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BONJOUUUR !
(deux ans plus tard)
Je suis encore en vie (si si), j'ai sorti mon autre roman entre deux et j'ai fini de faire des corrections sur ce début de tome, DONC je peux commencer à travailler sur la suite ! (Enfin, va dire Claudine xD)
J'ai apporté des modifications assez grosses sur certains chapitres que vous aviez déjà lus.
En voilà la liste : 2, 7, 12, 16, 19, 42, 43, 46.
Sur ce, on va essayer de s'y remettre définitivement xD
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Et beaucoup plus tard encore, Cornélia et Blanche aperçurent la tarasque.
Leurs cœurs se serrèrent devant le cadavre de ce bébé, au pelage d’un beau fauve orangé. L’animal était difforme, la carapace tordue, bossue. Elles finirent par distinguer l’anneau de plastique bleu, un reste de bouchon ou d’étiquette, qui avait ceinturé son corps par le milieu. Le déchet avait dû se coincer là quand l’animal n’était qu’un nouveau-né minuscule. Lorsqu’il avait grandi, son corps avait tenté de reprendre l’avantage, sa cuirasse s’était élargie là où elle le pouvait ; le petit en avait gardé une forme de sablier. La taille de ses côtes n’excédait pas celle d’un goulot de bouteille. Du sang noirci avait séché dans ses narines. Il était beaucoup plus jeune que Pouet.
– Ah, fit Gaspard quand il parvint à leur hauteur, étonné de les voir immobiles. Ça arrive souvent. De plus en plus, ces derniers temps… C’est compliqué pour les nivées, avec la montée des eaux et ces foutues ordures.
Compliqué. Cornélia détourna les yeux, le cœur malmené par cette vision atroce. Quand Pouet s’approcha en trottant joyeusement, curieux de voir ce qui retenait ainsi leur attention, Blanche se mit à lui courir après en agitant les bras ; prenant cela pour un jeu, il s’enfuit en galopant sans voir le cadavre.
Malheureusement, il fut beaucoup plus compliqué de lui cacher la suite.
Au tournant d’une avenue semblable à mille autres, le convoi passa à côté d’un tas instable de corps. Des bébés coulobres. Des dizaines de bébés coulobres empilés là, laissés à l’abandon, sur lesquels fourmillaient les mouches. Leurs petits corps jaunes et noirs avaient commencé à pourrir, rongés par l’humidité, et une odeur insoutenable planait dans toute la rue. Aegeus donna l’ordre de bander les yeux de sa propre coulobre ; Aaron s’en chargea et la fit marcher à l’extrême opposé, sur le trottoir d’en face, afin qu’elle ne découvre pas cette scène hideuse. Les boyards se pincèrent le nez en passant devant l’empilement.
– Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ici ? répétait Blanche, démunie devant cette monstruosité.
Il n'y avait aucun piège de plastique, aucun déchet. Alors qu’elles restaient figées devant la scène, un boyard les poussa doucement dans le dos, les faisant sursauter. Les sœurs crurent qu’il s’agissait de Gaspard, mais non. C’était Beyaz, qui les regardait du haut de son mètre quatre-vingt-dix. Pour une fois, son visage impassible laissait filtrer une émotion – ou du moins, la moitié de son visage qui n’était pas abîmée par les brûlures.
– Avancez. Faut pas regarder. C’est les restes d’Actéon. C’est les déchets de ses élevages.
De sa main gantée de cuir, il désigna une grande bâtisse qui élevait ses murs de béton quelques rues plus loin. L’édifice avait l’air immense ; on voyait son toit de tôle – un toit d’usine – dépasser des immeubles alentour. Aucune fenêtre ne perçait ses cloisons aveugles, et une cheminée crachait une fumée noire qui assombrissait le ciel.
À cette vue, un frisson instinctif parcourut le dos de Blanche, avant de passer dans celui de Cornélia. Elles ne voulaient pas savoir ce qu’il se passait là-dedans.
– C’est de là que vient… l’odeur ? balbutia Blanche.
Elle ne parlait pas de celle des corps. Mais bien du fumet de chair carbonisé qui planait dans toutes les rues, depuis qu’ils étaient entrés dans cette zone.
Beyaz se contenta de hocher la tête.
– Avancez. Faut pas rester là.
Alors qu’il reprenait sa place derrière elles, à bonne distance, Cornélia lui demanda du bout des lèvres :
– C’est là que sont les zonures ?
Il comprit aussitôt ce qu’elle voulait dire ; ses yeux gris anthracite s’assombrirent encore.
– Sais pas. Actéon a beaucoup d’élevages. Il a pu les mettre n’importe où.
***
Cornélia essayait de compter les pauses pour garder un semblant de repère. Iroël n’était toujours pas revenu, Oupyre restait elle aussi introuvable, ce qui l'angoissait de plus en plus. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’ils avaient mangé cinq fois et dormi deux fois lorsqu’enfin, la frontière apparut au loin.
