Ode à l'ennui

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Assis sur l’herbe, les nuages sont toujours là. Ah, quelle métaphore joyeuse dire de cela ? Le chat est parti depuis hier dans une paisible aventure chez le voisin. Alors me voilà seul ! Seul sur l’herbe, sans fourmis, sans adieux, sans Soleil ! Le monde à ses humeurs, il faut apprendre à ne pas y être docile !

Alors, comment avoir le goût des lourdes phrases ? Nietzsche avait son piano pour s'alléger l’âme par temps nuageux, mais moi, me voilà sans chat pour me consoler. Assis par terre oui, le dos droit, j’ai bien trop peur de vouloir partir : j’ai un ennemi à retrouver...


... Ah ! Qu’il est agréable cet ennui ! Voyez, notre rencontre à peine terminée, qu’il exhibe déjà sa plus belle parure d’or ! Une parole y est gravée, et même sans la lire je la connais, elle sonne déjà comme une évidence pour celui qui vient de triompher de sa solitude :

“Ennemi, tu as le temps pour tout !”

Et dire que ces menaces effraient les consommants ! Ami, tu as le temps pour tout, voilà le message de la terre, voilà ta bénédiction !

Tout ! Ton oeuvre, tes promenades en forêt, ton jardin et tes chiens, tout !

Et il te reste du temps pour tes correspondances avec les amis lointains, pour composer une musique, une chanson, un opéra ! Et encore, te voilà libre pour lire Montaine et Pessoa.

Mais que fais-tu ? Tu as déjà fini ? Alors prends ce livre de Rousseau, va voir encore ces beaux tableaux italiens.

Et il n’est même pas midi ! Allons, porte-toi encore : pourquoi ne pas étudier l’histoire ou la psychologie ? Et avant le dîner, apprend donc à cuisiner ces gâteaux au citron que tu aimes tant !

“Tu as le temps pour tout”, voilà la malédiction fatale qu’il faut surmonter par l’ennui. Car qui surmonte le consommant découvre l’horizon.


Le temps passe à sa vitesse : le ventre docile ne bronche pas, nul besoin ne jahis en toi pour te freiner. Ton corps étiré et lavé d’une douche froide en hiver est constamment parcouru par le flux des vivants. C’est alors que l’ennui vient et se fait servile, sa malveillance devenu reine : car nul besoin de grands choses à qui est son maître.

Regarde le temps, et tout deviendra long, d’une longueur d’habitude source de toutes fuites, d’une longueur où tout semble se perdre, puis soudain se révèle la longueur sans fausse vision, la longueur des possibles.

C’est avec le temps long que vient la simplicité : celui dont l’avenir n'effraie pas n’a plus aucun besoin de prétentions et d’illusions. La terre est le privilège aux sages ! Seuls eux ont compris les promesses de l’ennui et ont eu le courage de retourner la lourde parure d’or pour y découvrir une autre parole :

“Je suis le toi le plus intime !”

Telle est la véritable nature de l’ennui !

Mais où ont-ils trouvé cette force ? Le plus sage d’entre les sages a trouvé jadis la réponse à cette question :

“Dans la quête du gai savoir, mon bel ami !”

Ainsi, nous voilà guidé vers la légèreté ! Que l’ennui continu à frapper ainsi à ma porte, qu’il viennent et s’installe chez moi : c’est alors seulement que je pourrais me connaître moi. Que le chat reste dans son jardin étranger, je resterais sur cette herbe fraîche, sous ces nuages menaçant !

Je le sens aujourd'hui : solitude et livres, tel est ma libération : communauté et jardin, tel est ma vraie liberté.


Et qu’elle sera votre libération, qu’elle sera votre liberté ?

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