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Bonsouère !

J'ai réécrit la scène de remontrance qui n'était pas assez violente (chapitre 57), je me suis cassé les dents dessus, j'en ai trop marre XD Si vous pouvez y jeter un coup d'oeil à l'occasion et me dire si c'est mieux...

***

– Écoutez-moi tous !

– Vos gueules, écoutez le chef ! rugit Aaron en cognant la table.

Les boyards qui sommeillaient se réveillèrent en sursaut ; le brouhaha qui régnait dans le restaurant se dissipa très vite. Aegeus se leva de sa chaise. Cornélia eut l’impression qu’un peu plus d’écailles lactescentes brillaient sur son visage, par rapport à d’habitude. Elle s’appuya sur l’épaule de sa sœur pour mieux voir, le ventre douloureux d’avoir trop mangé.

Sur un signe d’Aegeus, quelqu’un entra dans la pièce d’un pas traînant. Iroël. Une foule d’émotions inextricables se déclenchèrent en Cornélia à sa vue. Le petit chou se posta à la gauche d’Aegeus ; Aaron, comme toujours, se trouvait sur sa droite.

Le trio des fous furieux, pensa Cornélia en les voyant ainsi. Le trio à cause duquel tout a commencé. Iroël fut le seul à les regarder, sa sœur et elle. Il leur offrit un rapide sourire. Au moins une personne qui se réjouissait de les voir.

– Qui parmi vous connait Iroël ? demanda le chef.

Un vague murmure courut parmi les boyards. L’homme aux écailles soupira.

– Bon, on va la jouer autrement. Qui a déjà vu les armures de guerre de Bastet ? D’Epona ? D’Iscarioth ?

Un éclat de curiosité parut dans les yeux de Mitaine.

– Tu veux dire les armures vitrail ?

À ces mots, les boyards se figèrent, puis des chuchotements étonnés se firent entendre. Aegeus inclina la tête.

– Voilà, les armures vitrail. J’imagine que vous voyez tous ce dont il s’agit ? L’armurier qui les a mises au point était très à la mode. Les immortels s’arrachaient son travail.

– Des armures magnifiques, lança Beyaz, le colosse taciturne. C’était du beau boulot.

Des hochements de tête enthousiastes accompagnèrent sa réplique. Blanche fit les yeux doux à Mitaine, qui se pencha vers elles pour leur glisser :

– Voyez, les immortels mettent des armures à leurs monstres de combat. Ben, le type qui fabriquait les armures vitrail, il faisait rien comme les autres ; on dit même que ses armures prenaient vie ! Qu’elles métamorphosaient un monstre en une autre créature. (Les yeux de la dryade brillaient d’émerveillement.) Et puis au lieu d’utiliser de l’acier comme tous les armuriers, il coulait ses pièces dans du verre ou du plastique.

Au mot « plastique », Blanche tendit l’oreille comme un écureuil qui a repéré une noisette.

– Du plastique ? souffla l’aînée désappointée. Du plastique pour une armure ? Ça devait pas être très solide…

– Oh, comme elle fait la difficile, la touriste ! rigola Mitaine. T’as déjà planté les dents dans un volet roulant ou une coque de téléphone ? Non ? Ben, j’te garantis que ça fait mal aux quenottes !

– Bon, marmonna-t-elle, admettons, mais du verre ? Ça se brise facilement, c’est dangereux !

– À ce qu’on dit, il récupérait du pyrex, du verre industriel quasi incassable. Moi, j’y connais trop rien, mais en tout cas, ce que j’peux vous dire… (Elle marqua une pause et les sœurs cessèrent de respirer.) C’est qu’aucune de ses armures s’est jamais brisée. Il était connu pour ça, ce gars. Non seulement ses trucs étaient superbes, mais ils étaient solides comme du roc ! On les appelait parfois…

– … les armures incassables, poursuivait Aegeus en bout de tablée. Eh bien, maintenant, vous savez qui est l’armurier qui les a conçues.

Et d’un coup de menton, il désigna le petit chou.

Les boyards n’en crurent pas leurs oreilles. Mitaine, elle, tomba carrément des nues.

– Quoi ? Le p’tiot tout bronzé, là ?

Quant à Blanche, elle eut la réaction d’une groupie qui vient d’apercevoir sa star préférée.

– J’en étais sûre ! souffla-t-elle avec les yeux brillants. Du plastique ! Des armures qui prennent vie ! C’était forcément lui ! Oh, Cornélia, il est tellement génial ! Il était célèbre… Je suis si fière de lui !

