CHAPITRE XII

21 minutes de lecture

De ce qui arriva au docteur Andrés Cortés de Mesa, auditeur de l'Audience Royale de ce Royaume, de sa suspension et de sa mort, et d'autres événements survenus sous la présidence du docteur don Lope de Armendáriz.

L'année 1581 s'écoulait, et la visite du licencié Juan Bautista Monzón avançait à pas minuscules; ladite visite, dès le début avait laissé présager qu'elle n'aurait pas une fin heureuse. Ledit visiteur avait amené avec lui comme secrétaire don Lorenzo del Mármol. Les premiers documents qu'il voulut contrôler furent ceux du docteur Andrés Cortés de Mesa, et ce fut ainsi que s'initia ce vilain processus.

Or, dès le début de la visite, il y avait eu un contentieux entre le visiteur et le licencié Juan Rodríguez de Mora, auditeur de l'Audience Royale, pour lequel le premier suspendit le second et s'efforça de l'envoyer prisonnier en Espagne. La suspension de cet auditeur affecta beaucoup le président, dont c'était un allié. Le conflit naquit de la manière suivante: le visiteur fit à l'auditeur je ne sais quels lourds reproches, à vous hérisser le poil, sur la foi de déclarations que lui avaient faites des personnes mal intentionnées; et ainsi commença le cycle des reproches mutuels, accusations et réponses entre les deux officiers de la Couronne. On racontait que le visiteur, afin de pouvoir récupérer à son bénéfice le siège qu'occupait l'auditeur au Cabildo, faisait tout ce qui était en son pouvoir pour le destituer de sa résidence, le faire emprisonner et l'envoyer en Castille.

Ces incidents débouchèrent sur la formation de trois camps: celui des monzonistes, celui des lopistes et celui des moristes. Juan Roldán appelait ces factions "guelfes et gibelins", en référence à celles qui anciennement s'opposèrent en Italie. Le camp des monzonistes était formé des gens de la maison du visiteur Monzón et des membres du Cabildo de la ville qui s'y étaient ralliés, et tous prétendaient être du côté de la justice. Les lopistes étaient les soutiens du président don Lope, et les moristes ceux du licencié Mora. Et leurs constantes discussions et oppositions maintenaient la ville dans un état de grande tension et irritation.

Arriva le jour du jugement de résidence du président, et le premier à arriver fut le licencié Juan Rodríguez de Mora; un quart d'heure plus tard ce fut le tour du visiteur Juan Bautista Monzón. Plus de trois cents hommes, répartis en différents groupes et portant armes à couvert, se trouvaient alors sur la place de cette ville. Quand ces messieurs entrèrent dans le cabildo, un murmure généralisé commença à recouvrir la place.

Des personnes dépassionnées qui avaient écouté la discussion et s'étaient rendu compte des dégâts qu'il pouvait en résulter allèrent trouver l'archevêque don fray Luis Zapata de Cárdenas et lui dirent: "Votre Illustre Seigneurie, cette ville est sur le point d'être perdue si Sa Seigneurie n'y remédie". Et ils l'informèrent des événements. L'archevêque fit appeler le trésorier don Miguel de Espejo, qui arriva monté sur sa mule. Sa Seigneurie enfourcha la sienne, et, ensemble, ils allèrent au cabildo. Monsieur l'évêque demanda qu'on lui ouvrît la porte de la salle où avait lieu le jugement de résidence, ce qu'on s'empressa de faire. Il y entra seul, car le trésorier, à sa demande, était resté dehors. Au bout d'une heure sortit le licencié Juan Rodríguez de Mora et il rentra chez lui. Peu après sortirent monsieur l'archevêque et le licencié Monzón, le visiteur, et à la porte du cabildo ils prirent congé l'un de l'autre. Le visiteur rentra chez lui et l'évêque et le trésorier enfourchèrent leurs mules.

