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Hellooo ! On approche de la fin du tome 2 (oui, je crois que j'ai définitivement abandonné l'idée de faire juste 2 tomes, ça va partir sur 3... xD) D'ici quelques jours, on se sera arrivé au moment auquel je pense !
– Eh bien quoi ? Tu ne le savais pas ? Les tzitzimime font partie du grand peuple des démons, comme moi, mais ce sont des démons du ciel. Comment veux-tu qu’elles veillent sur les étoiles si elles sont incapables de voler ? Quoique voler n’est pas vraiment le terme adapté…
La surprise de Cornélia fut balayée par une vague d'excitation.
Mais comment ? Je n’ai pas d’ailes !
– Les tzitzimime ne volent pas comme les oiseaux, railla le matou. Elles se servent de leurs constellations.
Cornélia leva l’une de ses pattes. Elle observa briller les étoiles à l’intérieur de ses muscles transparents.
De ça ? Vous savez comment faire ?
Le chat prit un air matois.
– Deviens ma maîtresse et je te le dirai peut-être…
Cornélia sursauta.
Ah non, ça ne va pas recommencer ! Ce n’est pas la peine de demander, je n’ai pas envie de finir chez le Diable !
– Grmbl, maugréa le matagot. Moi, je n’y connais rien en tzitzimime. Normalement, il te suffit de devenir la nuit. Deviens la nuit et sers-toi de tes constellations.
Comme il ne semblait pas disposé à ajouter des précisions, Cornélia tenta de décrypter ces mots sybillins. Elle se concentra très fort sur les étoiles qui la constituaient. Mais comment faire ? Autant essayer de sentir ses propres neurones... Elle réessaya encore et encore, forçant sur son cerveau épuisé, espérant qu’un quelconque instinct magique allait prendre le dessus.
Bien sûr, rien ne se produisit. Le matagot l'observait, tranquillement assis sur son derrière. Cornélia soupira intérieurement.
Vous le faites exprès de rester aussi flou, hein ?
C'était de bonne guerre. Mais il pouvait toujours courir pour qu'elle accepte de devenir sa maîtresse.
– Deviens la nuit, chantonna-t-il. Sers-toi de tes constellations. Sers-t’en pour te paver un chemin de lumière.
Il lui tourna le dos et s’en alla, la queue en forme de point d’interrogation.
– Hi hi ! Quelle ironie ! Des démons qui foulent une route de lumière !
***
Dorénavant, Cornélia s’entraînait seule, sans lancer de caillou, sans personne. Blanche refusait de venir l’aider. Lors des pauses, chaque fois que les rations militaires étaient distribuées, la cadette prenait son repas près d’elle et la surveillait sans rien dire.
– Je mange, marmonnait Cornélia en agitant sa fourchette sous son nez. C’est bon, je mange.
Toute cette nourriture lui donnait envie de vomir, mais elle essayait d’augmenter les doses petit à petit. Blanche avait peut-être raison. Peut-être son accès de faiblesse avait-il vraiment été un cri de désespoir de son corps. Cornélia avait si peur que cela se reproduise. Dire qu’elle avait failli mourir noyée dans vingt-cinq centimètres d’eau !
Quand Aegeus sonnait l’heure de dormir ou de manger, elle se forçait à faire comme les autres. Elle volait des quarts d’heure par-ci, par-là pour s’entraîner un peu. À force, elle ne ressentait plus guère les effets négatifs de la métamorphose. Son corps et son esprit étaient parfaitement rodés, au point qu’en une fraction de seconde, comme sa sœur, elle pouvait changer de corps. Mais elle n’arrivait toujours pas à se déplacer dans les airs. « Deviens la nuit. » La bonne blague. Le matagot ne s’était pas manifesté depuis ce jour-là et elle commençait à se demander s’il ne s’était pas moqué d’elle.
Elle reprenait le moins possible son apparence humaine. Elle détestait l’idée que les boyards pouvaient profiter de sa faiblesse, se moquer encore, la traîner dans la boue. Alors elle dormait en tzitzimitl, marchait en tzitzimitl. Et cela les gardait à distance. Lorsque Aegeus les rassemblait pour lancer une pierre, elle se tenait en arrière, immobile. Ce n’était pas encore le moment.
Elle voulait être certaine de l’emporter. Certaine de les écraser.
Contre toute attente, Beyaz fut le premier à rapporter le caillou. Il commençait à maîtriser à la perfection son enveloppe d’ours nandi. Sa paye fut augmentée en conséquence. Puis ce fut le tour de Mitaine et d’autres boyards.
Au fil de leur route, le temps laissait ses marques sur eux tous. Ils roulaient toujours plein est, et cela se ressentait sur la croissance des nivées les plus jeunes. Le petit hippalectryon se changeait progressivement en un jeune étalon élancé. La nourriture du convoi, bien plus riche que son régime frugal, lui donnait des muscles racés et des plumes flamboyantes. Mais il agissait toujours comme un petit poulain, maladroit et timide ; il se cognait souvent dans les autres nivées, tant il avait du mal à prendre conscience de son corps d’adulte. Les petits de la coulobre, que Cornélia avait vus naître, grandissaient aussi comme des herbes folles. Désormais, ce n’étaient plus quatre petits crapauds sombres qui pataugeaient derrière leur mère, mais trois coulobres grassouillettes et un zonure adolescent, aux écailles encore lisses.
