En le voyant arriver, elle se crispa et eut un mouvement de recule qui fit appuyer son dos contre le torse musclé d’Erwan. Il le dépassait d’une bonne tête. Ce dernier posa ses mains sur les épaules d’Alice, bizarrement ça lui fit un bien fou. Elle eut un sentiment de sécurité. Erwan lui dit :

- Alice, tu me connais, je te promets que tu ne risques rien, fais-moi confiance. Il a un truc à te dire, je reste avec toi, si ça peut te rassurer.

Bien sûr que ça me rassure Erwan, putain ! Est-ce que tu sais quel programme voulait me réserver ce sale con ? Mais Pat la terreur était déjà en face d’elle avant qu’elle ait eu le temps de répondre. Il tenait maladroitement un bouquet de tulipes multicolores dans ses grosses paluches qui tremblaient un peu. Le fond des tiges étaient grossièrement entourés d’un papier d’alu froissé. Il regardait ses chaussures, penaud. Erwan sentit qu’elle était tendue.

- Tu peux te détendre, Alice, Pat doit juste te dire un truc. Hein Pat ?

- Ou-oui, répondit hésitant Pat, sans lever les yeux.

- Alors vas-y, dis-lui !

- M’excuse Alice, marmonna Pat entre ses dents, je…

- Plus fort ! dit Erwan, je crois qu’elle n’entend pas. Regarde-là et articule !

Elle ne croyait pas ce qu’elle entendait. Erwan s’adressait à Pat la terreur comme si c’était un enfant puni qui devait réparer sa faute. Il va nous défoncer ! Se dit-elle. Puis Pat leva les yeux vers elle. Quelque chose a changé dans son regard, pensa-t-elle immédiatement, c’est comme si ses yeux étaient… elle chercha les mots… voilés de peur, soumis. Elle ne trouva pas mieux pour décrire son impression. Il poursuivit :

- Je… J’m’excuse, Alice, j’aurais pas dû t’agresser hier… Il y eut un long silence.

- Et… Dit Erwan en moulinant de la main et en levant les yeux au ciel pour bien lui faire comprendre qu’il devait continuer et vite. Alice se sentait gênée.

- Et je.., j’regrette de t’avoir insultée… Nouveau silence.

- Et… Recommença Erwan avec son moulinet impatient.

- Et j’m’excuse aussi pour ça, je ne recommencerais plus et je t’approcherai plus jamais, j’te l’promets !

Il lui tendit les tulipes d’un geste un peu brusque et maladroit, en baissant à nouveau le regard. Alice a failli se les prendre dans la figure. On dirait un gamin de cinq ans qui veut se faire pardonner une grosse bêtise, se dit-elle. Elle rougit de manière incontrôlable. C’est con, c’est la première fois qu’un garçon m’offre des fleurs en dehors de mon anniversaire et il faut que ce soit dans ces conditions merdiques ! Elle prit les tulipes parce qu’elle ne voyait pas quoi faire d’autre. En cherchant les mots convenant à cette situation débile, elle dit :

- Je… Heuuu… Je te pardonne Pat, oublions ça… C’est… heuuu… C’est pas grave. C’est aussi un peu de ma faute, j’aurai dû regarder où j’allais…

C’était tout elle ça ! Dire « c’est pas grave, c’est de ma faute » alors qu’hier elle pleurait toutes les larmes de son corps seule dans les toilettes des filles et qu’en plus elle s’était pris un blâme à cause de cet abruti qui méritait une gifle et de bouffer ces tulipes une par une ! On ne se refait pas…

- Allez, c’est bon ! dit Erwan, dégage maintenant Patounet et marche à l’ombre !

Pat se retourna et s’en alla d’un pas lent et plus du tout chaloupé à la yo. Tiens, on dirait qu’il boîte un peu et qu’il marche les jambes trop écartées, se dit-elle. Elle eut un peu pitié. Erwan la regardait avec son légendaire grand sourire.

- Tu vois, j’t’ai dit que ça s’passerait bien ! Dit-il.

- Tu peux m’expliquer ?

- T’occupes, il ne t’embêtera plus, c’est ce qui compte. Le reste c’est secret défense ! Je crois même qu’il n’embêtera plus personne dans cette école.

La cloche des cours sonna.

- Je te laisse, ma belle, bonne matinée ! Dit Erwan en lui collant un bisou sur la joue.

Avant qu’il ne soit trop loin, Alice le rappela :

- Hé, Erwan… (Il se retourna), Merci !

- Oh, de rien, c’est pas moi que tu dois remercier, j’ai pas fait grand-chose !

- C’est qui alors ?

Erwan mima le geste de fermer ses lèvres avec une fermeture éclair et sourit. Le message était clair : Je ne dirai rien ! Elle l’appela à nouveau

- Hé, Erwan !

- Quoi encore ?

- Marche à l’ombre, j’ai adoré ! Tu sors ça d’où ?

Il haussa les épaules et tourna les paumes de ses mains vers le plafond, comme pour dire « va savoir ? » et s’en alla. Elle se retrouva plantée dans le couloir avec un bouquet grossier de tulipes multicolore en main. Elle les jeta dans la première poubelle, sortit un livre de son sac et rejoignit sa classe le nez plongé dedans.

Après ça, Pat ne revint pas aux cours. Il disparut. Et après quelques temps le professeur principal de la classe qu’il fréquentait annonça un matin qu’il ne viendrait définitivement plus. La nouvelle se répandit très vite et en début d’après-midi toute l’école était au courant. Personne ne le regretta et beaucoup en furent soulagés (les « Intellos à Lunette » fêtèrent la fin du « Calvaire Cacaillera » en trinquant une orangeade à la cafétéria de la médiathèque municipale). L’équipe des « Patounettes » se dilua rapidement. Certains d’entre eux, fils de bonnes familles qui voulaient se donner un genre, se sentirent libéré par la disparition de leur leader. Pat allait souvent trop loin pour eux dans la déconne mais ils n’avaient jamais osé le lui dire ou quitter la bande tant qu’il était là.

Alice reprit le cours normal de sa vie et ne fut plus embêtée par qui que ce soit. Ses amies l’avaient protégée de l’odieux Pat et ne lui avaient jamais rien dit. Rien ne lui a jamais été demandé en retour. C’est ça l’amitié…

Le cours normal de la vie d’Alice se poursuivit jusqu’au jour où elle reçut le message qui allait le changer…