Le dernier jeu.
Casino Monte-Carlo, finale champion ship de poker. 1 million d’euros à la clé.
Sous les applaudissements de la foule, la chaise recule et le perdant sort de table complètement laminé, dégoûté d’avoir perdu aux portes de la finale. Cette troisième place, quelle plaie ! Surtout au poker… Il n’y a rien de plus rageant. Tu entrevois la possibilité de toucher le pactole final et soudain, une inattention et c’est la claque, tu repars bredouille sans rien avec un sacré goût amer de défaite. Telle est la loi du jeu. De toute manière, il n’aurait rien pu faire contre moi, il n’aurait fait que retarder sa chute inévitable. Au plus tôt, le mieux. Après tout, je suis le maitre, le révérend. Je pousse un soupir, la finale s’annonce morose, sans suspense, d’ailleurs je sens l’aura du public qui se doute déjà du résultat. Jouer contre un outsider que personne ne connait, mais qui a réussi à faire son petit bout de chemin avec une certaine maladresse et chance je dois dire, pour arriver jusqu’à la porte de la finale. J’ai pourtant l’impression de l’avoir déjà vu quelque part… Je le dévisage un court instant avant de me raviser. Non ça ne me dit rien. Il a cet air mi-ahuri mi-concentré, lui même n’arrive pas à croire d’être à ce stade. Je reste invaincu depuis que j’ai commencé ces tournois et ce n’est pas aujourd’hui que je faillirai, par la force de Dieu, grâce à la foi. Je n’ai aucune peur de l’affronter, j’ai un don trop particulier pour me triompher. Il va morfler le pauvre.
— Messieurs, vous êtes en finale, êtes-vous prêt ? demande le croupier.
Nous donnons un hochement de tête approbateur et le public en délire autour de nous frappe lourdement des mains. Une vingtaine de fidèles de mon église se sont déplacés exprès pour me soutenir dans cette finale, beaucoup d’inconnus et de curieux qui me connaissent par mes prouesses religieuses ou mes talents de joueur qui ne sont plus à démontrer, sont également de la partie. Il est temps de montrer encore une fois l’étendue de mes pouvoirs ce soir.
J’étais resté sans voix devant le jeu précédent, il avait réussi ce tour de passe passe, je ne sais trop comment, à gagner et à revenir dans la course en égalisant sa part avec la mienne. Enfin presque, il a un léger avantage, rien de bien méchant ! Il a un jeton de plus que moi ! Et cela à le don de m’énerver ! Il se croit quoi ? Plus fort que moi avec son petit air d’innocent prétentieux ? Je vais le réduire à néant en un rien de temps ! Il comprendra que c’est mal de jouer à ce jeu diabolique. Le jeu du malin, de satan. Il apprendra à ses dépends. Je le lis comme un livre ouvert depuis qu’il nous a rejoint à cette table, il ne m’a pas fallu longtemps pour découvrir sa faille, celle qui le conduira à sa perte. Tout le monde à un point faible, une réaction incontrôlable lors de la découverte des cartes en jeux, le moment où vous allez jouer ou bluffer, rien ne m’échappe. Ni même derrière les lunettes noires et le soit disant « poker face » à rester de marbre. J’analyse le reste du visage, la position des mains, les changements de postures du corps, de pigmentation, enfin tout. tout le code de langage corporel. Je ne laisse rien au hasard. Je suis un as dans la matière. Je suis infaillible, grâce à Dieu ! C’est à mes dons que je dois ma place de révérend également. Et depuis que je fais les tournois dans ma quête de justice et de bonne parole, que j’ai pu garder ce titre en tant que joueur.
Le silence se fait dans la salle et le croupier commence à distribuer les cartes, elles glissent majestueusement sur le tapis jusqu’à se poser sous mes mains. Je jette un coup d’œil furtif à mes cartes, impassible.
Roi de pique, roi de coeur.
Les affaires sont bonnes ! Il ne va pas comprendre ce qui va lui arriver, le pauvre ! Je sonde mon adversaire qui découvre à son tour ses cartes, ses commissures trahissent pendant quelques millièmes de secondes la pauvreté de son jeu. Elles se sont imperceptiblement baissées vers le bas, pour marquer la déception. Imperceptible pour les autres, mais pas pour moi. Je reste de marbre et j’aperçois qu’il ose me jeter un coup d’œil pour me jauger. Manque de bol pour lui, il n’en verra rien. Rien ne peut transparaître, je suis maitre de mon esprit et de mon corps. D’ailleurs je le vois légèrement inquiet.