Il y avait un grand groupe d'hommes attroupés à l'angle du cabildo; l'archevêque se dirigea vers eux, et à mesure qu'ils le voyaient s'approcher, le groupe allait se désagrégeant, chacun partant de son côté, jusqu'à ce qu'il ne restât plus personne. Près des édifices royaux il y avait un autre groupe, cette fois de lopistes; monsieur l'archevêque bifurqua vers eux, et avant qu'il ne les atteignît, le groupe s'était défait. Et il continua à procéder de cette manière jusqu'à ce que la place se retrouvât vide de gens. Et la ville ainsi retrouva sa quiétude. Sa Seigneurie rentra chez elle et ordonna que le licencié Mora partît en Castille. Celui-ci, arrivé à Carthagène, réussit à obtenir une cédule pour aller en Nouvelle Espagne, tel que je le narrerai plus avant.

Parmi ces négoces, il était également question de ceux du docteur Mesa, auditeur de l'Audience. Le secrétaire du visiteur, Lorenzo del Mármol, avait été rejoint par un de ses neveux, jeune homme galant et entreprenant, nommé Andrés de Escobedo. Son oncle l'avait mis en relation avec le visiteur, et d'amicaux rapports naquirent peu à peu entre les deux hommes. Le docteur Mesa et les siens se montrèrent également de leur côté fort intéressés par cette amitié, et ils firent en sorte qu'on le leur présentât; le docteur en vint donc à fréquenter le jeune homme, l'entretenant de ses affaires, et lui demandant qu'il parlât favorablement de lui à son oncle le secrétaire.

Des allées et venues de l'Escobedo chez le docteur, il résulta qu'il s'amouracha de madame doña Ana de Heredia, sa femme, qui était jeune et belle. Ah, beauté ! Ô piège sournois ! Il faut savoir que l'Escobedo fut seul à l'origine de cette situation, et non que l'honnête dame lui en ouvrît une quelconque opportunité. Ce jeune homme continua son manège jusqu'à ce que ses pensées fussent découvertes. La doña Ana de Heredia, si discrète et honnête, voulut calmer ses ardeurs en lui disant qu'avec les femmes de sa qualité, une telle liberté lui paraissait inconvenante. Elle lui tourna alors le dos, le laissant seul avec cette réponse et un brasier ardent dans la poitrine.

Il arriva qu'un jour l'Andrés de Escobedo alla trouver chez lui le docteur Mesa. Il demanda à une jeune domestique du service du docteur où était ce dernier; elle lui répondit qu'il était dans la chambre de sa dame. L'Escobedo insista: "Dites-lui donc que je suis ici, et que j'ai besoin de parler avec Sa Grâce". La jeune domestique s'exécuta et transmit le message au docteur, qui lui répondit: "D'accord, dites-lui de monter ici, où nous pourrons parler". Sa femme intervint: "Je vous en prie, Monsieur, descendez pour parler avec lui, mais qu'il ne monte pas ici". Le docteur répondit: "Non, Madame, pas avant que vous ne m'en ayez dit davantage; je souhaite d'abord connaître le motif de votre requête". Et il la questionna de manière si insistante et incommodante qu'elle finit par céder, et elle lui raconta tout. Le docteur conclut alors: "Peut-être est-ce là le chemin par lequel mes affaires pourraient s'arranger. Ma mie, votre honneur et le mien tout considérés, accordez-lui du mieux que vous puissiez les faveurs qu'il désire, et voyez si par son intermédiaire vous pouvez influer sur la procédure de la visite en cours, et qui est instruite à charge contre moi".

Cette licence accordée par son mari, cette honnête dame accomplit de nombreuses diligences, qui furent sans effet, car le greffier del Mármol avait compris d'où venait l'épine dans le pied de son neveu qui le faisait tant boiter; il ne voulut cependant pas lui faire perdre son emploi, mais se contenta de rassembler les documents concernant le docteur Mesa dans un coffre, qu'il garda sous son lit, afin de préserver la procédure de toute manipulation indue; aussi la tentative du docteur résulta-t-elle infructueuse.

