Léandre
Une rencontre
J’ai rencontré Léandre un soir où il faisait bon de planer. Un de ces soir d’automne qui résonne en nous monotone.
Tasse de café vidée dans une main, taffe à peine entamée dans l’autre, je rentrais du taf’ le pas pressé, sans me soucier des feuilles mortes que j'écrasais de mes escarpins. Ces feuilles carmins comme le taffetas de mon destin. Je crois bien que les aiguilles noires de mes chaussures les faisaient mourir, à l’usure. Je crois bien.
J’ai rencontré Léandre un soir où il faisait bon de planer, alors je me suis assise. Sur un banc, je me suis accrochée. Comprenez, il ne fallait pas que je m’envole et que mes pieds décollent du sol. Comprenez.
Et puis les minutes ont filé, rapides étoiles filantes, comme le paysage d’un train qui enivré défile. Et je ne me sentais pas bien. Je me sentais trop rien. Machine à laver qui a arrêté de tourner.
Je dis ça, mais c’est ma tête qui tourne à présent, fait danser les astres comme les interrupteurs du ciel. Fait valser les étoiles comme des désastres imminents.
Tasse de café vidée dans une main, taffe bien entamée dans l’autre, je regarde mes pieds immobiles et fébriles de trop vouloir voler. Voltiger. Et danser parmi les interrupteurs argentés.
J’ai rencontré Léandre un soir où il faisait bon- l’air était frais-, c’était une soirée de novembre. Un de ces soir d’automne qui résonne en nous gris carbone.
Léandre est apparu à la lumière d’un lampadaire qui faisait vibrer l’air tout autour de lui, chatouillait mes artères et mon pouls qui dansait. Envolée de papillons sauvages. Brève envolée de papillons-chimères, rejoignant mes nuages.
J’ai fermé les yeux et puis les ai rouverts.
Je me suis pincée, rêve éveillé oblige.
Pourtant, Léandre n’avait pas disparu. Il était toujours là, dans mon sillage, chaudement vêtu.
Alors j’ai pensé que ce soir de novembre, en dansant, les étoiles s’étaient alignées pour ranimer les feuilles carmins que j’avais fait mourir sur mon chemin.
Au loin, j’ai vu les feuilles valser.
*
Un nom
Les soirs de novembre se font toujours muets, timides et discrets. Ils sont empreints de mystères venus d’une autre terre, zinzolins et sournois. Seul ancrage dans ma réalité: sa silhouette gracile et son sourire fragile.
Je crois que les soirs de décembre sont seuls capables d’offrir la poussière des étoiles en guise de magie. Les affres du hasard règnent en cette période, bercent d’espoir la mélodie monocorde de la vie.
La rue du Havre semblait frétiller sous la lumière tamisée des arcades. La musique festive la libérait de ses enclaves.
L’instant crucial provient inévitablement entre deux battements de cœur, à contretemps, lorsque les notes se désaccordent. C’est une règle universelle.
Les soirs de décembre sont peut-être magiques mais ils ne sont pas très inventifs. Aussi, c’est entre deux battements rapides qu’a retenti une voix.
Jamais une simple voix ne m’avait fait cet effet là. Au fond de moi: une force jaillissante. Éblouissante. Évanescente.
Je l’ai vu. Léandre.
Evidemment, ce n’était pas à moi qu’il s'adressait: longue descente vers des abîmes infinis. Evidemment.
Il parlait à un homme de son âge, rigolait avec lui, le bousculait gentiment de sa main.
Ombre de lumière dans ce paysage festif, je me suis approchée, furtive.
Un pas vers lui.
Les soirs de décembre ne sont peut-être pas très inventifs, mais je l’étais assez pour nous. Pour faire éclore notre histoire dans la neige de noël.
Alors, j’ai fait un pas. Un pas vers toi.
De manière à balayer la distance qui nous séparait, impénétrable.
Mon corps comme une statue de marbre, balloté par la houle, emporté par la foule.
Vers toi.
J’ai regardé le ciel,-rêve éveillé oblige- et les astres valsaient.
Alors j’ai pensé que ce soir de décembre, en dansant, les étoiles s’étaient alignées pour m’envoyer le vent, messager de ton nom.
Il chuchotait « Léandre ».
*
Un regard
Tu m’as rencontré un soir de janvier, le tout premier, signe d’une nouvelle année, d’un nouveau départ.
D’un nouvel amour.
Dès lors, il n’y avait plus de hasard.
Tu as percuté mon regard, et moi, heurtée par ta beauté, je t’ai envoyé un sourire. Heureux, tu y as répondu.
C’est ce soir-là que j’ai remarqué l’éclat qui pétillait au creux de tes yeux bleus, et qui, je l’apprendrai plus tard, n’était pas dû aux bulles de champagne contenu dans ta flûte de crystal.
C’est ce soir-là que j’ai décidé que le champagne deviendrait notre couleur porte bonheur. Porte étendard de notre amour.
Je te l’ai dit: il n’y a plus de hasard.
Tout autour de nous, les corps se sont mis en mouvement, l’esprit de la danse en prenait possession. Je crois bien que le bruit de la musique s’est tu. Je crois bien.
La boîte de nuit vibrait de tous côtés. Pourtant, nos corps restaient étrangement immobiles, frappés par la grâce de nos iris renfermant tous les astres du ciel.
Nous étions deux parmi la foule.
Nous étions deux dans le décor.
*
Événements
Un mois plus tard, tu intégrais le Bureau.
Le mois suivant, mon immeuble.
Les soirs de février, on regardait ensemble les étoiles valser.
