Trip
Trip
Nous savions qu'il nous faudrait une bonne semaine pour trouver un camion qui nous permettrait de quitter ce bled. Nous avions trouvé une chambre, avec deux lits. Les draps, malgré leur forte odeur de lessive, laissaient lire leur utilisation dans des nuits mouvementées.
Nous avions entrepris ce raid en Afrique depuis trois semaines. L’hivernage se terminait, mais la touffeur restait insupportable. Peu importait, j’étais le plus heureux des garçons. Nous nous étions croisés sur les bancs de la fac. J’avais été attiré par son charme, sa blondeur et la plastique de son corps sportif. Je m’étais rapproché, forçant ma timidité à se taire. Nous étions en première année, aussi perdus l’un que l’autre dans cet univers inconnu. Quelques paroles, un sourire, et nous étions devenus camarades par habitude. Sociable, il avait rapidement trouvé un cercle chaleureux, dans lequel je m’étais inséré, car il me témoignait de petites marques d’attention.
Dans ce groupe informel, il succomba rapidement aux charmes de la plus jolie, alors que je n'étais pas indifférent à une autre. Cela restait chaste, malgré de petits attouchements et des regards doux.
Il avait un oncle en Casamance et il me proposa, à mon grand étonnement, ce voyage. Quand il précisa que cela ne nous concernait que tous les deux, je crois que j’ai rougi. Notre maigre pécule partant dans le billet, ce serait avec les moyens locaux. Ignorant ce que cela signifiait, j’avais acquiescé : un mois avec celui que je vénérais sans me l’avouer était un cadeau magnifique.
Les conditions étaient difficiles, rudes, mais son sourire me faisait tout accepter, d’autant qu’il avait de nombreux gestes d’affection à mon égard. Souvent, il m’encerclait de son bras, me serrant pour me montrer une curiosité. Sa tête se penchait vers moi et nos cheveux se mêlaient. Dans les taxis-brousse, nos jambes nues, par force, se mêlaient et je sentais sa pression contre les miennes. Quand nous cherchions le chemin, il me prenait la main, oubliant de la relâcher ensuite. Surtout, il me fixait de ses yeux doux et souriants. Jamais je n’avais été l’attention de tant d’affection, de gestes gentils, de caresses, presque. J’ignorais leur signification, mais je le suivais dans un état second. Aucune parole ne mettait de mots sur ce qu’il éprouvait pour moi, peut-être était-il également incapable de formuler et d’exprimer cette relation.
Dans chaque halte, une fois la porte fermée, il se dévêtait entièrement, se mouvant avec naturel dans sa nudité. La première fois, je ne pus que le contempler, gêner de ne pouvoir l’imiter puisqu’une semi-érection ne me quittait pas à son spectacle. J’évitais de porter mon regard sur son sexe blond qui me fascinait. Quand je vis qu’il était également un peu tendu, je me jetais dans l’étude du guide pour faire redescendre ma pression. N’ayant ni été sportif, ni vécu en internat, j’ignorais tout de la pratique de la promiscuité des garçons. Je devinais qu’il ne le faisait ni par ostentation, ni par exhibition vers moi. Il était bien dans cette tenue. Il ne fit aucune remarque sur le maintien de mon sous-vêtement et ne m’invita pas à l’imiter. Il avait vu ma gêne, car il vint s’asseoir sur le lit. Sa peau touchait la mienne, alors qu’il me demandait ce que j’avais trouvé dans le guide. Je marmonnais pour cacher mon trouble, tandis qu’il se redressait, posant sa main sur le haut de ma cuisse. Il était maintenant debout, son sexe un peu déployé à cinquante centimètres de ma tête. Il se pencha et effleura ma joue du bout de son doigt, avant de repartir farfouiller dans son sac. Je me précipitais pour prendre une douche froide, dont la tiédeur ne calma pas mes ardeurs.
J’avais juste oublié de prendre ma serviette et je dus retourner dans la chambre dégoulinant et le phallus dressé, sans parvenir à le dissimuler dans mes mains. Il me claqua l’épaule en me disant de me préparer pour aller dîner.
Deux jours plus tard, la seule chambre disponible n’avait qu’un grand lit. Je n’avais jamais partagé la couche de quiconque et je me mis à redouter la nuit. Je n’en pouvais plus. Sa proximité incessante, ses gestes, sa nudité me poussaient dans une tension infernale. J’avais envie de lui, sans imaginer ce que cela voulait dire.