Il arriva alors qu'un jour, tandis que l'Escobedo et le docteur Mesa se trouvaient dans le vestibule de la maison de ce dernier, juste devant la porte d'entrée, passa dans la rue le Juan de los Ríos, mari de la sœur de sa femme. Le docteur le vit de dos, et pour s'assurer qu'il s'agissait bien de lui, il sortit dans la rue; il revint en s'exclamant: "Ah, le traître ! C'est par la faute de ce traître, qui va là, que je me retrouve en cet état où je me trouve!". L'Escobedo sortit à son tour dans la rue, l'observa, et dit: "Ce n'est qu'un pauvre gueux, à qui vous devriez ôter sa misérable vie". Le docteur lui répondit: "Je n'ai nul ami à qui me fier; sinon c'eût été déjà fait". L'Escobedo lui annonça alors: "Mais je suis là, moi, Monsieur le Docteur; et je vous aiderai à défendre votre honneur!". Et ce fut à ce moment que commença à se dessiner la mort du Juan de los Ríos, bien que la préméditation de son meurtre ait compté des étapes supplémentaires, tel que l'attestent leurs aveux. Voilà bien là une nouvelle preuve de la grande habileté du Démon.

Le Juan de los Ríos était si joueur, qu'il passait ses jours et ses nuits aux tables de jeu. Un jour qu'il était assis à l'une d'elles, l'Andrés de Escobedo s'assit à ses côtés pour le voir jouer. Il perdit tout l'argent qu'il avait; et alors qu'il allait se lever, l'Andrés de Escobedo lui dit: "Restez encore un peu à cette table, Votre Grâce, et jouez donc ce morceau d'or que voilà pour nous deux". Il jeta alors sur la table un lingot de plus de quatre-vingts pesos, grâce auquel le Ríos put entrer à nouveau dans le jeu; il récupéra ses pertes et réalisa même d'appréciables bénéfices, qu'ils se partagèrent entre eux deux. Suite à cet épisode ils nouèrent de forts liens d'amitié, en vinrent à se fréquenter beaucoup, mangeaient souvent ensemble et jouaient en équipe de deux, s'assistant mutuellement. Cette amitié dura plus de six mois, au terme desquels le docteur Mesa et l'Escobedo commencèrent à réfléchir à comment, et où, tuer le Juan de los Ríos.

Ils accordèrent que le docteur Mesa attendrait à l'angle de la clôture du cloître de San Francisco, à l'endroit où à cette époque il y avait une mare, qui est aujourd'hui incluse à l'intérieur de l'enceinte dudit cloître, où l'attirerait l'Andrés de Escobedo, et où ils le tueraient.

Ce plan établi, ils attendirent qu'il y eût une nuit sombre. Le docteur Mesa prit alors une épée et alla gagner son poste, tandis que l'Escobedo partit à la recherche du Juan de los Ríos. Il le trouva chez lui, en train de dîner, et fut convié à partager son repas. Il répondit qu'il avait déjà dîné et qu'il avait besoin de lui pour un négoce. Le Ríos sortit et lui demanda: "De quoi avez-vous donc besoin?". L'Escobedo lui répondit: "Ce soir des femmes m'ont invité, et je n'ose y aller seul". Le Ríos lui déclara: "Je vous accompagnerai donc".