Le croupier glisse les cartes sur le tapis pour relever les cartes suivantes:
roi de trèfle, neuf de pique, reine de coeur.
La chance me sourit, Dieu est avec moi ! un brelan au moins ! Cet idiot ne fera pas le poids ! Voyons les possibilités à ce stade qui s’offre à mon concurrent pour me contrer : Un flush (cartes de la même couleur) est exclu, par contre une suite est tout à fait envisageable suivant ses cartes. S’il possède un dix/valet, je suis perdu. Je dois absolument obtenir plus d’information sur son jeu pour en être certain. Je relève la tête pour l’observer. Épaule légèrement en avant, en position défensive, ainsi que le reste du corps, regard absent à mon avis, je n’ai pas à m’inquiéter pour le moment. Il sent que je le scrute et il lève les yeux pour me dévisager. Pour la première fois depuis le tournoi, il prend la parole :
— Alors révérend, comme ça, vous croyez en Dieu et aux miracles ?
En voila une drôle de question. Essaye-t-il de m’amadouer en quelques sorte ? Me sonder ? Un soudain sursaut de conscience de sa défaite inévitable ?
— Bien sûr mon fils, j’ai la foi depuis bien longtemps, Dieu m’a doté d’un don, mais, tu le sais déjà, je suppose ?
Il me regarde d’un air comme s’il essayait d’assimiler les mots que je viens de dire.
— Je vous ai déjà vu à la télé, révérend, je ne peux que constater votre pouvoir et influence, vous êtes un grand homme, un homme bon et généreux. Mais… Dieu vous chuchote t-il réellement tout ?
— Oui, il le fait. Comment ferais-je pour gagner tout le temps ?
— Il y a une chose que je ne comprends pas. Vous dites… Que les gens qui jouent au poker, ce n’est pas bien, que c’est le mal incarné et pourtant, vous y jouez. N’y a t-il pas un conflit aux yeux de Dieu ?
Je le regarde avec un regard presque paternel. Je me cale au fond de la chaise, la salle est plongée dans un calme religieux, toute ouïe comme pour écouter mon sermon.
— Non du tout. Je montre au monde et à ceux ici présent, que le jeu, c’est mal. Et Dieu me donne ses pouvoirs pour vaincre et convaincre les gens d’arrêter. D’ailleurs tu le sais, l’argent récolté des tournois vont aux malades de mon église et à la charité. Il m’arrive aussi d’en reverser une partie aux perdants les plus durement touchés s’ils me font le serment d’abstinence aux jeux de hasard.
— Alors jouer contre vous, c’est déjà être condamné à perdre ?
Son visage s’est refermé d’un coup. Il vient de comprendre qu’il ne fait pas le poids face à moi. Je place la mise de départ, mille dollars sur le centre du tapis.
— Le choix du vainqueur a déjà été désigné par Dieu. C’est un fait que tu dois accepter. Check.
Ne pas l’effrayer. Vu la posture de son corps actuelle, son jeu doit être mauvais. Augmenter la mise serait une erreur et pourrait l’alarmer et l’inciter à ne pas jouer. Il regarde discrètement une nouvelle fois ses cartes, comme pour s’assurer que ce qu’il possède est bien réel. Cette fois ci, son visage reste impassible. Est-il résignié ?
— Check, dit-il d’une voix neutre.
Le croupier avance une nouvelle carte au centre de la table. Et la dévoile aussitôt.
neuf de coeur.
[roi de trèfle, neuf de pique, reine de coeur, neuf de coeur]
Mes yeux sont fixés à sa réaction primaire, j’ai vu la surprise avant une nouvelle déception par les commissures de ses lèvres. Son jeu doit être très mauvais, c’est certain à présent ! C’est un homme fini, il n’a aucune chance de remonter dans la course ! Le seul jeu le plus probable qui aurait pu me mettre au tapis dans la limite du possible était de faire une suite 10, Valet, Dame, Roi, As. À présent, cette possibilité est purement et simplement enterré ! j’ai un full house ! Trois Rois et une paire de neuf ! Quasi imbattable ! Bien sûr, si son jeu était parfait pour une suite, j’aurai pu espérer en derniers recours pour le battre avec un carré de quatre Rois, mais la probabilité de chance pour tomber sur cette dernière est d’une sur quarante-quatre. Autant dire que le miracle n’aurait pas été au rendez-vous.