Lorsqu’ils aperçurent cette grille haute, qui coupait une rue à deux cents mètres devant eux, les boyards poussèrent des cris de joie et un souffle de soulagement passa parmi les nivées. Si on avait dit à Cornélia qu’un sinistre portail de fer lui apporterait autant de joie, elle ne l’aurait pas cru. Ils allaient enfin sortir de ce sinistre endroit, laisser derrière eux la meute, les harpies, les souvenirs morbides et même les odeurs affreuses des élevages d’Actéon.
Et peut-être atterrir chez un immortel encore pire que lui…
Mais dans l’immédiat, il était trop tôt pour s’en soucier.
Quand le convoi se présenta devant le portail, celui-ci s’ouvrit grand, dans un déluge de grincements. Il s’ouvrit seul. Aucune trace d’Actéon à proximité.
– Allez, on sort, on sort ! les haranguait Aaron qui était monté sur le capot du Berliet. Gardez vos armes à portée de main et passez vite chez Homère. Gardez bien votre place dans la formation !
Le gigantesque Liebherr fit ronfler son moteur. Montés sur les camions, plusieurs boyards surveillaient le ciel, la main sur leur arme, pendant que le reste de la cohorte s’étirait lentement en passant le portail. Les sœurs attendirent leur tour en piétinant sur place, encadrées par les nivées d’Aegeus.
– Un chien, entendit soudain Cornélia. Il y a un chien là-bas.
– Et un autre là !
Toutes les têtes se tournèrent vers l’arrière. Chacun repéra les deux silhouettes, au loin dans la rue, qui les surveillaient de leur regard rouge luminescent. Les nivées se pressèrent davantage pour passer la frontière, se bousculant les unes les autres ; les troupeaux à l’arrière, sentant le vent de panique qui agitait tout le monde, se mirent à bêler de peur. Cornélia sentit son cœur s’emballer.
– Ils ne bougent pas, commenta sa sœur à côté d’elle. Ils nous surveillent juste. Actéon a sûrement peur qu’Aeg lance un dernier assaut… Mais je ne pense pas qu’elle va nous attaquer la première.
– Pourvu que tu aies raison, marmonna Cornélia. Surveille bien Pouet. Où est Greg ?
– Dans la benne du Berliet. Il dort encore sur les couchettes.
Le matou avait trouvé sa juste place dans le convoi : il se prélassait sur les hamacs pendant que tout le monde s’échinait à marcher, et ne sortait que lorsque le convoi était à l’arrêt.
– Hé, vous deux ! Arrêtez de gober les mouches et avancez, Beyaz attend son tour derrière vous ! ordonna Aaron.
Les sœurs franchirent le portail aux côtés des arkan sonney et de l’hippalectryon. Sitôt de l’autre côté, des gazouillis et des petits bruits d’animaux leur vinrent aux oreilles. Après le silence complet qui régnait chez Actéon, c’était comme si elles venaient de franchir un voile invisible, de pénétrer dans un autre monde. Cornélia fut frappée par le contraste. Ici, elle ne voyait aucun déchet. L’eau s’étendait à perte de vue, limpide, seulement troublée par le passage des poissons qui scintillaient comme l’or et l’argent. Au loin, elle distingua des silhouettes de petites créatures, immobiles au milieu de la chaussée, qui fixaient l’énorme convoi. Avec sa sœur, elle se décala sur le côté, contre le grillage, afin de laisser entrer le reste de la cohorte.
Et c’est à ce moment-là, alors qu’elles contemplaient la désolation qui régnait du côté d’Actéon, que tout dérapa.
D’abord, il y eut un frémissement chez les hydres, comme une stupéfaction qui s’emparait d’elles. Tous leurs cous se tendirent vers l’arrière. Personne du convoi n’y prêta réellement attention, puisque les chiens repérés n’avaient toujours pas bougé. Mais Blanche, elle, aperçut la raison de leur agitation. Elle pointa un index tremblant vers une avenue qui croisait la leur. Et Cornélia le vit elle aussi.
Iroël !
Le garçon se tenait debout sur le toit d’une maison ; à cette distance, ç’aurait pu être n’importe qui, mais les sœurs commençaient à le connaître. Sa façon de se tenir campé, avec les pans de sa chemise qui volaient au vent… il n’y avait aucun doute possible.
Il fixait quelque chose en contrebas. Les sœurs réalisèrent bientôt qu’une harde de créatures avançait sous sa surveillance. Blanche mit une main en pare-soleil.
Il y avait là des zonures qui avançaient piteusement, tels d’énormes lézards, puis des coulobres reconnaissables à leur peau de salamandre jaune et noire. Et derrière…
– Des basilics ! souffla la cadette.
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