Il alla dans sa chambre, y prit son épée et revêtit sa cape, et tous deux s'en furent vers le cloître de San Francisco. Tandis qu'ils arrivaient au pont, l'Escobedo commença à boiter d'un pied. Le Ríos lui demanda: "Qu'avez-vous donc qui vous fait boiter?". "C'est un méchant caillou qui se trouve dans ma botte, et qui finira par me tuer", lui répondit-il. "Déchaussez-vous donc", lui dit le Ríos. "Je le ferai, mais un peu plus loin", conclut l'Escobedo. Ils passèrent le pont, et ils descendirent la rue jusqu'à l'endroit où ils étaient attendus. Là, l'Escobedo dit: "Je ne peux plus souffrir cette botte, je dois me déchausser". Il s'assit et commença à tirer sur sa botte. Le Ríos lui offrit alors son aide: "Laissez-moi faire, je vous la retirerai". Il déposa son épée sur le sol et commença à tirer la botte à deux mains. Ce fut alors que l'Escobedo tira un mouchoir de sa poche et dit à haute voix: "Je suis en sueur".

Il s'essuya le visage et mit le mouchoir sur son chapeau, signal préalablement convenu. Le docteur Mesa sortit alors de l'ombre, et avec l'épée qu'il avait emmenée il transperça le Juan de los Ríos, qui tomba à terre. L'Escobedo se leva, et il lui porta trois ou quatre autres coups, qui l'achevèrent. Mais avant de mourir, suite aux premiers coups qu'il avait reçus, le Ríos poussa un cri; le docteur Mesa lui mit la main sur la bouche, et le blessé la lui mordit si durement, qu'il lui transperça un doigt avec ses dents. Une fois mort, ils lui arrachèrent le cœur, lui coupèrent le nez, les oreilles et les parties génitales, et placèrent le tout dans un mouchoir. Enfin ils traînèrent le corps de la rue vers la rivière, le laissèrent au milieu de broussailles, et s'en furent chez le docteur Mesa.

L'Escobedo offrit en présent à madame doña Ana de Heredia le contenu de son mouchoir; elle montra une réaction horrifiée, et signifia combien lui répugnait ce méfait. Elle entra dans sa chambre et ferma la porte, laissant les deux hommes dans la salle. Ils accordèrent de déplacer le corps de l'endroit où ils l'avaient laissé, jugeant qu'il serait plus prudent de le jeter dans la mare précédemment référée, qui avec les fortes pluies qui étaient tombées dernièrement était très profonde. Afin de lester le cadavre, il demanda à une négresse qu'il avait à son service une cruche et une cordelette. Elle amena la cruche, mais ne trouva pas de cordelette, qu'elle continuait de chercher tandis que son maître la pressait. Il y avait dans le patio une corde de chanvre, qu'elle utilisait habituellement pour étendre le linge; elle l'enleva et la remit au docteur Mesa. Ce dernier fit appeler don Luis de Mesa, son frère, à qui il confia le transport de la cruche et de la corde jusqu'aux lieux du crime, où ils se rendirent tous les trois. Ils remplirent la cruche d'eau et l'attachèrent au cou du mort; à ses pieds ils attachèrent une pierre, et le jetèrent dans la mare. Ils emportèrent le mouchoir contenant les parties qu'ils avaient mutilées sur le cadavre jusqu'aux marécages de l'ermitage de Nuestra Señora de las Nieves, où ils les enterrèrent. L'aube déjà se levait; le docteur rentra chez lui, et l'Andrés de Escobedo alla chez le visiteur.

Au bout de huit jours les pluies avaient cessé. Une Indienne s'affairait alors à recueillir de la terre de la mare où était le mort, pour teindre une étoffe. Tandis qu'elle fouillait dans la boue, ses mains heurtèrent les pieds de l'infortuné Ríos. Elle s'enfuit et courut directement à l'église de San Francisco, où elle informa les pères de sa macabre trouvaille. Ils lui répondirent qu'elle allât la signaler ailleurs, car eux ne se mêlaient pas de ces choses-là; et l'Indienne s'en fut donc trouver la Justice. L'information remonta jusqu'à l'Audience, qui commit le licencié Antonio de Cetina pour qu'il allât effectuer les constatations d'usage. Il se rendit sur les lieux accompagné d'alcades ordinaires, d'alguazils et de beaucoup de gens. Le cortège passa par la rue où vivait le docteur Mesa, qui est aussi celle de don Cristóbal Clavijo, et dont la vue donnait sur la mare où était le mort. Toujours dans cette même rue, se trouvait également l'école de Ségovie, où nous étions en pleine leçon.

