Absence 3

Je courais jusqu'à ma maison. Je prenais grand soin de fermer la porte de ma chambre à clé. L'ordinateur déjà allumé. Il ne me fallut pas longtemps avant d'arriver dans le bon dossier.

Un seul fichier. Il durait plusieurs minutes. Une dernière hésitation fit battre mon cœur à tout rompre. Sans vraiment le vouloir, j'avais l'impression que ce que je faisais n'était pas une bonne chose. Je me demandais si ce n'était pas carrément une trahison envers Erin . Je cliquais. Mon lecteur audio s'ouvrit automatiquement. Je restais là, tétanisé devant l'écran quand une voix résonna enfin.

• Police secours j'écoute ?

La voix masculine laissa place au bruit blanc avant d'entendre une respiration qui semblait saccadée.

• Allô ? Qui est à l'appareil ?

• Il.... un accident...

Je ne connaissais que trop bien la deuxième voix. Aussitôt pris de nausée, je fermais à toute vitesse l'ordinateur portable.

• Bordel de merde... Dis-je, en portant la main à ma bouche.

J'inspirais profondément. Il n'avait fallu que trois mots pour comprendre ce que j'étais en train d'écouter. L'appel qu'Erin avait effectué, le soir où ses parents étaient morts.

Je saisis alors, le dégoût d'Hailey pour la clé USB. Essayant de retrouver quelque peu mes esprits, je faisais les cent pas dans ma chambre. Une chose était certaine, Erin m'aurait arraché les entrailles pour avoir cet objet en ma possession. Ce que je faisais n'était pas bien, ce qui se passait sur cet enregistrement n'allait pas me plaire. Pourtant dans un élan de courage je mettais mes écouteurs, je les branchais et j'ouvrais une nouvelle fois le PC. J'avais besoin de savoir.

• Je ne comprends pas ...quel accident ?

• Je.... Elle n'arrivait pas à parler. Le choc émotionnel et les larmes étaient trop grands. « Mes parents ...ils bougent plus. ..il y a du sang partout....

• Madame essayé de vous calmer ! D'abord donnez-moi votre prénom. Dit l'agent avec professionnalisme.

• Er ...Erin Summers ..Je viens d'avoir dix-sept ans.

• Bon okay Erin , moi je m'appelle Sam , est-ce que tu peux me dire ce qui s'est passé ? »

• Non .De nouveau elle était prise de larmes, sa respiration plus forte que jamais « je n'en sais rien, je n'en sais rien, je ne comprends pas !! Je ne comprends pas » Sa détresse était déchirante.

• Allô ? Dit cette fois-ci une nouvelle voix familière. « Il y a eu un accident de la route, les parents de ma copine et un autre véhicule ....c'est...putain de merde ramenée quelqu'un » Au son de sa voix, on pouvait entendre Hailey , qui était elle aussi en panique totale, mais contrairement à Erin , pas dans un état second.

• Où a eu lieu l'accident ?

• Au croisement à la sortie d'Erié!! Sur la nationale 10 !! C'est ...c'est juste à l'entrée !! Putain ! Je ne connais pas le nom de la rue !!

• S'il vous plaît, j'ai besoin qu'une de vous deux restiez calme d'accord des secours sont en chemin !

• Okay ...oui. On pouvait entendre derrière Hailey les paroles d'Erin qui revenaient sans cesse en boucle

• Oh ! mon Dieu ! Ce n'est pas possible !

• Erin ? calme-toi les secours vont arriver d'accord ?

• Mademoiselle ?

• Hailey ! Ils arrivent quand vos secours ??!!

• Hailey , j'ai besoin de savoir s'il y a des blessés !

• Oui, les parents d'Erin et un type dans l'autre voiture ! Erin arrête de crier je t'en prie

• J'ai besoin de savoir s'ils respirent

• Ouai...ouai Erin ...Erin ....Erin !!! » Les cris en font cessèrent.

• Va voir si Tes parents vont bien ! Fais-le maintenant »

• Hailey , va voir si la personne dans l'autre voiture va bien. Bien qu'il soit calme l'homme qui parlait à Hailey prenait la situation très au sérieux.

• D'accord » Il y eut un instant de flottement interminable « Oui, il respire, mais il est inconscient ...attendez !.. » Nouveau flottement

• Hailey , tu es toujours là ?

• Oui. ..je..oui....je crois qu'il y a un soucis avec Erin

• Hailey calme-toi, est-ce que tu es à côté d'Erin ?

• Non,mais je la vois...»

• Va retrouver ton amie et dit moi l'état de ses parents.

De mon ordinateur sortait le souffle saccadé d'une Hailey paniqué et en train de courir. Puis, la voix d'Erin se fit de nouveau un peu plus forte.

• Merde ! Maman ! Hurlait-elle.

• Elle, elle ne respire plus..... » Mon sang se glaça tandis que nous nouveaux cris s'élevaient.

• Sortez là de la voiture !

