Chapitre 14
Douleurs
La semaine dernière, il s'était mis à neiger. Elle était arrivée furtivement, en pleine nuit dans une légère brise. Je l'avais accueillie comme une vieille amie.
Lorsque j'étais sorti, le tapis immaculé et encore vierge jonchant le sol de mon jardin m'avais étrangement mise de bonne humeur. Glacial, éphémère L'hiver était la saison qui me correspondait le mieux. Cependant, cette froideur avait réanimé une chose en moi que je ne pouvais saisir. Des souvenirs ou plutôt une mélancolie infantile, je ne saurais le dire, mais dès que j'avais découvert la blancheur candide en me réveillant, j'avais immédiatement mis une écharpe et des gants.
Depuis quelque temps, j'allais mieux... ou tout du moins dans le pire ça n'allait pas si mal. Après le baiser que Damon m'avait donné, j'avais compris. Que tout ce que j'avais fait avec lui jusqu'à maintenant n'avait été qu'une erreur. Je l'avais laissé s'approcher trop prêt. Si prêt qu'il avait failli m'atteindre... J'avais pendant un temps baissé ma garde, mais cela n'allait plus se reproduire. Plus jamais. Je n'avais pas le droit d'aimer, je devais me l'interdire. Encore plus avec lui. Pour me changer les idées, j'avais déjà revu Elijah plusieurs fois. Nous avions ainsi pu discuter de la bande, de ce qui se passait là-bas. J'avais également pu retrouver Sheldon grâce à lui. Nous ne nous étions vus que très brièvement, mais lorsque je reconnus sa chevelure blonde, mon corps ne m'a plus obéi et je pus enlacer mon ami comme il se doit. Petit à petit, ma vie reprenait son équilibre de départ - si on pouvait appeler ça un équilibre - les personnes qui devaient m'ignorer, m'ignoraient. Les personnes avec qui je devais traîner, me parlaient. La machine tournait comme sur des roulettes. J'avais parfois, l'impression que cet épisode bordélique où tout le monde se mêlait de mes affaires ne s'était jamais produite. J'avais enfin retrouvé le parfait contrôle de mon existence. Mais pourtant tout, c'était exactement produit comme dans mes souvenirs. Quelque chose avait changé, je ne pouvais le nier.
Cela faisait des mois que Damon et moi, nous ne nous étions plus adressé un mot. Aussi bien au lycée, qu'à l'extérieur. Mais nous ne pouvions plus nous ignorer. Dès que j'étais dans la même pièce que lui, l'atmosphère changeait. L'air devenait plus lourd, chargé en électricité. Son regard empli d'animosité ne cessait de m'observer à longueur de journée. Il ne fallait pas énerver l'animal, mais désormais, je m'en fichais royalement. Une autre personne qui ne cessait de m'agresser était Marlow , sans plus d'argument que d'habitude, ses insultes et son harcèlement étaient devenus quotidiens. Si quotidien, que j'en étais presque habitué. Pourtant après tout ce que j'avais fait pour elle, j'aurais au moins espéré qu'elle me laisse en paix. En fait tout avait retrouvé la normalité que j'attendais. J'étais seule, personne que je puisse me faire souffrir et je pouvais me complaire dans mon malheur aussi longtemps que je le souhaitais. Oui, il fallait l'admettre depuis quelque temps, je prenais presque du plaisir à souffrir. Non pas que je cherchais à me faire plaindre, ou le faire exprès. Mais, quoi que je fasse lutter contre tous ces évènements horribles qui me démolissaient à petit feu était inutile. J'avais donc décidé de me laisser aller dans la douleur et les tourments. Étrangement ne plus lutter ne plus avoir personne pour vous aider était affreusement délicieux. Un poids monstrueux était parti de mes épaules, c'était littéralement envolé et ma foi, je ne m'en portais pas plus mal. Enfin cela dépendait des moments bien sûr, mais la plupart du temps, le chagrin et le dégoût envers moi-même que j'éprouvais étaient supportables.
Aujourd'hui était encore une journée difficile dans le monde affreux et intransigeant de l'école. Mais aujourd'hui, je pouvais tenir. Ce soir, je voyais Elijah, en cachette du reste des membres du groupe évidemment. Mais nous allions bien rigoler, je pense, car il m'avait réservé une "petite surprise" Venant d'Elijah, je pouvais m'attendre à tout et c'est cela qui était aussi exaltant.
- Je te parles-tu m'écoutes ? Me demanda Preston
- Non
- On doit faire ce travail ensemble je te rappelle.