De toute manière, on en est plus là, il n’y a pas de suite, il a rien ! J’ai un full house ! Il ne fait plus le poids face à moi, les jeux sont fait ! Quand aux autres combinaisons gagnantes, les probabilités sont faibles voir, nulles. Il est fait comme un rat. Le tout à présent, c’est de lui faire cracher des jetons au centre du tapis. Je commencerai mon petit numéro au dernier tour.
— Check, lancé-je
Je le regarde, impassible. Il a l’air complètement absorbé, son esprit comme absent de son corps, il n’y a aucune réaction pendant de longue et interminable secondes. De toute manière, il n’a pas trop le choix. Pourquoi tant d’attente ?
— Raise deux milles.
Quoi ??? Un murmure se lève dans la salle, dans un souffle j’entends un « il est fou » et je parie qu’il a aussi entendu. Mais il n'avait que faire du public. Qu’est-ce qu’il a pour faire un raise d’autant ? Un tiers de ses jetons ! A-t-il un neuf ou une paire de neuf dans son jeu ? Je le regarde avec attention et à ce moment là, je l’ai vu. C’est un coup de bluff. Il bluff. Ce que j’ai mis du temps à trouver et vérifier, sa faille durant ces heures de jeu, se reproduit à mes yeux. Ses narines bougent ! Aussi incroyable soit-il, lorsqu’il bluff, ses narines se dilatent un court instant, j’ai pu le constater plusieurs fois durant les différentes mains en faisant exprès de perdre, afin de m’assurer de la pauvreté de son jeu. À chaque fois, j’avais raison, ma méthode est sûre, je ne peux pas me tromper ! Quel idiot ! Il veut me faire croire qu’il a une bonne main, avec neuf et Dame ou Roi ? Quel fou plus d’un tiers de ses jetons ! C’est étonnant qu’il n’a pas peur que je me couche après une si grande mise ? Il ne doit rien avoir dans le cerveau, l’idiot ! Je décide de le suivre dans son jeu.
— Hé bien, je dois dire, que tu as du courage ! Je ne sais pas ce qui se passe dans ta tête, mais tu es un sacré adversaire ! Je ne sais pas où cela va nous emmener, je vais donc te suivre à tes côté. Check deux milles !
La foule applaudit quelque instant avant de retenir son souffle. Le croupier abat la dernière carte sur la table.
Dame de trèfle.
[roi de trèfle, neuf de pique, reine de coeur, neuf de coeur, dame de trèfle]
Une Reine ? A t-il une Reine dans son jeu ? De toute manière, mon jeu vient encore de s’améliorer ! Full house avec trois Rois et une paire de Dame ! Il ne ferait pas le poids contre son full de Dame et sa paire de neuf ! Son corps ne dit rien de particulier à ce verdict, il a vraiment une sale mine, bien qu’il essaye tant bien que mal de le cacher. Il est dommage de gaspiller un si bon jeu et de recevoir si peu en retour. Certes, je rafle une belle mise, mais pas assez pour le mettre K.O sur les prochains tours. Il n’est pas si con après tout… Avec un peu de chance si je fais un check, il pensera que mon jeu est mauvais et tentera de mettre plus de jetons comme le tour d’avant ?
— Check.
Il me regarde impassible, hésitant... Il tripote un jeton entre les doigts à penser pendant de longues secondes, toute l’attention de la salle s’est portée sur lui. Et soudain, contre toute attente, il craque :
— All-in.
Un brouhaha indescriptible s’élève dans la salle plus bruyant que la dernière fois, moi qui croyais que cette finale serait morose… Et ses narines n’en finissent pas de le trahir une nouvelle fois lorsqu’il annonce la nouvelle ! Encore du bluff ! La victoire est à moi !
— Qu’est-ce que tu as dit ? All-in ? En es-tu sûr ?
— Vous avez dit vous même, que les jeux étaient déjà fait, que Dieu vous a déjà désigné en vainqueur, alors pourquoi lutter ? Pourquoi retarder l’inévitable ? Mais je pense, que j’ai mes chances. Qui sait ?