*
Une tromperie
Je t’ai repéré un soir où il faisait mauvais de t’aimer. Un de ces soir d’automne qui résonne en nous monotone.
Tasse de café vidée dans une main, taffe à peine entamée dans l’autre, je rentrais du taf’ le pas pressé.
Pressé de te retrouver.
Mais pas pressé de te retrouver enlacé avec une autre. Ta main faisait danser ses cheveux comme jamais tu n’avais fait valser les miens. Tes tendres lèvres lui envoyaient des baisers imaginaires au triste goût d'adultère.
Et ce spectacle: comme illuminé d’un lampadaire qui happait l’air de mes poumons, me laissait prisonnière du sentiment de trahison.
Dans mon coeur, une débâcle sans nom.
A la lumière de la nuit, j’ai découvert qu’il était des soirs où il faisait mauvais de t’aimer, alors je me suis assise. Sur un banc, je me suis accrochée. Comprenez, il ne fallait pas que je me noie et que ma tête dégringole, tombe sur le sol. Comprenez.
Et puis les minutes ont filé, rapides étoiles filantes, comme le paysage d’un train qui enivré défile. Et je ne me sentais pas bien. Je me sentais trop rien. Machine à laver qui ne cesse de tourner.
Je t’ai surpris un soir où il faisait mauvais- l’air était frais et il neigeait-, encore une soirée fin novembre. Un de ces soir d’automne qui résonne en nous gris carbone.
Échappée de papillons sauvages. Brève échappée de papillons-chimères, rejoignant mes orages.
Je me suis relevé et me suis approché de toi. De vous. Cauchemar éveillé oblige.
Elle a quitté tes bras au rythme de mes pas.
J’étais devant toi, la rage noué au ventre, et elle n’était plus là.
Léandre
Une femme était planté devant moi. Ses yeux de tonnerre écumaient les orages.
A la faible lueur d’un réverbère, j’ai reconnu ses traits. Je l’avais vu deux, trois fois au bureau, depuis que j’étais arrivé l’hiver passé.
J’ignorais ce qui la mettait dans un état pareil.
Les mots franchirent d’eux même l’invisible barrière imposée par mes lèvres.
- Je peux vous aider ?
Elle se mit à pleurer et à frapper mon torse de ses poings. Je ne pensais pas avoir fait preuve de méchanceté, pourtant.
- Pourquoi tu me regardes comme une étrangère ? étouffa-t-elle dans un sanglot. Pourquoi tu me trompes avec elle ? Pourquoi tu me… Pourquoi tu… Pourquoi ? Dis moi pourquoi .
Je ne comprenais rien à son histoire. Je ne lui avais jamais parlé: je ne la connaissais pas.
- Vous devez faire erreur sur la personne, je ne suis pas… enfin, vous savez…
Je passai la main dans mes mèches brunes, gêné par la méprise. Mon coeur, quoi qu’il en était, demeurait dévoué à Nathalie. Cette simple pensée me fit sourire.
- Tu es si cruel, Léandre. Entre nous, ça a été le coup de foudre immédiat, cette soirée-là, au nouvel an… Quand tu es venu me retrouver au travail, ça m’a fait tellement plaisir, pareil quand tu es venu habiter dans mon immeuble. Tu ne voulais pas qu’on reste trop éloignés. Tu m’aimais encore, à cette époque là. Dis, pourquoi ça a changé, hein ? Pourquoi tu me trompes ? Hier encore j’étais la femme de ta vie…
Il ne se souvenait pas l’avoir vu lors de cette soirée du nouvel an. Il ne se souvenait pas être devenu directeur de cabinet pour se rapprocher d’elle. Il ne se souvenait pas avoir choisi son immeuble en particulier. Il ne se souvenait même pas que c’était son immeuble.
Il ne se souvenait pas l’avoir jamais considéré comme la femme de sa vie.
Une évidence filtra les nuages de son esprit cotonneux: cette fille était dingue. Elle était malade. Il avait vu un documentaire sur des gens comme elle, persuadés de vivre une histoire d’amour passionnée avec un parfait inconnu. Et il était son inconnu.
Érotomanes, c’était ça leur nom.
Quelque part, la situation lui faisait tout aussi peur que mal. Il était en colère, aussi. Pas contre elle. Pas contre lui. Contre tout le monde et personne.
Soudain, au fond de sa poitrine, un cri résonna.
Elle parlait parlait parlait encore. Le traitait de tous les noms.
Mais il n’avait pas le droit de lui en vouloir. Il n’en avait pas le droit mais il lui en voulait tout de même un peu. Il ne pouvait pas s’en empêcher.
Elle parlait parlait parlait encore mais il ne l'écoutait plus depuis longtemps. Il partit. Il sentit ses jambes partir, se détacher de la terre.
Il ne se retourna pas mais il sut qu’illuminée par la lumière du réverbère, elle ne le quittait pas de ses yeux pairs.
Il obliqua au coin d’une rue.
Un mot tournait en boucle dans sa tête. Ce n’était pas Folie. Ce n’était pas Amour.
Pairs…
…comme un malaise au fond du coeur.
*
Toi
Léandre , tu as disparu à la lumière d’un lampadaire qui faisait vibrer l’air tout autour de toi, chatouillait mes artères et mon pouls qui tanguait. Englouti par la neige.
J’ai pensé que tu étais vraiment beau quand tu étais fâché, que tu voulais me quitter.
J’ai pensé que tu me ferais des excuses vraiment belles, pour te faire pardonner.
J’ai pensé que je te pardonnerais vraiment vite.
Et que nous serons vraiment beaux, quand nous serions mariés.
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