Notre maître voyant passer l'auditeur et tous ces gens, il leur demanda où ils allaient, et on lui conta l'histoire du cadavre dans la mare. Il revêtit sa cape et suivit l'auditeur; et nous autres les enfants suivîmes notre maître. La troupe arriva à la mare et l'auditeur en fit extraire le corps; on le déposa sur le sol, et du trou béant par lequel on lui avait arraché le cœur jaillit un fin jet de sang, qui atteignit les pieds de l'auditeur, qui déclara: "Ce sang demande justice. Y a-t-il quelqu'un ici qui connaisse cet homme?". Mais nulle des personnes présentes ne le reconnut.

L'auditeur ordonna qu'on emmenât le corps à l'hôpital en prenant soin de faire des détours par toutes les rues de la ville, au cas où quelqu'un le reconnût. L'auditeur retourna alors à l'Audience, et nous autres les enfants suivîmes ceux qui transportaient le corps. Beaucoup de gens accouraient de toutes parts pour le voir, et parmi eux un certain Victoria, négociant de la rue Royale. Il fit deux fois le tour du corps, l'observa de face, et dit: "C'est Ríos, j'en mets ma langue à couper". Le commandant des alguazils de Cour, Juan Díaz de Martos, lui demanda: "Que dis-tu là, Victoria?". Le négociant répondit: "Je dis, Monsieur, que je mets ma langue à couper qu'il s'agit de Juan de los Ríos". L'alguazil en chef l'empoigna, appela deux autres alguazils et leur dit: "Emmenez ce Victoria en prison; là-bas il nous dira comment il sait qu'il s'agit de Juan de los Ríos". Le Victoria rétorqua: "Emmenez-moi où vous voudrez, car ce n'est pas moi qui l'ai tué".

L'alguazil en chef rendit compte de la situation à ces messieurs de l'Accord Royal, qui dépêchèrent le juge chargé de l'enquête pour qu'il allât interroger le suspect. Le licencié Antonio de Cetina enregistra donc la déclaration du Victoria, qui réitéra ce qu'il avait déjà dit aux alguazils: il avait effectivement reconnu le mort, mais ignorait qui l'avait tué.

L'auditeur se rendit au domicile du Juan de los Ríos, et il y trouva sa femme assise en train de

coudre. Il lui demanda où était son mari, et elle lui répondit: "Cela fait huit ou neuf jours, Monsieur, qu'il est parti d'ici avec Escobedo, et qu'il n'est pas revenu". L'auditeur lui dit: "Votre mari est absent tout ce temps et vous ne cherchez pas à savoir où il est?". La femme rétorqua: "Monsieur, mon mari a l'habitude de s'absenter de la maison entre quinze et vingt jours par mois, sans donner de nouvelles. Il passe l'essentiel de son temps aux tables de jeu; vous le trouverez là-bas". L'auditeur de poursuivre: "Et si votre mari est mort, seriez-vous capable d'identifier ses restes?". Elle assura: "S'il est mort je le reconnaîtrai, et je dirai qui l'a tué". "Alors venez avec moi", lui enjoignit le juge. La femme, sans même revêtir un manteau, dans la tenue légère dans laquelle l'avait trouvée l'auditeur, suivit ce dernier. Une fois à l'hôpital, elle souleva un bras du défunt et constata qu'il avait là un grain de beauté grand comme l'ongle du pouce. Elle affirma: "C'est bien Juan de los Ríos, mon mari; et c'est le docteur Mesa qui l'a tué". L'auditeur l'emmena à l'Accord, où il émit un mandat d'arrestation à l'encontre du docteur Andrés Cortés de Mesa et de tous les gens de sa maison, ainsi que de saisie de ses biens.