Sale petit prétentieux ! Tu penses vraiment gagner ? Tu n’as aucune idée de ce qu’il t’attend !
— Tu as raison, voyons qui de nous deux, Dieu a décidé d’en faire le gagnant de ce tournoi ! All-in.
Je place tous les jetons au centre du tapis, le grand moment est arrivé, le frisson d’abattre ses cartes sur le tapis.
— Messieurs, montrez vos cartes. Dit le croupier.
Je décide de montrer en premier mon jeu afin qu’il réalise toute l’étendue de son erreur. Mes deux cartes ne forment qu’une montrant le roi de cœur, tout le monde retient son souffle à la vue, d’un coup de doigt avec un certain suspense, je fais glisser celle-ci pour dévoiler le Roi de pique juste en dessous. Son visage s’était considérablement assombri alors que la foule en délire ne peut qu’éclater de joie à la vue de mon jeu. Sa tête tombe sur ses bras croisés sur la table qu’il cherche à enfouir pour masquer sa déception et ses sanglots comme témoigne son dos courbé qui s’agite sporadiquement.
— Full Roi et paire de Dame, annonce le croupier.
Prends ça dans ta face ! Je ne peux que ressentir de la pitié pour lui à le voir pleurer comme un môme, la foule continue de m’acclamer en héros, « révérend ! Révérend ! » Je vois la main hésitante de mon concurrent glisser sur la table les deux cartes l’une sur l’autre, en gardant la tête enfuie dans l’autre bras.
Dame de carreau.
C’est comme un petit électrochoc qui se produit en moi. Une Dame ? Il aura quand même réussi à faire un full house, dommage pour lui, mes Rois sont plus fort que ses dames. Il manque vraiment de chance. La clameur du public s’estompe progressivement curieux par ce revirement soudain. Je regarde le dos et la tête enfui de mon adversaire toujours pris de spasmes. C’est alors que je comprends que quelque chose ne tourne pas rond. Ce n’est pas des sanglots qui s’échappent mais un rire. Un fou rire ! Il s’est caché pour rire ? C’est quoi ce bordel ? C’est à ce moment là, qu’il glisse sur le coté la carte pour faire apparaitre celle cachée en dessous, à la vue de tous.
Dame de pique.
Mon sang se glace sur place. Non.. Ce n’est pas possible… Pas ça, Non c’est impossible !!!
— Carré de Dames vainqueur. Bravo Monsieur, annonce le croupier, surpris.
Je reste sans voix devant les résultats, ce n’est pas possible ! Il doit y avoir une erreur ! Pas un carré ! Non ! Il y a triche, je ne vois que ça ! C’est une combinaison parfaite ! Une probabilité de tomber sur un tel jeu est tellement faible !
— Surpris ? On dirait que j’ai gagné.
Il a remonté sa tête depuis et pour la première fois, je le vois métamorphosé. Complètement relâché, décontracté, épaules en arrière, sur l’offensive le visage résolument inquisiteur. C’est tout un autre homme qui se présente à moi.
— Mais qu’est ce que c’est que ce cirque ? Vous avez triché, c’est évident ! Vous avez fait un tour de passe passe avec les cartes à votre guise, sécurité ! Fouillez cet homme !
— Ohh… Pourquoi tant d’accusation de votre part ? Vous croyez vraiment que j’ai triché ? C’est pourtant vous, l’imposteur dans cette histoire ! réplique-t-il sèchement.
— Comment cela c’est moi, l’imposteur ? Fouillez cet homme !
— Bien ! Bien ! Je me laisserai fouiller après avoir tout expliqué, j’ai bien le droit, non ?
Je ne sais trop quelle explication il va me raconter mais il a intérêt d’être convaincant.
— Bien bien révérend, je vois que certains de vos « fidèles » sont réunis ici, c’est l’occasion pour eux d’écouter une histoire.
Il a tourné la tête vers l’un d’eux, qui est en chaise roulante. Je commence à avoir comme un mauvais pressentiment.
— Révérend Wood, l’homme au pouvoir surnaturel reçu de Dieu ! L’homme aux mille miracles et qui a le « don » de tout connaitre à la simple vue des personnes ! Mais quel honneur ! L’occasion est idéale pour casser le mythe.