- Pas envie. Tu n'auras qu'à mettre mon nom sur la feuille et c'est tout.
Il soupira, puis se résigna à garder la feuille pour lui. Les cours, les analyses de textes, les graphiques....... Cela ne servait à rien, et rien ne me servirait alors pourquoi écouter ? Pour quoi apprendre ? Je préférais regarder l'extérieur, les branches nues des arbres recouvertes d'une fine pellicule de neige. La rosée du matin qui avait gelé sur l'herbe. Je tentais de m'imaginer le vent froid sur ma peau, les flocons s'accrochant à mon manteau... Tout pour oublier que j'étais dans cette salle de classe stupide. Enfin le son strident de la sonnerie retentit. N'ayant même pas ouvert mon sac de la journée, je fus la première à sortir de la salle de classe. Je courus le plus vite possible à travers les couloirs... Heurtant d'autres élèves qui m'insultaient au passage. J'ouvris la porte de sortie en un coup. Le froid me mordit les joues soudainement, irrésistiblement. Ma poitrine battait la chamade. Au loin, je reconnus la silhouette fine et élancée d'Elijah . Il était là dans son blouson de cuir, un sourire de prédateur toujours collé aux lèvres, il paraissait dangereux, il était dangereux. Était-ce pour cela que je ne pouvais m'empêcher de me jeter dans ses bras ? Il était bestial, imprévisible et parfois violent... Et pourtant, il passait le plus clair de son temps libre avec moi. Pourquoi ? Car nous le sentions, nous le savions... Lui comme moi n'avait plus aucune limite.
- Alors ? Prête à grimper aux rideaux ? Me dit-il quand j'arrivais à sa hauteur.
- Tu m'as promis quelque chose avant il me semble...
- Et tu ne vas pas être déçue. Je suis déjà passé chez toi pour la pauser.
- Qu'est-ce qu'on attend ?
Il rit.
- Tiens cadeaux. Me dit-il soudainement.
Je le vis sortir une de ses mains de sa poche. Il l'ouvrit pour me laisser voir la pilule rose pâle. L'ecstasy en main. Je la regardai un instant, avant de reconnaitre le dessin qui était dessus. La lettre "E" me fit sourire. Puis je mis cette douceur sur ma langue avant de refermer la bouche.
- Quand je l'ai vu, j'ai demandé à Russ si je pouvais lui prendre.
- Russ? Fis-je étonner.
- Ne t'inquiète pas, je lui ai dit que c'était pour toi. Il s'en fout.
- Oh. Bon, on rentre ?
- Quoi ?! Je n'ai même pas droit à un petit truc ? Fit-il une voix faussement suraiguë.
- Un truc ? C'est-à-dire ?
Il attrapa soudain les deux extrémités de mon écharpe et m'attira à lui. J'aurais bien protesté, mais le foulard, c'était soudainement resserrer autour de ma gorge bloquant ma voix. Durement, Elijah posa ses lèvres sur les miennes profitant pour me mordre celles-ci afin de m'agacer. Je le repoussais gentiment lui faisant comprendre qu'il y avait trop de monde ici.Celui-ci me sourit, passa son bras autour de mes épaules et nous commençâmes à marcher. Instinctivement, mon regard bifurqua vers la gauche. Là où ils étaient toujours, là où je pouvais voir Damon . Comme à leurs habitudes, le groupe avait fait un cercle grossier où tous riaient et chahutaient bruyamment. Des rires qui faisaient désormais écho dans le vide.
Damon était là lui aussi une moue grincheuse collée au visage. Une moue que je ne lui avais jamais vue avec moi, ni ses sourires qui paraissaient tellement enfantins d'ailleurs.... Non lorsque nous étions ensemble ça ne se produisaient jamais .J'en fus étrangement blessé. Mais je ne m'attardai pas sur lui, car un regard étrange ne cessait de me fixer. Des yeux profonds ... Candice m'observaient en silence comme toujours. Je le regardai à mon tour. Ses yeux étaient comme une lumière douce et bienveillante posée sur moi, mais je savais que de façon silencieuse, avoir vu une telle scène aspirait encore un peu plus son incompréhension et sa douleur pour moi. Candice n'était pas faite comme les autres êtres humains de cette planète, elle n'était pas faite de chaire et de sang. Uniquement de compassion et d'empathie. La savoir dans ma classe était à la fois frustrant et rassurant. Je me détournai d'elle puis continuai mon chemin comme si de rien n'était.