On chargea le licencié Orozco, contrôleur de l'Audience Royale, de l'exécution de ce qui avait été décrété. Il se présenta donc chez le docteur Mesa pour l'arrêter, accompagné des alcades ordinaires, des alguazils de Cour et de ville, du secrétaire Juan de Alvis et d'une foule de gens. Et tandis qu'on était en train d'extraire le docteur de sa chambre, au moment de passer la porte de celle-ci, il dit: "Monsieur le Secrétaire, veuillez croire en ma bonne foi lorsque je vous dis que ce ne fut point le mort qui me mordit le doigt, sinon que je me le coinçai dans cette porte". Le contrôleur lui dit: "Nous n'avons pas posé une telle question à Votre Grâce, Monsieur le Docteur; mais, Monsieur le Secrétaire, veuillez tout de même enregistrer cette déclaration".

On plaça donc en détention le docteur, ainsi que son frère Luis de Mesa et tous les gens de sa maison. On enregistra la déclaration de madame doña Ana de Heredia dans la maison du régisseur Nicolás de Sepúlveda; et ce fut grâce à cette déclaration qu'on sut tout ce qui a été ici relaté, et bien plus encore.

Le même après-midi, le président en personne se rendit à la prison pour y enregistrer les aveux du docteur Mesa. Ce dernier, dans sa déclaration, avoua clairement et ouvertement tout ce qu'il s'était passé, n'hésitant pas à dénoncer son complice Andrés de Escobedo, à l'encontre de qui l'Accord Royal émit un mandat d'arrêt. L'Andrés de Escobedo était à ce même moment sur la place, au milieu d'un important groupe d'hommes. Un messager alla le trouver pour lui dire de fuir, car il faisait l'objet d'un mandat d'arrêt. Il ne fit pas cas de cet avertissement, ni du second, ni non plus du troisième qu'il reçut.

L'alguazil de Cour en chef, Juan Díaz de Martos, fut chargé de l'arrestation. Avec ses hommes ils l'attrapèrent et le menèrent en prison. Le lendemain on lui lut la déposition du docteur Mesa, lui jetant en pleine figure toute la vérité de sa trahison et de sa perversité. Et il avoua platement tout.

La procédure fut donc instruite sur le fondement des dépositions et aveux de madame doña Ana de Heredia et de ce qu'elle avait vu dans le mouchoir en cette nuit de sacrifice et de cruauté, de son mari le docteur Mesa, du frère de celui-ci et de l'Escobedo, ainsi que sur celui des informations fournies par les esclaves, concernant la corde de chanvre et la cruche. Des sentences furent prononcées: le docteur Andrés Cortés de Mesa fut condamné à être décapité publiquement sur un échafaud, et son frère Luis de Mesa fut banni de cette ville; et l'Andrés de Escobedo fut condamné à être traîné au sol par deux chevaux, à être pendu sur le lieu même où il avait perpétré sa trahison, et à ce que sa tête fût coupée post mortem et exposée sur le pilori qui se trouvait alors sur le lieu même de l'actuelle fontaine de la place.

Le jour de l'exécution des sentences arriva. L'échafaud avait été édifié entre le pilori et les édifices royaux. Le premier à s'y présenter fut monsieur l'archevêque don fray Luis Zapata de Cárdenas. Je vous vois déjà en train de me demander ce qu'allait fabriquer un archevêque sur un échafaud où l'on appliquait la justice à un homme; je vous dirai donc tout.

On fit sortir le docteur Mesa par la porte des édifices royaux, à pied, entravé par un carcan de fer et des chaînes aux pieds. Là on prononça le premier discours, qui fut de la teneur suivante: "Voici la justice que le Roi, notre seigneur, ordonne qu'appliquent son président et ses auditeurs en son royal nom à ce monsieur, pour avoir tué un homme: qu'il meure décapité".