Je déglutis. J’ai comme une irrésistible envie de m’échapper. Je Reste là, immobile sur ma chaise à ne pas savoir quoi faire. Et lui qui me regarde d’un air amusé.
— Oh je vous en prie, restez parmi nous, voulez-vous ? Je vous donnerai l’occasion de vous défendre. Alors révérend ? N’avez-vous jamais expliqué vos dons et pouvoirs mystérieux à vos fidèles ? Non ? Pourtant j’ai exactement les mêmes pouvoirs que vous, et je les ai utilisé contre vous.
— Foutaise ! Ce n’était que de la chance !
— Vraiment ? De la chance ? Vous savez tout comme moi, pour gagner il faut savoir connaitre son ennemi, l’analyser, trouver ses failles… De la même manière que vous utilisez sur vos fidèles !
Des regards interrogateurs s’élèvent parmi les fidèles et la foule.
— Ohh enfin ! Vous n’allez pas me dire que vous croyez à son baratin de nouveau prophète, de tout connaitre et tout savoir sur n’importe qui dans son « église » ? Il ne fait que du cold reading, une lecture à « froid » le moindre fait et geste du corps humain sont analysés en détails… dilatation des pupilles, le moindre muscle faciès est passé au crible et ainsi que la position du corps pour taper juste. Je dois l’avouer, vous êtes très fort à ce jeu ! Ah oui, pendant que j’y suis, vous oubliez ses « assistants » qui fouinent le passé au préalable chaque participant à l’aide de questionnaire lambda à l’entrée de votre chapiteau église avant votre messe de « miracle ». Puis, ces infos sont relayées par oreillette, lors de votre grand show, n’est-ce pas ? Une fois que vous avez brisé la glace avec ses premières révélations auprès de vos victimes, ce n’est plus qu’un jeu d’enfant pour les lire au plus profond d’eux et d’en faire ce que vous voulez…
Merde… merde… merde…. Ça se présente mal. L’atmosphère a subitement changé du côté de mes fidèles, les autres spectateurs ont l’air amusé par ces révélations.
— Mes amis, ne l’écoutez pas ! Il prêche le faux pour vous égarer ! Vous n’avez aucune preuve, c’est sans fondement !
Il me regarde, le sourire de plus en plus large.
— Vous avez oublié, je vous ai battu à votre propre jeu de cold reading. Vous voyez, je connais parfaitement la manière dont vous procédez et à quel point vos talents sont effroyables à tout passer au crible… Mais c’est ainsi que j’ai pu trouver votre faille.
Je le regarde avec curiosité. Une faille ? Moi ?
— Bien sûr ! C’est évident pourtant non ?
Je le regarde et mon cœur failli lâcher. Non… Ce n’est pas possible… Ses narines… Bougent !!
— Vous avez compris à présent ? Je vous ai fait croire qu’au bluff mes narines se dilatent comme point faible ! En me fixant à cette partie du visage, je pouvais voir si vous avez mordu à l’hameçon ou non. Je savais pertinemment que vous alliez utiliser vos dons de cold reading alors, Je vous ai fait croire que c’était une de mes réactions naturelles depuis le début du tournoi pour mieux vous berner !
— Ce que vous dites, n’a aucun sens ! Qu’auriez-vous fait si vous aviez eu une mauvaise main ?
Dans mon excès de rage, j’ai compris que ma question était parfaitement ridicule. Et mes yeux, fixent sa main droite et son pouce qui agite de la manière d’un tic. Mes yeux s’écarquillent. L’autre faille lorsqu’il a une bonne main !
— Comprenez-vous à présent ? Que mon jeu soit mauvais ou bon, je garde entièrement le contrôle du jeu en vous faisant croire ce que je veux. Si mon jeu était mauvais, je vous aurais fait croire au contraire que j’avais une excellente main vous obligeant de vous coucher… Et comme le veut la règle, mes cartes seraient restées secrètes ce qui protège ainsi mon subterfuge.
Il est malin…. Très malin… Je tourne la tête vers mes fidèles qui commencent à perdre confiance en moi.
