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Yo ! Bon dimanche les filles :D
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– Et toi, tu dors pas non plus, commenta-t-il.
Cornélia désigna le convoi d’une main tremblante.
– Comment je pourrais ? Tu as vu ce que je viens de faire ?
– J’ai vu.
Il passa une main dans sa tignasse irrégulière.
– Tu mords fort. Mais tu coupes bien les cheveux.
Cornélia fut si surprise qu’elle éclata de rire.
– Iroël, c’est une catastrophe… Il n’y a vraiment que toi pour porter ça et ressembler à un prince.
Il ne répliqua rien.
– Pourquoi la tzitzimitl ? demanda-t-elle d’une voix un peu brusque.
Comme il ne répondait pas, elle ajouta :
– C’est parce que je suis maigre, c’est ça ? Maigre et agressive ?
Iroël secoua la tête.
– Les tzitzimime sont très puissantes. Elles gardent les étoiles. Elles protègent le ciel des humains.
Tzitzimime ? C'était donc le pluriel de ce nom étrange ? Cornélia fronça les sourcils.
– Le ciel n’a pas besoin d’être protégé. Il est inaccessible. Quel rapport avec moi ?
– Le ciel et toutes les créatures du ciel. Les tzitzimime, elles dévorent les humains qui croient tout permis. Qui attaquent les choses qu’elles aiment. C’est des gardiennes, des gardiennes qui attaquent très fort. (Il inclina la tête.) Comme toi.
Cornélia songea à Blanche, Pouet, Greg et Oypyre – les seuls êtres qu’elle aimait, les seuls qu’elle tentait de protéger. Une boule de chagrin lui obstrua la gorge lorsqu'elle songea au petit tarascon. Où était-il à cette heure ? Regardait-il les mêmes étoiles, la tête levée vers le ciel, quelque part dans la Strate ? Ou son corps reposait-il sur le sol, lentement usé par l'eau, dévoré par les mouches ?
– C’est un échec, articula Cornélia. Je suis nulle pour les protéger. Je n'ai pas réussi à protéger Pouet... Je ne sais même pas me protéger moi.
Iroël la regardait du coin de l’œil.
– Justement. Il faut apprendre. Le masque peut te faire apprendre.
– Impossible. Son esprit a pris le contrôle, tu as bien vu ! Je suis un danger public.
Il fronça les sourcils, sévère.
– Il y a pas d’esprit de tzitzimitl dans le masque. C’est juste son corps à elle et ton esprit à toi. Le reste, c’est dans ta tête.
Le sang de Cornélia se glaça dans ses veines.
– N’importe quoi ! Je l’ai sentie… Elle a… Elle les a attaqués…
Elle resserra les bras autour de ses genoux. L’avait-elle vraiment sentie ? Ou n’était-ce que sa propre colère, au final, qui l’avait changée en démon ?
Les yeux plongés en contrebas, Iroël avait l’air pensif.
– Tu veux savoir où je suis allé ? Pendant que tu mangeais des boyards.
– Tu étais à un endroit particulier ?
Il sourit.
– Oui. Ça va te plaire.
– Mouais…
Il lui tendit une main et l’aida à se lever. Elle se blottit dans la chemise pour cacher sa nudité ; il eut la délicatesse de regarder ailleurs.
– Oublie pas le masque.
Avait-elle vraiment envie de le prendre ? Elle le regarda longuement et décida que oui. Il lui avait permis de se sentir forte l’espace de quelques instants, et cela avait son importance.
– On va loin d’ici ?
– Non, c’est tout près. (Il hésita.) Tu peux y aller en tzitzimitl.
– Pas envie.
Il la guida sur les passerelles installées par Homère le long des toits. Cornélia se sentit vite perdue. Tout se ressemblait dans ce quartier sinistre, peuplé de hangars industriels et de parkings, traversé de boulevards larges comme des autoroutes.
– Là, souffla Iroël au bout de quelques minutes de marche.
Il l’avaient menée sur un hangar. Il s’accroupit tout au bord du toit de tôle en le faisant ployer sous son poids. Cornélia se força à ne pas regarder son dos balafré. Elle s’assit à ses côtés et mit une main en visière.
– Pas si loin, se moqua-t-il. Juste en bas, regarde.
Et là, sur un parking inondé, elle les vit. Toute une meute de lapins cornus, perchés sur les capots des voitures. Cornélia plissa les yeux. Des wolpertingers ? Non, ceux-ci n’avaient pas d’ailes, ni de longues pattes de lièvre comme Oupyre. Ils étaient plus lourds et beaucoup plus imposants. Ils portaient tous des bois de cerf, plus ou moins ramifiés.
– Ils sont pas un peu gros pour des lapins ?
– C’est normal. C’est des jackalopes.
