença à expliquer Pierre.
- C’est une révolution! Les choses vont changer, et radicalement! ajouta l’homme.
- Je suis désolée, mais nous n’avons pas été présentés, Monsieur..? remarqua Gabrielle, une pointe d’agacement dans la voix.
- Masson, Marcel. Fit l’homme en lui tendant la main.
Gabrielle lui serra la main, ce monsieur manquait de savoir vivre de toute évidence.
- C’est mon nouveau conseiller. précisa Pierre en feuilletant un livret.
- Conseiller? Armand n’occupe plus cette place? osa- t-elle demander.
- Armand a quitté la ville il y a deux jours.”
Pierre ne l’avait même pas regardée, les dents serrées. Gabrielle serra ses mains l’une contre l’autre, entortillant ses doigts. Armand était parti. Si cela n’était pas une preuve supplémentaire de son implication dans tout cela… A moins que les deux hommes n’aient eu une conversation qui avait mis un terme à leur coopération…
Gabrielle ne dit plus rien, espérant qu’elle pourrait rentrer se mettre rapidement à l’abri chez elle.
***
Il était presque minuit lorsque Gabrielle put enfin rentrer chez elle, c’était la seconde journée que Pierre lui infligeait cela. La veille, elle n’avait pu quitter le rassemblement avant la nuit, Pierre étant reparti avec elle pour dormir chez eux. Mais cette fois, Pierre avait dû rester encore un moment à un dîner improvisé avec d’autres membres de la ligue pour continuer à monter des opérations et surtout pour débriefer le rendez-vous que Pierre avait eu avec le ministre de l’intérieur. Gabrielle lui avait demandé si elle pouvait retourner à la maison, épuisée et gelée jusqu’à l’os.
Alors qu’elle rejoignait sa chambre, Gabrielle remarqua que quelqu’un était dans la remise où était stocké le linge de maison. Doucement, elle s’approcha, et entendit des sanglots.
“Marguerite?
Gabrielle s’approcha de son amie qui tentait comme elle pouvait d’essuyer ses larmes et masquer sa tristesse, surprise par la présence de Gabrielle.
- Oh Madame Gabrielle, je suis désolée.
- Pourquoi t’excuses-tu? Que se passe-t-il? Que fais-tu ici à cette heure-là?
Gabrielle senti que Marguerite s’était tendue et elle-même se mit à paniquer de son voir son amie dans un état pareil. Car elle n’était clairement pas en train de pleurer depuis seulement une ou deux minutes, ses yeux étaient rouges, tout comme son nez et sa lèvre supérieure.
- Je n’arriverai pas à dormir alors je m'occupais
- A trier le linge à minuit?
- Je suis désolée…
- Mais ne t’excuse pas pour cela! Explique-moi ce qui ne va pas? Est-ce notre départ qui te pose problème?
- Oh non Madame, au contraire. J’attends ce moment avec beaucoup d’impatience...
- Alors que se passe-t-il?
La jeune femme hésita, fuyant un peu le regard de Gabrielle. Les larmes remontèrent à ses yeux, les faisant rougir et trembler sa bouche.
- Marguerite, dis-moi!
Doucement, hésitante, Marguerite remonta sa manche, puis la seconde. Sur ses deux bras, il y avait des traces de mains, comme si quelqu’un avait tenté de la retenir, des bleus et des griffures. Gabrielle eut tout de suite mal au cœur, sentant un poids insupportable s’installer sur son estomac. Elle savait ce que c’était, elle ne le savait que trop bien.
- Qui t’as fait cela? demanda-t-elle, grave.
Marguerite baissa ses manches, se cachant, les yeux toujours fixant le sol. Elle commença par le murmurer, si faiblement que Gabrielle n’entendit rien. Puis elle répéta.
- C’est Monsieur.”
A ces mots, Gabrielle serra les dents. Plus aucune peur ne l’habitait, aucun regret, aucun apitoiement. La colère qui grondait en elle était si forte qu'elle peinait à se retenir de hurler. Son propre sort était de sa responsabilité, mais infliger cela à son amie était bien autre chose.
Elle entendit presque la voix de Pierre lui parler à l’oreille, ses menaces.
“Cela peut s’arranger…” souffla-t-elle avant de sortir du placard avec son amie.
A suivre...
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