Toutes les autres coulobres avaient mis bas elles aussi, de sorte que le convoi était plein de petits zonures, de petits dragons mammaliens et de coulobres. Sans oublier tous les jackalopes. La prévision d’Aegeus s’était avérée fausse, et celle de Gaspard exacte : la majorité d’entre eux n’avait absolument pas quitté le convoi, et ils avaient pondu une innombrable brochette de rejetons. Aegeus et Aaron ne cessaient de se plaindre de leur présence, mais ils n’en abattirent aucun. Et lorsqu’un des boyards, désœuvré, fit mine de tirer sur l’un d’eux avec sa mitraillette, il se prit une telle torgnole de la main de Mitaine que les autres se gardèrent bien de l’imiter.
Le temps vieillissait également les boyards. La différence crevait les yeux chez les plus jeunes. Le visage de Blanche perdait ses courbes douces ; tous ses traits gagnaient en dureté, et de nouvelles taches de rousseur apparaissaient. C’était certainement le cas aussi chez Cornélia. Elle n’en savait rien. Elle qui avait déjà un long visage maigre à vingt ans, elle n’osait imaginer le résultat à vingt-cinq ou vingt-six. Ses cheveux lui arrivaient en-dessous des fesses ; Blanche les lui avait tressés et elle lui avait rendu la pareille.
Même le visage d’Aaron s’était fait plus anguleux, plus sévère ; une légère ride du lion apparaissait déjà entre ses sourcils perpétuellement froncés. Il avait pris quelques centimètres et sa barbe s’était étoffée. Il la rasait à chaque pause en maugréant.
D’autres ne changeaient pas. Aegeus, bien sûr, ne semblait pas avoir vieilli d’un pouce. Quelques années ne pesaient pas lourd dans la vie d’un être âgé de plusieurs siècles. Mitaine et les autres dryades ne changeaient pas non plus. Et de manière surprenante, Cornélia ne remarqua rien chez Gaspard. Il ne semblait pas avoir pris la moindre ride. Elle était pourtant certaine qu’il s’agissait d’un humain.
Quant à Iroël, il changeait à peine. À présent, Cornélia avait certainement l’air plus vieille que lui. Chaque fois qu’elle lui coupait les cheveux, elle l’observait de près.
– Aucune ride, grommelait-elle à chaque fois. Aucune !
Il ne répliquait rien. Ses yeux pétillaient de malice, mais elle se demandait si une pointe de tristesse n’y rôdait pas, tout au fond.
« Ceux de ma race dorment pas. » Ils ne devaient pas vieillir non plus.
Dorénavant, Blanche avait son utilité dans le convoi. Aaron lui avait assigné deux rôles : le premier était celui d’éclaireuse – qui n’avait pas grande importance tant qu’ils étaient chez Homère, mais qui prendrait tout son sens une fois en territoire ennemi – , et le second, moins prestigieux, consistait à chasser les jackalopes des camions.
– Ça rajoute du poids, avait grogné Aaron en leur jetant de sales regards. Les vivres pèsent déjà assez lourd comme ça ! Ils peuvent nous suivre si ça leur chante, mais empêche-les de monter là-dessus.
Blanche resta fidèle à elle-même. Au lieu de se servir des pouvoirs du raijū, elle passa son temps à pousser gentiment leurs derrières et à agiter des feuilles devant leur nez pour essayer de les appâter plus loin. Cornélia la soupçonna de se servir de la « langue sans mots », car bientôt les jackalopes cessèrent de squatter les capots des véhicules – et ce n’était certainement pas grâce à sa façon de secouer bêtement des feuilles dans le vide.
Elle faisait également des rondes tout autour du convoi. Cornélia se demanda si elle était chargée de surveiller les lieux, au cas où le prédateur qui avait dévoré deux boyards décide subitement de refaire surface. Aegeus se méfiait-il encore ? Ou, pour lui, Oupyre avait-elle été la seule coupable ? En se promenant avec ce satané fémur, la hase avait orienté tous les soupçons vers elle.
En attendant, Blanche s'amusait bien avec son statut d'éclaireuse. Elle espionnait tout le monde sans vergogne pour développer sa furtivité. Quand Cornélia s'était éloignée pour faire pipi et que sa sœur était apparue d'un coup derrière elle, la frayeur l'avait fait bondir. Blanche s'était enfuie en hurlant de rire, zigzaguant pour éviter les projectiles qu'elle lui jetait.
Mais ses rondes allaient aussi beaucoup plus loin. Ainsi, ce fut elle qui repéra la frontière en premier.
Tout le convoi en fut très vite alerté car, paniqué par l’ampleur de sa découverte, le raijū fusa vers Aaron pour lui faire son rapport… et ne parvint pas à s’arrêter à temps. Le garçon termina par terre, les quatre fers en l’air. En fait, ce n’était plus du tout un garçon ; c’était un homme à présent. Un homme furieux et trempé. Aucun boyard n’avait manqué la scène, mais personne n’osa rire.
– Putain de raijū ! tonna-t-il de sa voix plus grave. Mais tu regardes où tu vas, des fois ?
Blanche avait repris de justesse son apparence humaine avant de le heurter, pour ne pas l'électrocuter. Elle remonta son masque sur ses cheveux blonds, essoufflée, complètement nue, et ne lui donna même pas la réplique ; elle lui tendit simplement une main. Il hésita avant de la saisir solidement pour se relever. Personne, à part elle, n’aurait touché ainsi un changelin.
– Pardon, mais il y a un truc bizarre à deux cents mètres, haleta-t-elle.
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