Un robot massif, monté sur deux grosses roues tout-terrain, déboula dans le parking à toute berzingue en faisant sursauter Cornélia. Il mit à faire le tour des voitures en déversant des tas de foin sur la tête des jackalopes. Les lapins sautaient sur place, tout excités et se poussaient les uns les autres pour manger. Quand le robot eut fini son tour de parking, il referma le coffre qui lui servait de ventre et s’en alla en traçant un large sillage dans l’eau.
– Il vient de chez Epona, dit Iroël à mi-voix. Le foin. Homère lui achète.
– Tu m’as fait venir là juste pour ça ? Des lapins qui mangent du foin ?
Sans rien dire, il lui désigna une Citroën d’un rouge usé, au toit couvert de lapins. Dans la mêlée de couleurs fauves, brunes et tachetées, Cornélia repéra alors un énergumène au poil gris pâle, presque argenté. Par réflexe, elle pensa à Oupyre, mais la hase était bien plus petite, et ce lapin n’avait pas d’ailes.
– C’est elle, dit Iroël avec malice.
– Pardon ?
– C’est le wolpertinger.
Il désigna le masque de tzitzimitl que Cornélia tenait toujours à la main.
– Tu lui as… fait un masque ?
– Oui. Comme pour le chat. Pour qu’Aegeus la tue pas.
Stupéfaite, Cornélia plissa les paupières pour étudier le spécimen, qui pataugeait dans le foin. Elle avait peine à imaginer Oupyre faire preuve d'autant de pacifisme. Pourquoi n'essayait-elle pas de les dévorer ? Iroël poursuivit :
– Elle a trouvé les jackalopes toute seule. C'est pas moi qui l'ai amenée.
– Elle s’entend bien avec eux ?
– Oui. Ça fait quelques heures... Ils sont gentils avec elle.
La hase secoua les oreilles et se lécha une patte d’un air affecté. Cornélia reconnut cette petite manie.
– Elle n'a pas essayé de les manger ? marmonna-t-elle.
– Non, sourit Iroël. Les wolpertingers mangent pas de lapin. Elle joue. Par contre, elle comprend pas encore que le foin, c’est bon à manger. Les jackalopes mangent pas de viande comme elle.
C’est sûr que si elle s’attend encore à dévorer des gigots saignants…
La jeune femme ne parvenait pas à reconnaître Oupyre dans cette silhouette trapue, aux oreilles plus courtes. Ce lapin-là ne pouvait pas effrayer deux kitsunes ; il ne pouvait pas tenter de dévorer Greg, ni trancher le canon d’une arme à feu avec ses dents. Cette constatation aurait dû soulager Cornélia, mais ce ne fut pas le cas. Oupyre avait-elle seulement gardé ses yeux couleur d'ambre ? D’ici, la jeune femme ne pouvait pas voir ce détail. Elle aurait dû se réjouir de la voir s'amuser avec des congénères, mais, inexplicablement, une grande tristesse lui emplit le cœur. Elle posa la seule question qui devait être posée.
– Est-ce qu’elle est mieux comme ça ?
Iroël hésita. Cornélia se mordit la lèvre.
– Iroël… c’est juste temporaire, hein ?
Il soupira et détourna les yeux.
– Tu sais… Les wolpertingers, il y en a plus beaucoup. Ni dans la Strate… ni ailleurs.
« Le dernier wolpertinger », avait dit Aegeus dans leur monde, si longtemps auparavant. « Le dernier. »
– J’ai fait ça juste pour qu’Aegeus la trouve pas… dit doucement le garçon. Mais regarde. Elle est contente d’être avec eux. Elle est plus seule, maintenant.
Cornélia eut envie de pleurer. Le pire, c’était qu’elle ne parvenait pas à bien cerner pourquoi.
– Mais elle… elle n’est pas un jackalope… Ce n’est pas elle. On ne va pas sacrifier sa nature juste pour… pour…
– Pour qu’elle soit heureuse ? chuchota Iroël.
Il évitait toujours le regard de Cornélia.
– C’est pas bien d’être tout seul. Seul d’une race… (Il passa une main lasse dans ses cheveux.) Je sais ce que ça fait…
Cornélia serra les dents.
– Elle est censée avoir des ailes. Elle est censée voler.
Iroël se tourna vers elle. Une grande émotion passa dans ses yeux, vite ravalée, comme si ses mots l’attaquaient personnellement.
– Voler ? répliqua-t-il d’une voix un peu dure. Qui va lui apprendre ? Les humains doivent apprendre à marcher. Les oiseaux et les wolpertingers doivent apprendre à voler. Personne sait faire à la naissance. Alors qui va lui apprendre ? Toi ?
Une grosse boule chaude monta dans la gorge de Cornélia. Elle ne parvint pas à la ravaler. Elle contempla Oupyre qui chahutait avec ses congénères ; ses bonds lourds produisaient des bruits de tôle. C’était si différent de sa légèreté et de sa souplesse habituelles. Iroël l’observait lui aussi.
– Il vaut mieux changer, dit-il à mi-voix, en l’observant aussi. Au moins, elle a des amis maintenant. Un avenir.
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