Fière de lui ? L’aînée lui mit une tape sur la tête, histoire qu’elle remette les pieds sur terre.

– Aïe !

– Ce garçon est trop jeune ! lança un faune. Ça fait un moment que l’armurier a disparu. On parle plus des armures incassables depuis bien longtemps !

– Nous sommes dans la Strate, rétorqua Aegeus. Aucun d'entre nous ne fait son âge véritable. Disons que ses… déboires avec les immortels ont fini par ternir sa renommée.

Un rictus lui étira les lèvres.

– C’est sans doute notre seul point commun.

– Il paraît que l’armurier vitrail travaillait avec des archanges ! lança l’un des hommes. Mais jamais ils auraient partagé leurs ateliers avec un humain. Ils nous détestent ! Ce gars-là est un menteur !

Iroël prit la parole pour la première fois.

– Je suis pas humain. Pas comme vous. Et mon maître armurier était pas n’importe quel archange.

Sa voix pleine de lassitude provoqua un blanc. Visiblement, peu lui importait qu’ils le croient ou pas ; il n’y avait aucune nervosité en lui. Il se savait dans son droit, et c’est cette attitude qui finit de convaincre Cornélia – et tous les boyards avec elle.

– Il va nous faire des armures ? demanda Mitaine avec naïveté.

– Si oui, fallait p’t’être y penser quand on était chez Actéon, marmonna l’un des hommes.

– Vous allez vous taire et me laisser parler, rétorqua froidement Aegeus, ou Dieu m’est témoin, j’en prends un, je lui arrache les cordes vocales et je les fais bouffer au premier qui ose ouvrir la bouche. C’est clair ?

Le silence fut immédiat.

– Il ne fera pas d’armures, bande d’imbéciles, reprit-il avec rudesse. Ça nécessite beaucoup trop de temps et de matériel, vous pensez que je me balade avec une fonderie dans mes poches ? Par contre, il y a autre chose qu’il va nous faire.

Et, survolant toutes les têtes, son regard de cristal vint se ficher dans les yeux de Cornélia.

– Viens ici, Corny. Prends ton masque avec toi.

On aurait dit qu’il appelait un chien, ce qui n’échappa à aucun des boyards. La jeune femme se leva, nauséeuse, le ventre toujours aussi lourd – et avec ce qu’elle allait vivre dans quelques instants, il était vain d’espérer une amélioration. Quand elle sortit son masque de son sac, des murmures parcoururent les boyards. Ils la regardèrent s’avancer sur ses jambes flageolantes. Quelqu'un lui fit un croche-pied ; elle se rattrapa in extremis au bord de la table. Un peu plus et elle se serait brisé le nez par terre.

– Je peux pas faire ça, chuchota-t-elle à Aegeus. Pas comme ça devant tout le monde… et puis, je… j’ai mal au ventre…

L’excuse sonnait tellement pathétique que des sourires railleurs fleurirent parmi les spectateurs. Cornélia regarda son masque de tzitzimitl. Une crainte sourde se lova dans son estomac quand elle retrouva les bijoux dorés, la couronne de plumes émeraude, le crâne aux orbites aveugles. Tout ce visage de plastique qui allait prendre la place du sien. Sous la panique, son souffle s’accéléra. Il lui emplit les oreilles comme une percussion oppressante.

– Mets-le, qu’on en finisse ! ordonna Aegeus. Regardez bien, vous autres.

Alors qu’elle allait poser le masque sur ses traits, son ventre se tordit violemment et une nausée fulgurante remonta vers son cœur. La jeune femme se détourna pour vomir tripes et boyaux… pile sur les bottes d’Aegeus.

– Bordel de merde ! gronda-t-il parmi les rires qui se déclenchaient. Mais qu’est-ce que je fiche avec une bonne à rien pareille ?

Il l’attrapa rudement par la nuque et la poussa sur le côté ; elle s’effondra à moitié sur Iroël, l’estomac dans les talons, ses cheveux trop longs tachés de bile. Le garçon la retint avec une douceur qui lui donna envie de pleurer. À l’arrière-plan, les quolibets pleuvaient.

– Ça va ? souffla le petit chou en la soutenant par le bras.

Avec délicatesse, il repoussa ses cheveux en arrière pour lui dégager le front. On n’avait plus eu ce genre de gestes pour elle depuis son enfance.

– Mais oui, voyons, ça va très bien, murmura-t-elle en s’essuyant la bouche. J’ai envie de me pendre. Digestion de merde… Je savais qu’il fallait pas que je mange autant… je le savais…

Et pourtant elle l’avait fait.

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