On le conduisit jusqu'à l'échafaud, et tandis qu'il y montait, il vit dans un coin de l'estrade le bourreau avec une large épée dans les mains. Il le reconnut car c'était un de ses anciens esclaves, et le docteur lui-même l'avait sauvé de la pendaison, et lui avait permis de devenir bourreau de cette ville. À cet instant même il perdit ses couleurs et l'usage de la parole et commença à tomber; le retinrent alors monsieur l'archevêque et le docteur Juan Suárez, chirurgien, qui était monté sur l'échafaud pour guider la main du bourreau.

Sa Seigneurie réconforta le docteur Mesa, qui, revenu à lui, dit dans un grand soupir: "Je supplie Votre Seigneurie de me concéder une grâce, qui sera des dernières que je demanderai à Votre Seigneurie". L'archevêque lui répondit: "Demandez donc votre grâce, Monsieur le Docteur, et je ferai ce qui est en mon pouvoir pour vous l'accorder". Le condamné demanda: "Ne consentez point à ce que ce nègre me décapite". Et le prélat d'ordonner: "Ôtez ce nègre de là", et on fit descendre le nègre de l'estrade.

À cet instant le docteur Mesa sortit d'une de ses poches de poitrine un papier rempli d'informations fort intéressantes, dont je ne dirai qu'une seule pour en connaître les termes exacts, et qu'il prononça à voix haute pour que l'ouïssent tous les témoins de la scène, et qui fut comme suit: "La mort de Juan Rodríguez de los Puertos fut injuste et non conforme au droit; car les libelles infamants contre l'Audience Royale, pour lesquels il fut pendu, ce ne fut point lui qui les écrivit ni les placarda, mais ce fut moi".

Il poursuivit avec ses autres révélations, et une fois qu'il les eut terminées, il s'agenouilla, et monsieur l'archevêque lui donna l'absolution et sa bénédiction; le docteur baisa alors la main du prélat et l'implora à nouveau: "Je supplie Votre Grâce de me concéder une ultime grâce". Il lui répondit: "Si c'est en mon pouvoir, Monsieur le Docteur, je vous l'accorderai". Et le docteur de reprendre: "Que Votre Seigneurie ne permette pas qu'on me dépouille de mes vêtements". Monsieur l'archevêque ôta alors une riche bague d'or de son doigt et la remit au docteur Juan Sánchez en disant: "Ne lui enlevez rien, car je donnerai ce qu'il faudra".

Puis il descendit de l'échafaud, et, accompagné des prébendiers, de nombreux ecclésiastiques et d'une foule populaire, il se dirigea vers l'église; arrivé à sa porte, il ouït le son du tranchage de tête, recommanda l'âme du docteur à Dieu, et attendit de pouvoir procéder à son enterrement. On plaça alors la tête du docteur Mesa dans un cercueil, ainsi que son corps avec tous ses vêtements. Il est enterré dans la chapelle de Sainte Lucie de la cathédrale de cette ville.

Beaucoup demanderont pourquoi le docteur Mesa ne fit pas appel de cette sentence. Il en fut pourtant prié avec insistance par le président lui-même, les auditeurs, le visiteur, l'archevêque, les prébendiers et tous ses amis, mais il ne voulut pas faire appel et accepta la sentence. C'était un homme lettré, et il avait ses raisons. Mon hypothèse est qu'un homme honnête blessé dans son honneur, n'estime plus la vie et s'abandonne au mal.

Le docteur Mesa, en prison, entreprit deux choses: la première fut une confession qu'il exprima devant de nombreux témoins; et la seconde fut une tentative concrète qu'il fit. Il confessa que la nuit où il tua Juan de los Ríos, il demanda son épée à l'Andrés de Escobedo au prétexte qu'il souhaitait la voir, mais le jeune homme refusa; or le docteur avait l'intention de le tuer également, et de le laisser aux côtés du Ríos; qu'un tel négoce eût été réalisé, et il eût été fort mal aisé de prouver qui les avait occis. Et la tentative qu'il fit, fut de tuer le président dans la prison.