• Erin ...regarde-moi... voilà, reste calme maintenant va voir du côté conducteur et dit-moi si ton père va bien. Dit une Hailey , qui commençait à reprendre son calme devant la gravité de la situation. Ce que je trouvais admirable.

• On ne peut pas la sortir.... Dit la blonde en chuchotant pour que son amie ne panique pas à nouveau. Le tableau de bord lui coince les jambes...

• Déjà pour commencer détacher la ceinture, et dit-moi si tu vois quelque chose.

• Non, il y a trop de sang... »

• Est-ce que tu sais faire les premiers gestes de réanimation ?

• Oui.... j'ai, j'ai eu un diplôme...

• Alors fait lui un bouche-à-bouche

• Et...je ne fais pas de massage cardiaque ?

• Non, pas le tant qu'on ne sait pas ce qu'elle a

• Vous....vous ne raccrochez pas....

• Non, je reste en ligne. Se voulut-il rassurant. « Dit-moi comment s'en sort ton amie.....

• Erin !

• Il.... y a trop de sang, Hailey qu'est-ce qu'on va faire ? Qu'est-ce qu'on va faire ? En larmes et paniquée, Erin ne gérait visiblement pas la situation.

• Prends ton foulard !! Voilà, pose-le sur sa tête et appuis ! Le père d'Erin a une blessure à la tête !

• J'ai entendu ! Hailey commence vite le bouche-à-bouche

• Okay !!

• Met le haut-parleur et suit mes instructions

• Okay !Dit-elle la voix plus lointaine

• Tu vas légèrement pencher sa tête en arrière et entre ouvrir sa bouche. Fais sa avec beaucoup de précautions d'accord ?

• J'y suis !

• Super Hailey , tu t'en sors très bien ! Maintenant à chaque fois que j'arrive à trois, tu lui donneras de l'air d'accord ? Pose une de tes mains sur sa poitrine et essaye de sentir sa poitrine se soulever, cela va t'aider

• C'est d'accord

• Un,deux,trois...

La suite dura plusieurs autres minutes. Un décompte, une insufflation, un encouragement. Le seul autre bruit ambiant était les sanglots lointains. Des minutes aussi longues pour ces deux filles, que pour moi. J'avais quasiment cessé de respirer désormais accroché à l'horreur qui se déroulait dans mes écouteurs. Quand enfin la libération arriva.

• Je vois des lumières

• Continue, Hailey ne t'arrête pas. Le bruit des sirènes devint de plus en plus présent dans mon ordinateur.

• Est-ce que les secours sont là ?

• Oui, oui il y a des gens qui arrivent » dit-elle soulagée.

Pour appuyer ses dires, on pouvait entendre le bourdonnement de plusieurs voix qui s'avançaient vers le téléphone.

• Hailey , je vais raccrocher explique leur tout ce qui s'est passé et reste avec ton amie

• ....D'accord, chuchota-t-elle avant de raccrocher.

Ma poitrine ne se détendit pas, ma respiration ne revenait pas, la palpitation dans mes tempes ne se calma pas. L'horreur de cet appel rendant plus tangible que jamais le traumatisme d'Erin . Je venais d'être profondément poignardé par la souffrance de cette fille. Jamais je n'avais demandé à écouter cet enregistrement et plus jamais je ne voudrais l'entendre à nouveau. Les cris déchirants me brûlaient encore les tympans.

Une jeune fille souriante, aimable et amoureuse m'apparut. Comme si la dure réalité me frappait soudain le visage, les souvenirs de cette vidéo me submergèrent. Elle semblait si heureuse, les joues rosies par la honte, se rongeant nerveusement les ongles. Une aura si belle se dégageait de l'adolescente...

Non, souriante elle ne l'était plus. Aimable ? Sûrement pas. C'était une ombre, un fantôme, sans repère ni attache elle avait fini englouti par le chagrin. Un chagrin qui la rongeait comme un cancer...

Amoureuse. Elle l'était. La seule et unique chose dont je ne doutais pas c'était de l'amour qu'Erin avait pour moi. Mon unique certitude encore aujourd'hui. Elle avait beau le cacher, ne pas se l'avouer où peu importe aucun de nous deux n'était dupe. Chaque fois qu'elle m'avait jeté, je savais que c'était sa peur profonde de ressentir qui la guidait. Chaque fois qu'elle m'avait gardé auprès d'elle, c'était les moments elle arrêtait enfin de se battre avec elle-même.

Pourtant, je ne pouvais pas l'aider....j'ai crut le pouvoir. Mais Erin c'était rendu compte avant moi que c'était impossible. Tout simplement car nous avions compris tous les deux que je n'avais pas les même motivations. Malgré tout ce que je pouvais laisser voir ou entendre. Malgré les attitudes, les réflexions et les envies...La seule personne que je voulais sauver en m'approchant de cette fille c'était moi. Il n'y avait jamais eu que ma personne et ce serait toujours ainsi.

Je ne pouvais pas la guérir car j'étais moi-même bien trop démolit pour agir. Notre lien était nos souffrances mais elles étaient aussi ce qui nous séparait d'un gouffre béant.