Effectivement lorsque nous arrivâmes devant ma maison la voiture d'Elijah était déjà garée proprement. à maison n'était toujours pas fermée à clef comme à mon habitude, mais un parfum étrange flottait dans l'air. Une odeur que je connaissais bien embaumait la pièce sur la table, étaient alignés une dizaine de joints déjà préparés.
- Cool, tu as vu que j'en avais plus.
- Exacte, j'en ai pris à Russ.
Je les pris et les rangeai soigneusement, j'en laissais tout de même un sur la table basse.
Les effets de l'ecstasy commencèrent à apparaître, je sentais que mon rythme cardiaque s'accélérait, je ne savais pas si Elijah en avait pris lui aussi, mais ses yeux étaient étrangement dilatés. Des yeux marron, presque noirs. Des yeux envoûtant Il s'approcha de moi. Avais-je envie de faire ça ? Je connaissais la réponse. Est-ce que j'allais vraiment le faire ? La question ne se posait même pas. Comme à chaque fois, j'allais regretter, mais comme à chaque fois, j'allais cependant savourer chaque instant. J'avais chaud, terriblement chaud. L'ecstasy faisait effet maintenant, j'en étais sûre ma perception des choses me semblait plus vacillante qu'à l'accoutumer, et pourtant, j'avais l'impression que tous mes sens étaient bien plus aiguisés. Je regardais ainsi cet homme en sachant que j'allais devenir sa chose pour mon plus grand plaisir, mais aussi pour mon plus grand dégoût.
Il s'approcha de moi avec prudence, comme toujours, il devait lire mon indécision sur mon visage. Ses lèvres touchèrent les miennes doucement, attendent une réaction, il recommença plusieurs fois. Enfin, j'agrippais à mon tour sa nuque et lui rendais son baiser. Je me laissais tomber là sur le sol de mon salon, alors qu'il déboutonnait déjà ma chemise.
Un bouton. Ses lèvres s'échappèrent des miennes pour glisser dans mon cou.
Deux boutons. Sa main gauche faisait de long va et vient sur ma cuisse me griffant par moments la peau.
Trois boutons. Ma respiration devenait plus irrégulière, plus saccadée en sentant une chaleur torride affluer dans mon corps. Soudain, un sifflement sortit de mes lèvres.
- Quoi ?! Demanda-t-il interrogateur.
- Ton collier est froid.
Effectivement, la froideur du métal m'avait mordu la peau et m'avait surpris. Il s'excusa avant d'enlever l'imposant bijou de son cou. Une épaisse chaîne en acier, d'où pendait une sorte de symbole étrange. Un cercle assez imposant, et à l'intérieur, un triangle à l'envers.
- C'est quoi ce collier au juste ?
Cela ne m'avait jamais interpellé les autres fois, je devais sûrement trop absorber par les ébats que nous avions, ou peut-être trop drogués.
Ses mains de part et d'autre de mon visage, il me regardait souriant d'une telle curiosité.
- C'est le signe de Jashin.
- Jashin ? Ah oui ton Dieu. Quel symbole bizarre...
Interloqué par ma remarque, il se redressa sur ses genoux, j'en profitais pour m'asseoir à mon tour.
- Pas plus bizarre que si tu portais une croix chrétienne autour de ce joli cou.
Ses doigts glissèrent le long de ma trachée et s'arrêtèrent sur mon soutien-gorge.
- Et pourtant, je n'en porte pas. Dis-je plus dure cette fois.
- C'est vrai... Alors pourquoi cette chaîne de baptême dans ta chambre.
Il avait l'œil.
- Je ne crois pas en Dieu, je n'ai pas de raison de montrer d'appartenance à un tel mensonge.
- Un mensonge, quel point de vue intéressant. Tu n'y crois pas ou tu ne veux pas le croire ?
- Pourquoi tu as choisi un Dieu qui est celui de la mort.
- Un Dieu ? Non... C'est le Dieu...Les gens se plaise à croire qu'un bon vieux bonhomme veille sur toutes les pEtites fourmis de ce monde, qu'ils sont protégés d'une façon Divine.
- En principe, c'est ça.
- Erin , tu n'es pas assez puérile pour croire ce genre de chose. Toi et moi, on sait que rien n'est juste, rien n'est beau, rien n'est rose.
Je le savais oui, je ne le savais que trop bien. Ma vie était une perfection incarnée jusqu'à ce que je perde tout. Et en échange de la vie de mes parents, j'avais gagné quoi ? De l'argent, des remords, une blessure profonde que je ne pourrais jamais soigner... et après. Évidemment que tout était injuste et ce n'est pas en passant deux heures dans une église tous les dimanches que cela allait changer quoi que ce soit.
