2e prologue
BONJOUR, j'ai relu ce prologue au moins 1587841223 fois. Je suis présentement au bout de ma vie. J'ai retouché pas mal de choses, mais je sais pas si c'est vraiment mieux D:
Il sera situé juste après le prologue des filles (quand elles sont ados dans leur collège, en 2015)
Je voulais qu'on ait un aperçu de la relation Aaron-Enzo, de leur tarasque, du concept des arènes, ainsi que de la tension avec Actéon. Mais bon, au pire, j'enlèverai ce prologue et je laisserai juste celui des filles.
Je vous poste tout d'un coup, même si c'est un peu long (au moins, Ephaline pourra pas se plaindre que c'est trop court xD)
______________________
Même heure, même ville, même endroit
Autre monde
Quand ils pénétrèrent dans l’arène, deux mille regards tombèrent droit sur eux.
Aaron leva le menton quand les bavardages, les cris et les rires s’interrompirent d’un coup. Il retint un sourire. Cet instant-là, c’était le meilleur. Chaque fois, il vibrait dans ses os et l’inondait de fierté.
Il leva les yeux vers les meutes de dieux, de monstres et de chimères qui les surplombaient. Dans cette mêlée bigarrée, les bipèdes paraissaient minuscules et insignifiants.
– VOICI AEGEUS ET SES BOYARDS AU GRAND COMPLET ! tonna la voix du speaker.
La musique se déversa dans l’arène, les basses mal réglées firent gronder le sol et les gradins, rejointes par les acclamations dans un grondement monumental. Aaron vérifia de l’index que ses bouchons n’avaient pas glissé. La première fois qu’il avait participé à un tournoi, il avait failli rester sourd ; son ouïe plus sensible n’avait pas que des avantages, et de loin. Il jeta un regard envieux vers Enzo, à côté de lui, dont les tympans humains pouvaient supporter ces avalanches démentielles.
– Non mais regarde-moi ces lèches-culs, lui hurla son ami à l’oreille. Avant, ils nous huaient dès notre entrée, et maintenant rien n’est trop beau pour nous !
Son sourire était contagieux. Ce garçon était aussi lumineux qu’un soleil. Sans vraiment le vouloir, Aaron plongea dans ses yeux clairs qui brillaient intensément. Il finit par les quitter à regret.
Devant eux, Aegeus se mit à marcher d’un pas puissant ; tous ses boyards le suivirent, dont les deux garçons. C’était la coutume. Ils étaient là pour gagner ce tournoi, et tout tournoi commençait par une parade. Les autres participants avaient déjà effectué la leur.
Leurs monstres de combat les encadraient en une formation impeccable, répétée cent fois. L’adrénaline courait dans leurs veines comme dans celles de leurs maîtres. Certains piaffaient déjà, échauffés par les acclamations de la foule, sachant qu’il serait bientôt l’heure de déchiqueter leurs adversaires. Sans y penser, Aaron posa une main sur le flanc de la bête près de lui. Une tarasque. Leur tarasque. Asmar, de son petit nom. Deux tonnes de muscles, six pattes d’ours et une carapace meurtrière qui devait peser cinq quintaux à elle seule.
Le grand mâle observait l’arène, parfaitement calme. Il avait grandi au rythme des tournois et des combats, suivant le programme d’entraînement mis au point par Enzo et Aaron. C’était le monstre de guerre par excellence. Ses griffes ferrées d’acier crissaient sur le sol ; le soleil faisait luire des vagues dorées sur son pelage fauve.
Personne n’avait besoin de savoir que ce tas de muscles, hors de l’arène, n’était qu’un gros toutou inoffensif qui mangeait les chaussettes de ses maîtres et dormait au pied de leurs lits.
Le regard d’Aaron monta le long des tribunes. Une foule en délire s’y accumulait. Ce n’étaient pas de vraies tribunes ; simplement des bâtiments hauts de deux étages, dont les murs avaient été cassés pour laisser passer les regards des spectateurs. Ici, pas de places assises ni de vitres. Juste un chaos sans nom, encadré par le béton et la végétation rampante.