La chambre baignait dans la faible clarté de la lune. Il s’était allongé sur le côté, le dos vers moi. Il ne dormait pas encore. Ses fesses étaient comme une offrande. Je me suis rapproché doucement, légèrement décalé pour que mon pénis tendu ne le touche pas. J’ai attendu, attendu, puis j’ai posé ma main sur sa hanche. Aucun frisson, aucune réaction. Je m’abandonnai à cette sensation. Pour la première fois, je le touchais vraiment, volontairement. Sa peau était rêche, mais cela était sans importance. Je commençais à laisser le bout de mes doigts courir sur son côté. Il restait silencieux, sans mouvement. Puis ma main redescendit de l’autre côté, sur son ventre. Je n’avais qu’une pulsion, difficile à retenir, me jeter sur lui, écraser nos lèvres, mélanger nos langues et tenir à pleine main son sexe. Mon geste était lent, délicat, respectueux. Je commençais à sentir les petits poids de son pubis quand sa main se posa sur la mienne.
— Je ne suis pas de ceux-là.
Je reculais, honteux de ces gestes involontaires que je venais d’avoir. Comment avais-je pu les faire ? Moi non plus, je n’étais pas de ces garçons. C’était incompréhensible. C’était lui, juste lui, fondre ensemble ce que je croyais être une amitié. J’ignorais tout du sexe, des caresses. J’avais cru…
Je me retournai, torturé par l’horreur de ce que je voulais. Je me retenais de pleurer mon dégoût.
Une main se posa sur mon épaule.
— Tu sais, je suis très heureux de faire ce voyage avec toi, entre amis.
Je ne suis pas certain, mais j’ai ressenti son souffle sur ma joue, comme un baiser.
Rien ne changea dans son attitude, reprenant les mêmes étreintes, les mêmes mains jointes, le même sourire, alors que je me sentais sale, dégradé, d’avoir laissé mes pulsions se dévoiler. Il ne me méritait pas comme ami.
Dans l’attente du passage, nous passions les journées à déambuler sans but, finissant par connaître chaque ruelle, à boire des whiskys à l’eau dans le seul bouge qui servait de l’alcool.
Un soir, mon ami revint, l'air content. Il avait réussi à trouver du shit. J'avais dit mon absence d'expérience et ma curiosité, sans plus. Cérémonieusement, il roula le pétard. Sur le bord du lit, nous fumions tranquillement, échangeant ce brandon.
Je ne ressentais rien, l'effet semblait nul. Mon ami, bientôt, s'allongea sur son lit et s'endormit presque aussitôt. Je le regardais dans sa nature.
Ce soir-là, je pouvais, enfin, contempler mon rêve sans retenue. Mon envie était intacte, multipliée par ce que nous avions partagé et, surtout, par ce que nous n’avions pas partagé. Je me refusais à réfléchir sur mes tendances. Lui, uniquement lui, entièrement lui.
Il était étendu, détendu, le visage souriant. Mes yeux se fixaient sur son joyau, dans son écrin de blondeur. C'était la première fois que je pouvais contempler sans limites une telle chose, surtout celle-là. Tout était beau, parfait. J'étais étonné de cet émerveillement.
Il reposait en paix, dans un rêve heureux. J'osai alors approcher ma main du tabernacle. Ne pas toucher, juste survoler cette zone interdite, ressentir mon imagination dans les doigts. Le magnétisme devait être puissant puisqu'un épanouissement survint, qui s'amplifia jusqu'à son visage.
Déployée dans son or, la splendeur se dressait dans son comble, avec une grande pudeur puisqu'un prépuce sans fin masquait la sexualité. Ma main retourna légèrement planer sur ce trésor défendu. Avec de lentes circonvolutions, j'entourai à distance ce phare indiquant une route délicieuse. Cette imposition lointaine déclencha de légers soubresauts, bientôt accompagnés par l'écoulement de liqueur sur cette tige. De violentes vagues explosèrent en moi, alors que déjà se repliait lentement mon songe.
Assommé, je sombrais rapidement dans un sommeil de plomb.
Une gueule de bois m'attendait à mon réveil. Désolé de s'être endormi si vite, mon camarade s'inquiétait de mon ressenti. J'avais cru apercevoir des traces sèches dans sa toison dorée, sans que mes yeux ne puissent s’attacher sur cet endroit. Les taches sur les draps pouvaient dater de cette nuit ou de bien avant. Une sorte de crampe traversait mon bas-ventre. Mon trouble me fit dire que j'avais vécu une expérience aussi étrange qu'exaltante. Il se demanda si l'herbe n'était pas mélangée, car lui aussi avait eu un trip très curieux. Il me regardait au fond de l’âme, comme pour se rassurer. Le questionnement de mes yeux fit réapparaître son sourire épanoui, sans explication.
Encore maintenant, je doute de la réalité de cette nuit-là. Nous sommes rentrés, avons poursuivi nos études en restant inséparables. Il avait conservé ces gestes amicaux d’enveloppement qui me ravissaient à présent et que je savais lui rendre. Plusieurs camarades se demandèrent quelle était notre relation. Cela m’amusait.
Puis la vie nous éloigna.
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