- Jashin n'est pas le Dieu de la mort. Il est Dieu, il est simplement différend à mes yeux.
- C'est-à-dire.
- Toutes ces conneries de rédemption, d'amour des autres etc. Les gens ont simplement peur de voir la vérité en face. Cette planète craint. Ce monde est simplement cruel et injuste. Si Dieu était juste ça se saurait. Non, c'est simplement un mec avec des putains de pouvoirs qui s'amusent à buter des gens afin de ne pas mourir d'ennui.
- Tes visions de Dieu et de la mort sont un peu réductrices, tu ne crois pas ?
- Pas temps que ça. Je trouve même que c'est bien résumer.
Imaginer qu'une personne tire toutes les ficelles, qu'elle choisit au hasard de détruire des vies afin de ne pas s'ennuyer.... qui oseraient se rattacher à une telle vision d'horreur dans sa vie ? Je ne ferais jamais de prière pour un Dieu qui n'est censé être qu'amour. Alors pour un être qui serait aussi...... tyrannique. Et pourtant, Elijah avait raison. Rien ne montrait une quelconque justice, une quelconque empathie. Ce monde, se résumait à marche ou crève.
- Et toi ? Que penses-tu de la mort ?
- Je pense.....Qu'elle me nargue....... à chaque instant. C'est comme si j'avais un décompte au-dessus de la tête, que je pouvais voir chaque minute, chaque seconde défiler devant moi. J'espère juste...Que ça arrivera vite à zéro....
Il me sourit d'une façon étrange, comme si je venais de donner la bonne réponse. En cet instant, j'eus l'impression qu'il me comprenait. Il ne comprenait pas seulement le sens de mes mots, il les connaissait, il savait. Son regard profond me fit comprendre que lui comme moi, nous étions dans la même situation. Pourquoi ? Pourquoi tout ça ? Pourquoi vivre ? Nous étions tous les deux dans une impasse, ne sachant pas pourquoi vivre. Détestant les autres autant que soi-même. Plus je regardais Elijah et plus je me rendais compte qu'il n'était au final que le reflet de moi-même. Son sourire prit tout son sens alors. Il était, en quelque sorte, heureux de voir que nos souffrances étaient similaires. Deux êtres incapables d'aimer réellement et d'être aimé.
J'agrippais sa nuque afin que ses lèvres agrippent les miennes. Je voulais qu'il me possède ici même dans ce salon, qu'enfin je ressente quelque chose n'importe quoi. Le plaisir, la douleur, peu m'importaient. J'allais mourir, c'était une vérité absolue et définie, mais pour le moment, j'étais vivante, plus que jamais je l'étais. Car dans ses bras, je savais qu'il ne m'apporterait pas d'amour, mais il m'en donnerait tout de même l'illusion. L'amour, je ne pouvais plus le ressentir, mais avec Elijah , je pouvais m'en souvenir.
Lorsqu'il me pénétra avec fugueur, je lâchais un soupir d'envie et de désir, je voulais que ce soit plus profond, plus violent. Je voulais être vivante, plus, encore plus. Ses ongles se plantant dans ma chaire. C'était douloureusement enivrant. Le chagrin, la joie, le désir et ma totale confusion...... Un trop-plein d'émotion que seul Elijah pouvait déclencher. Une larme s'échappa alors que les longs va et viens de cet homme me procurait un désir qui remontait jusque dans mon ventre. Tout se bousculait en moi. Les ecstasys faisaient-ils déjà effet ? Aucune importance. Nous basculâmes tous les deux pour ainsi nous retrouver assis. Il était toujours en moi, mais il s'arrêta quelques secondes, haletantes. Le médicament que nous avions pris n'était sûrement pas une bonne idée. Nos idées n'étaient plus du tout claires, mais jamais je ne m'étais senti aussi libre. Sous mes doigts, chaque grain de peau d'Elijah était une découverte, comme si son corps, mais aussi son âme pénétrait en moi. Il me regarda, les yeux remplis d'un désir incandescent. Il essuya une de mes larmes. Je me soulevai légèrement puis retombai lentement sur son sexe. Il serra des dents afin de retenir un gémissement bestial. Nos soupirs se joignaient l'un à l'autre, pour jouer une symphonie à mes oreilles délicieusement grisantes.
- Montre-moi que je suis vivante. Soupirais-je au creux de son oreille.
Il s'écarta de moi pour m'embrasser. Puis me regardai de nouveau.
- Tu es en vie Erin , tu es là.... avec moi.
Nous re-basculâmes sur le sol tiède et sec. Oui, j'étais vivante, j'étais là. Pour le moment.
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