Aaron émit un reniflement méprisant.
Dans le monde réel, de l’autre côté du miroir, ce lieu devait être un établissement public. Peut-être un lycée. C’était difficile à dire tant la Vingt-Cinquième heure l’avait défiguré. Des racines gigantesques avaient fait éclater le goudron ; on les avait tronçonnées à la va-vite pour dégager le sol de l’arène en prévision des combats. Des lianes rongeaient les murs et les escaliers détruits. Des rivières de fleurs se déversaient des étages supérieurs.
Les yeux plissés, Aaron repéra les lieux avec plus de soin. Aucune arène n’était sûre ; elles devaient être analysées, cartographiées, toutes les sorties devaient être repérées. Actuellement, ils se trouvaient dans la cour de ce lycée. C’était là que les combats allaient se dérouler. Il n’avait vu qu’une seule issue : derrière eux, par là où ils étaient entrés. Il restait encore des bancs ici et là, incongrus dans ce décor d’apocalypse.
Aaron détestait ce genre d’arènes. Il préférait les stades et les carrières conçues pour s'affronter, pas ces ruines réaménagées pour l’occasion.
Malheureusement, ils étaient chez un immortel. Et lorsqu’un immortel ordonnait quelque chose, il était vain d’argumenter. On ne pouvait que courber l’échine sous leur regard de fer.
Lorsqu’ils auraient fini de parader comme des chiens de cirque, ils iraient se trouver une place quelque part dans tout ce bordel, si possible loin d’Échidna, d’Argos, de Cerbère et de ce taré de Xiangliu, dont les neuf horribles visages émergeaient de la foule. Beaucoup d’immortels se trouvaient là, issus de dizaines de cultures différentes. Et peu d’entre eux étaient dignes de confiance.
En cherchant l’endroit qu’ils pourraient occuper, Aaron croisa par mégarde le regard de la déesse Bastet. Merde ! Il baissa vite les yeux et inclina la tête, assez bas pour lui présenter sa nuque. Certains prenaient les regards directs pour des offenses, et Bastet était de ceux-là. Lorsqu’il fut sûr que la déesse s’était détournée, il la regarda fendre la foule, élégante et couverte d’or, entourée de ses panthères d’eau et autres créatures félines.
Malgré le danger omniprésent, les arènes étaient le lieu favori d’Aaron. C’était là qu’il se sentait le plus vivant, lorsque son cœur battait comme un fou dans sa poitrine ; mais c'était là aussi qu’il éprouvait la pire angoisse. Il savait trop bien que les petits humains comme Enzo et lui n’étaient que des mouches. Ils pouvaient se faire écraser d’un seul geste sans que personne s’en soucie.
Ils arrivaient enfin au bout de leur tour de parade. Leur tarasque commençait à s’impatienter, gagnée par l’excitation des autres monstres. Quand Aaron lui tapota la tête, le monstre attrapa sa main entre ses mâchoires. Un dresseur ordinaire aurait craint de se voir amputé. Pas Aaron. Lorsque le gigantesque animal était encore bébé, cette même main l’avait nourri au biberon et lavé dans la baignoire ; il la prenait toujours délicatement entre ses dents. Les yeux suppliants, il la secoua pour jouer.
– Asmar, lâche-moi ! gronda le garçon. C’est pas le moment de rigoler !
Lorsqu’il récupéra sa main, elle ruisselait de bave. Enzo se moqua de lui en le voyant s’essuyer sur son pantalon. Alors qu’ils s’apprêtaient à ressortir de l’arène, suivant leur chef, ce dernier leva une main. Toute la cohorte s’immobilisa.
– Halte !
Agacés, les monstres piaffèrent sans oser lui désobéir. Tous comprirent son geste lorsqu’une silhouette menue se dirigea vers eux.
