Prologue

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AU ROI DON PHILIPPE IV SSRM¹

Il est d'usage, Sire, chez les écrivains, de dédicacer leurs écrits aux personnes de leur dévotion : que ce soit par pure déférence, ou pour les bénéfices reçus ; et s'il en est ainsi, qui de plus méritant que VM², de qui nous reçûmes tant, qui en tout temps maintîntes sur nous paix et justice, et à qui l'on doit tout sous nos cieux ? J'adresse cette oeuvre à VM pour deux raisons : l'une, pour vous tenir informé de ce vôtre Nouveau Royaume de Grenade, puisque nul jusqu'à présent ne l'a fait ; l'autre, pour la préserver de la morsure de certains serpents venimeux, qui, voyant qui en est l'illustre destinataire, douteront d'y injecter leur poison, et que Notre Seigneur garde votre royale personne, et qu'Il en multiplie les Royaumes et États d'importance, pour le bien de la Chrétienté.

1 :SSRM : Sa Sainte et Royale Majesté. 2 : VM : Votre Majesté.

AU LECTEUR

Toutes les créatures du monde ont l'obligation de rendre infiniment grâce à Dieu N.S.¹, Qui avec une infinie miséricorde les sustente de Sa divine Providence sans qu'elles le méritent, ce qu'Il fait de par Sa seule bonté, et avec elle Il dota la nature humaine d'un remède pour conserver la mémoire des bénéfices reçus de Sa main, et que grâce à cela nous gardassions trace des choses du passé ; car JCNS² n'a jamais quitté des yeux Son épouse l'Église, qui s'est donc vu attribuer écrivains et chroniqueurs ; et les hommes, profitant de cette doctrine, ont toujours donné au monde des nouvelles des événements en leurs temps respectifs, grâce à quoi les contemporains nous maintenons informés du passé.

1: N.S.: Notre Seigneur. 2: JCNS: Jésus Christ Notre Seigneur.

J'ai voulu tenir ce bref discours pour ne pas être ingrat envers ma patrie, et donner des nouvelles de ce Nouveau Royaume de Grenade, dont je suis naturel, bien que les événements qui s'y produisirent ne soient pas les conquêtes d'Alexandre le Grand, ni les exploits d'Hercule, ni non plus ceux de Jules César et Pompée, ni d'autres légendaires capitaines ; que pour le moins ne tombe pas dans les ténèbres de l'oubli ce qui s'est passé en ce Nouveau Royaume, tant depuis la conquête qu'avant elle ; et bien que celle-ci ne requît beaucoup d'armes ni de force, cette dernière court en abondance dans les veines de ce Royaume richement pourvu en minerais ; et de ceux-ci ont été emportés vers notre Espagne de grands trésors, et en seront emportés davantage et de plus importants, si tant est que soient prises les dispositions nécessaires à cet effet, qui à ce jour font d'autant plus cruellement défaut au Royaume, du fait de la disparition de la majeure partie de ses naturels.

Et bien qu'il soit certain que les capitaines qui conquirent le Pérou, les gouvernorats de Popayán, de Venezuela et ce Nouveau Royaume, de tout temps aspirèrent à la conquête de l'Eldorado, dont le seul nom enflamme les passions des Espagnols, qui n'ont jamais pu le découvrir malgré le lourd tribut qu'ils lui ont payé en moyens et en vies humaines, pas plus qu'ils n'ont été capables de délimiter un quelconque périmètre à l'intérieur duquel il se situât, pour autant qu'ils eussent parcouru de vastes plaines, navigué sur l'Orénoque, le Darién, le río Orellana ou Marañón, et d'autres impétueux cours d'eau. Et bien qu'en leurs marges aient été découverts d'importants peuplements humains, n'y furent trouvées aucunes richesses comparables à celles de ce Nouveau Royaume de Grenade dans ses riches gisements. Raison légitime pour lui donner le nom d'Eldorado. Et avouer, qu'il le soit véritablement, je ne l'affirme pas, mais plus avant j'expliquerai sur quoi je me fonde ; et je précise également qu'on n'a à ce jour aucun indice suggérant que leurs sources aient été découvertes, telles que furent situées celles du grand río de la Magdalena et du Cauca, qui tous deux naissent dans une cordillère marquant la limite entre ce Royaume et le gouvernorat de Popayán ; je m'en remets donc à la vérité, et au moment où on les découvrira. Et pour en revenir à mon propos, il est vrai que le révérend fray Pedro Simón et le père Juan de Castellanos, dans leurs chroniques traitèrent des conquêtes de ces contrées-là, mais non des événements survenus en ce Nouveau Royaume, raison pour laquelle je me décidai à le faire ; et bien que le style en soit pataud, le récit sera succinct et authentique, sans l'ornement rhétorique que requièrent les histoires, ni n'aura de prétentions poétiques, afin qu'on n'y trouve que la vérité nue, tant au sujet de ceux qui menèrent la conquête, comme à celui des faits qui eurent lieu ; et en accord avec une telle déclaration, je commencerai le récit un peu avant la naissance de ce Royaume, puisque anciennement il n'y avait qu'un seul gouvernorat, dont la tête était la ville de Santa Marta, et qui incluait Carthagène, le río de la Hache¹ et ce Nouveau Royaume ; mais venons-en donc à l'Histoire, qui fut telle qu'elle est écrite plus bas sur ces pages.

1 : actuelle ville colombienne de Ríohacha, capitale du département de La Guajira.

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