La veille de l'exécution de la sentence, il le fit appeler, le suppliant de venir le voir, pour qu'il pût soulager sa conscience d'un négoce de première importance qu'il souhaitait communiquer à Sa Seigneurie. Le président descendit à la prison accompagné de quelques personnes, et ils allèrent au cachot où était enfermé le docteur Mesa. Ils le trouvèrent assis sur une chaise à l'entrée du cachot, juste derrière une grille fermée par une chaîne cadenassée. Après qu'ils se furent salués, le docteur dit au président: "Je supplie Votre Seigneurie d'entrer s'asseoir à mes côtés, car il y a ici beaucoup de gens qui ne doivent pas nous entendre; je veux vous entretenir d'un point important qui nous concerne tous les deux".

Le président demanda aux autres de s'éloigner et dit: "Nous sommes seuls, Monsieur le Docteur, vous pouvez me demander cette grâce qui vous tient tant à cœur". Le docteur insista: "Je supplie Votre Seigneurie de s'approcher davantage de moi, car ces personnes pourraient nous entendre". Le président leur ordonna alors de s'éloigner encore davantage qu'ils ne l'étaient déjà, ce qu'ils firent. Le président dit: "Soyez à présent certain qu'ils ne peuvent pas nous entendre. Vous pouvez vous exprimer en toute confiance". Le docteur reprit: "Comment ? Sa Seigneurie ne veut pas m'accorder la grâce de s'approcher davantage?". Le président répondit: "Je n'ai pas à le faire". Le docteur lui dit alors: "Vous ne voulez donc pas vous approcher... Eh bien voyez: j'avais préparé ceci pour vous tuer". Et il lui jeta aux pieds un poignard pointu et effilé, et se retourna vers le mur qu'il resta à fixer sans prononcer une parole de plus. Le président se signa, et, se plaçant de profil, il lui dit: "Dieu te favorise, l'homme!".

Et il quitta la prison. Ainsi arriva jusqu'à ce point le désespoir du docteur Andrés Cortés de Mesa, qui fut auditeur de l'Audience Royale de ce Nouveau Royaume.

C'est de bon cœur qu'accepte de mourir conjointement avec un autre celui qui se sait condamné; l'audace de ceux qui sont enfermés et prisonniers grandit avec leur désespoir, et comme ils n'ont plus d'espoir, leur crainte prend forme de témérité.

Sur Andrés de Escobedo fut exécutée la sentence qui avait été prononcée à son encontre, et il fut traîné au sol par deux chevaux jusqu'au lieu où il avait commis sa traîtrise et sa félonie. Sa tête fut exposée où il avait été édicté. Il est enterré en l'église de San Francisco.

Qui pourra se prémunir d'un traître caché sous les apparences d'un ami ? Bien plus grande est la dégradation de la foi lorsqu'on trahit des amis que des ennemis. Aucun châtiment, si grand soit-il, n'est à la mesure de la moindre trahison ou félonie. Joab, capitaine du roi David, salua le capitaine Amasa, qui l'avait été du roi Saül; et il profita du moment où ils s'embrassèrent pour lui planter un couteau dans le dos et le tuer. Thésée fut lui aussi un grand traître; après avoir reçu d'immenses cadeaux et services de son amie Ariane, il la laissa en détresse et en pleurs sur l'île de Naxos, où elle mourut. J'ai déjà dit que je ne cite pas ces références pour qu'elles soient imitées, mais à titre d'exemples comparatifs; et maintenant, puisque nous sommes tous fatigués par ces histoires, passons au chapitre suivant.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Totovich ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0