C’était une petite fille.
Le sourire aux lèvres, elle se trouvait torse nu, en pantalon treillis, la tenue habituelle des humains ici-bas. Aaron retint un grondement en voyant les deux chiens qui l'encadraient. D’énormes molosses au poil fauve, croisement incertain entre des loups et des dogues de combat.
– Saloperie, maugréa Enzo. Sans ses cabots, je me serais fait avoir.
Ce n’était pas une fillette. Elle en avait seulement l’apparence. En réalité, c’était Actéon, l’immortel aux mille visages. Il – ou elle, selon son humeur du jour – pouvait revêtir autant d’identités qu’il lui plaisait. On racontait qu’il avait mille chiens sous ses ordres… et autant de masques.
– Il manquait plus que lui, grogna Aaron.
Les poings serrés, il observa la gamine discuter avec leur chef. Sa petite tête blonde levée vers lui, elle avait l’air innocent et ravi de les voir tous ici. Le brouhaha des tribunes les empêchait de saisir un traître mot, mais elle les reluquait tous avec intérêt. Aaron fit craquer sa nuque lorsque le regard de la petite fille passa sur lui.
– Putain, je déteste ça. Je déteste me retrouver en 2015 quand ce genre de trucs arrivent.
Enzo rit franchement.
– C’est sûr que tu casses pas trois pattes à un canard ! T’es à peine plus grand qu’elle, elle te trouve peut-être à son goût ?
Aaron lui cogna l’épaule en montrant les dents. Il enviait Enzo. En 2015, ses quinze ans lui offraient déjà une certaine stature ; alors qu’Aaron lui, n’avait encore que douze ans à cette époque. Par conséquent, il avait l’air d’un nain en forme de ficelle. Il détestait se retrouver coincé dans un corps d’enfant. L’un des nombreux inconvénients dus à la State et ses aléas temporels.
– C’est ça, rigole ! marmonna-t-il. En attendant, si un de ces connards d’immortels essaie de nous faire la peau, c’est moi qui sauverai la tienne, pas l’inverse !
Même dans ce corps de gringalet, Aaron avait de quoi massacrer la moitié des tribunes. Il portait un Glock à la ceinture, un coup-de-poing américain à la main droite, un couteau à cran d’arrêt dissimulé dans l’une de ses bottes. Et il savait les utiliser à la perfection. Enzo, à l’inverse, faisait partie des rares inconscients à se promener sans rien.
Peut-être parce qu’il savait que son ami défendrait sa vie au péril de la sienne.
– T’aurais préféré qu’on aille en 2060 ? se moqua Enzo. Je sais que tu adores quand…
Aaron leva les yeux au ciel.
– M’en parle pas, c’est l’horreur quand on dépasse 2055. Le coup du vieux barbu, merci bien.
Enzo était hilare.
– Un vieux barbu d'un mètre vingt. Ça te va vraiment à la perfection.
Il esquiva le coup qui avait failli l’atteindre à l’arcade sourcilière.
– Un mètre cinquante-neuf, connard !
La plupart des gens faisaient semblant de frapper lorsqu'ils plaisantaient, mais pas Aaron. Lui ne faisait jamais semblant. Il fallait juste prendre le pli : une fois habitué, on pouvait éviter presque tous les bleus.
À quelques mètres, l’immortel n’en finissait pas de minauder devant leur chef. Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien se dire ? Les deux garçons se rembrunirent. Aaron eut soudain une envie folle de se porter au-devant d’Actéon et de cogner cette sale face de rat de toutes ses forces, là où sa frange ombrait son joli front.
La main d’Enzo se posa sur son épaule ; surpris, il se contracta.
– Nous mets pas dans la merde, hein, lui souffla son ami. Reste à ta place.
Aaron regarda ailleurs lorsque les mèches blondes de l’adolescent effleurèrent son oreille. Une vague de chaleur monta dans son ventre. Il tripota nerveusement son coup-de-poing ; le métal était lourd et rassurant dans sa paume.
