Passage dans l'ombre

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J’échouais dans tout. Mon existence était une route qui allait de désespoirs en déboires. Ma vie sociale et sentimentale, mes études… Absolument tout. Parce que je n'étais pas assez fort. Et lors de mon apogée, quand j’ai réalisé que mes échecs étaient le présage de ce qu’allait être ma vie, j’ai désiré la mort. Mourir devint mon seul objectif, quitter cette terre, source de tristesse et de misère. Même là… Ce fut un échec.

Au milieu d’une route passante que j’avais choisie, les conducteurs m’évitaient, m’insultaient et klaxonnaient après moi. Je restais là, au beau milieu, dépassé par les voitures. Dans le courant automobile, j’attendais qu’un automobiliste soit assez courageux ou assez fou pour me renverser et abréger ma vie. J’attendais la Mort.

Une voiture de police arriva. Quelqu’un avait dû les prévenir de la présence d'un désespéré.

Ils étaient deux agents. L'un, resta au volant. Il parlait dans une radio tandis que son coéquipier s’avançait vers moi en prenant soin de ne pas se mettre en danger. Il avait un énorme pistolet accroché à sa ceinture… C’était une très belle arme, une authentique, une vraie de vraie, qui avait peut-être déjà tué ! Et qui pourrait mettre fin à mon calvaire. L’homme était à deux mètres quand il me demanda ce que je faisais en plein milieu du carrefour. Pourquoi mentir ?

— Je veux mourir, lui avouais-je avec la plus grande indifférence qui soit.

Choqué, puis soucieux, il entreprit de me ramener à la raison. Ma vie, même si elle était merdique ne méritait pas que j’y mette fin aussi tôt. J’avais dix-sept ans, autant dire que j'avais toute la vie pour résoudre mes problèmes actuels...

Cet endroit, je l’avais choisi avec soin car depuis les immeubles, on pouvait aisément m’apercevoir. Si comme tous les matins, il fumait sa cigarette, il n’aurait pas de peine à me reconnaître. A me voir tenter la mort. Peut-être éprouverait-il quelques remords ? Peut-être réagirait-il ? Bien entendu, je rêvais. Il n’était pas de ceux qui se soucient de son prochain.

Alors que le policier se rapprochait, je compris soudain qu’il allait m’arracher à mon ultime projet et dans une panique folle, je courai vers les voitures qui, cherchant à m’éviter se rentraient les unes dans les autres ! Je m’arrêtai au bout de quinze mètres. Sans le vouloir, j’avais occasionné le plus terrible et meurtrier carambolage de l’histoire de la ville.

Une voix pleine de fureur m’interpella. Elle appartenait à un homme sortit d’une camionnette dont l’arrière était entièrement froissé. Il allait me frapper. Parfait, sous ses coups, j’aurai peut-être une chance de quitter ce monde.

— TUEZ-MOI ! TUEZ-MOI ! hurlai-je à son attention.

Ma demande l’effraya, ce qui eut pour effet de le faire reculer.

Un coup s’abattit à la base de ma nuque et je perdis connaissance.

Etait-ce le policier avec la crosse de son arme ?

Les ténèbres m’enveloppèrent. Je crus mourir… Enfin, je réussissai, enfin...

Cependant, la vie ne m'avait pas quittée puisque je me réveillai dans une ruelle sombre, le corps endolori. Les passants parlaient une autre langue. N’étais-je plus dans ma patrie ?

Un homme m’observait à l’écart.

— Ainsi, tu veux mourir, dit-il d’une voix sibylline. Si c’est ce que tu veux, suis-moi !

Je vis son ombre se détacher du mur et je répondis à son invitation en emboitant son pas.

Au bout de la ruelle, il s’arrêta et je sentis son aura démesurée.

— Tu ne veux plus vivre de cette vie, je peux t’en offrir une nouvelle, qu’en dis-tu ?

— Personne n’à ce pouvoir, hormis Dieu, si Dieu il y a, déclarai-je. Mais si vous le pouvez, j’accepte. Volon...

Ma phrase a peine achevée, l’homme s’abattit sur mon être et me transperça le cou de ses crocs aiguisés. La vie, celle que je haïssais plus que tout, s’échappait hors de moi. Enfin, je mourrai. C’est à peine s’il me restait une once de force lorsque je l’entendis chuchoter :

— N'aie pas peur. Je vais te donner le choix que je n'ai jamais eu. Tu es au seuil de la mort. Si je te laisse ici, tu mourras pour de bon. Je t’ai fait une proposition, l’accepte-tu ?

La réponse était non. Je désirais mourir. Mais la vie est une garce. La vie ne voulait pas me quitter. Inconsciemment, j’acquiesçai. Les yeux voilés, je sentis une substance gouter sur le bord de mes lèvres. A son goût métallique, j’identifiai du sang. Du sang ! Il entrouvrit de force ma bouche et me fit boire. Puis aussitôt se retira et me laissa dans une euphorie naissante. Je riais. Je planais sur un petit nuage. J’étais dans la lune. Sur la lune ! Le bonheur me submergea. Puis, la douleur…le cœur qui rate un battement…le cœur qui lâche. On arrête tout ! Je ne voulais plus mourir. Je ne voulais plus ressentir ses sensations contradictoires.

Lui était près de moi et regardait le spectacle de ma mort comme un divertissement. Le souffle vint à me manquer, je suffoquai, je mourrais…non pas maintenant, pas maintenant !

— Ce n’est rien, dit l’homme d’une manière désinvolte. Calme-toi, ce n’est que ton corps qui meurt…

Les ténèbres se refermèrent sur mon être et dans une souffrance ultime, je mourais. Pour être plus précis, mon corps mourait, car j’ouvrais des yeux de nouveau-né.

Mon père se tenait près de moi, vêtu comme un aristocrate anglais du dix-huitième siècle, canne, montre à gousset, haut de forme. Dans sa panoplie de gentleman, il ne manquait rien. Il me tendit la main et je la pris, la seule qu’on m’eut tendue jusqu’alors.

— Mon fils, dit-il, allons, ne soyons pas en retard.

Dès lors, je compris la langue qu’on parlait autour de moi, car j’étais devenu une créature de la nuit et le sang que mon père m’avait transmis était chargé de tout son savoir.

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