— Le tout était de mettre votre ego en marche ! Ainsi, j’avais calculé à l’avance pour que je reprenne la main juste avant la finale, je suis persuadé, rien que le fait que je vous ai dépassé de un jeton était suffisant pour vous faire sortir de vos gonds. Pas vrai ? Vous devez avoir un sacré complexe de grandeur en vous faisant passer pour un prophète et révérend !
Je me tais. Et mon silence ne fait que confirmer ses dires auprès du public.
— Alors… après ce n’est que du jeu d’acteur… Encore faire monter votre ego en parlant de vous et de vos « miracles » vous galvaniser, vous gonfler à bloc et vous faire croire infaillible, et voilà ! Le parfait plan pour que vous tombiez dedans !
— Pourquoi… Pourquoi vous donner tout ce mal ? Pour l’argent ?
Pour toute réponse, il pointe du doigt mes fidèles.
— À cause d’eux. Vous n’avez aucune idée du nombre de fidèles que vous avez si gentiment plumé de leurs argents, leurs faisant croire monts et merveilles de vos pouvoirs de guérison qui n’arrivent jamais, qu’ils viennent s’échouer dans mon cabinet. Vous n’imaginez pas tout le travail de désintoxication je dois faire sur eux ! Beaucoup se sont mis également en danger et se sont retrouvés à l’hopital convaincu qu’être guéri de la maladie, dans un état plus que critique ! Alors j’en ai eu ras le bol, je ne pouvais pas continuer de voir cette mascarade défiler plus longtemps. Je suis venu vous voir, plusieurs fois à vos « messes » et lorsque j’ai vu l’étendu des prochains dégâts, j’ai décidé de prendre les choses en mains et de frapper fort. Directement ici et sur votre portefeuille.
Ça y’est ! Je me rappelle de lui maintenant ! Il était venu plusieurs fois. Il y a eu un incident avec mes assistants et ils ont dû le refouler. Pourquoi je n’ai pas réussi a m’en rappeler plutôt ? Foutu tournoi !
— Ah oui ? Vos fameux « perdants » que vous convertissez et redonnez de l’argent perdu des tournois ? Pourquoi ne dites-vous pas la vérité ? Des recrues simplement payées pour suivre vos directives dans vos combines… L’argent vous revient tout comme les « dons » qui ne n’atteindront jamais vos œuvres de charités mais directement dans votre poche… J’ai des méthodes de persuasion semblables aux vôtres et croyez-moi, vos jours sont comptés à présent. Certains de vos assistants ont craqués et sont prêts à corroborer mes dires.
À ces mots, l’expression de dégout s’affiche sur les visages de mes fidèles, l’un d’eux, en fauteuil roulant ne peut contenir ses larmes, et demande à quitter la salle. Quant aux autres spectateurs ils sont tous horrifiés par ses révélations. Je ne donne pas cher de ma peau.
— Oui Oui… participer à des tournois pour la bonne cause et prêcher contre le mal ! Comme c’est touchant et si… Faux ! C’est votre portefeuille et ego qui ont été ravis. Voila, tout a été dit. D’autres questions ?
Je reste là, sur la table, sans voix, dépité. Il m’a battu à mon propre jeu que je croyais infaillible ! Non seulement j’ai perdu de l’argent mais également mon boulot. Il vient de littéralement détruire ma vie en un coup d’abattage de cartes et toutes ses explications. Tout l’entrainement que j’ai passé, tant d’années à développer ces techniques dont je suis si fier, envolé en une partie à cause de lui. Il avait absolument tout préparé depuis le début, minutieusement et je me suis jeté littéralement dans la gueule du loup. Connaitre son ennemi pour mieux le battre… Mais là, c’est un tout autre niveau. Il a eu tout le loisir de m’analyser dans les moindres détails pour mieux me berner. C’est un tout autre niveau !
— Mais… Mais… Qui êtes-vous ?
Je reste bouche bée, je me devais de connaitre mieux mon ennemi. Son nom…. Il me faut son nom ! Son sourire s’élargit de plus en plus et répond :
— Adam Lehmann, psychologue et ex-mentalist. Mais je pense que vous avez du déduire cela depuis un moment. On se reverra… Un jour ou l’autre je l’espère. Révérend.
Et il part avec son large sourire et ses yeux plein de sous entendu sous les applaudissements incrédules de la foule. J’avais tout perdu. Tu l’espères ? Soit en sûr, je te retrouverai et je te massacrerai. J’en fait le serment.
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