Il se figea lorsque l’immortel se fraya un chemin vers lui. Toujours flanquée de ses chiens, la gamine traversa la troupe de monstres et de boyards en gambadant joyeusement. Au passage, elle caressa le pelage rêche de la Mouche, les écailles scintillantes d’Algarade, enveloppant chaque créature d’un regard appréciateur, comme si elles lui appartenaient. Aucune d’elles n’osa se dérober, ce qui mit Aaron en rage. Lorsque la fillette s’arrêta devant lui et le fixa de ses grands yeux bleus, il se mordit la langue pour se contraindre au silence.
– C’est toi, le crocotta ? dit-elle d’une petite voix flûtée.
Aaron se tendit. Il détestait quand les gens lui jetaient sa véritable nature à la figure.
– Ouais. C’est moi.
La gamine le reluqua de haut en bas, avant de faire la moue comme si ce qu’elle voyait ne lui plaisait pas.
– Je veux te voir combattre.
Le cœur d’Aaron eut un raté. Près de lui, son ami se crispa.
– C’est pas un monstre de guerre. Il est dresseur, comme moi. C’est notre tarasque qui se bat, pas nous !
L’immortelle lui jeta un regard méprisant. Elle claqua de la langue.
– Ne dis pas de bêtises. Les crocottas font d’excellents combattants. Dommage qu’ils ne se reproduisent pas en captivité, j’en aurais bien fait l’élevage. (Elle désigna leur chef, qui les surveillait de loin.) Je lui ai offert un bon prix, mais il n’a pas voulu te céder à moi. Je suis un peu contrariée.
Elle se balança sur ses talons et gratta l’oreille d’un de ses chiens.
– Il vaut mieux que je ne reste pas contrariée très longtemps, leur confia-t-elle. Ton maître le sait. Alors, pour se faire pardonner, il m’a dit que tu combattrais contre l’un de mes monstres. Celui que je choisirais.
Aaron crut qu’il avait mal entendu. Son cœur se mit à battre très fort et très vite, son pouls cognant ses tympans dans un rythme désordonné. Il chercha les yeux d’Aegeus. Celui-ci pinça les lèvres ; cela valait confirmation.
– C’est impossible, répliqua Enzo en se rapprochant de lui. Le chef n’aurait jamais…
Il croisa le regard limpide de la gamine et se tut. Elle battit des mains, toute excitée.
– J’ai hâte de voir ça. Disons… (Elle jeta un œil vers le sablier monumental posé au centre de l’arène.) Un combat en trois rounds, ainsi nous aurons tout le temps de profiter du spectacle.
Elle s’approcha d’Aaron, beaucoup trop près, et leva la main vers son visage – l’instinct du crocotta lui hurla de mordre, mais il le musela. Elle lui fit ouvrir la bouche et lui inspecta les dents. Il se sentit comme un cheval vendu sur un marché.
– Intéressant, commenta-t-elle. Même pas une petite canine pointue ! Les fées ont fait du bon boulot avec toi, c’est impressionnant. Ça t’arrive de vouloir uriner pour marquer ton territoire ?
Aaron serra les mâchoires à s’en rompre les muscles. Cette question lui rappelait bien trop de souvenirs hideux. Enzo lui toucha le bras, mais il se dégagea d’un geste brusque, incapable d’accepter son contact.
L’immortelle sourit de toutes ses dents, puis tourna les talons. Elle lui lança par-dessus son épaule :
– Un jour, tu seras à moi, petit crocotta ! J’ai d’autres moyens que l’argent pour faire ployer ton chef…
Elle s’en alla en riant. Aaron baissa les yeux sur le sol de la Strate.
Il pensait déjà à cet instant maudit où il devrait déchirer sa peau humaine pour libérer l’autre... La vraie.
Annotations
Versions