Le piège se referme.
Le danseur lui prend la taille et le dos comme s'il tient un bel objet, déplaçant de temps en temps sa main sur la rondeur de ses fesses sans qu'elle ne proteste.
Il avance en glissant sa jambe entre les siennes, la soulevant légèrement du sol par moment, mimant le désir et un acte d'amour, la classant ainsi, à la vue de tout le monde, comme une fille légère.
Il murmure à son oreille des mots qui doivent l'amuser et lui plaire, car je la vois rire et sourire. Elle lui répond mais ne le repousse pas.
Certaines personnes de la salle regardent ces déhanchements sensuels et personne n'est avare de commentaires.
Je peux les deviner rien qu'à la noirceur de certains regards.
La musique prend fin au bout d'un temps interminable à mon goût.
Ils partent discuter dans la pièce à côté, sans jamais qu'elle ne se départisse de son sourire, ma candidature commence à se diluer.
Elle revient vers moi, toute contente de sa prestation, mais de quelle prestation parlons-nous ?
Je suis dans une colère noire, ne sachant quoi faire ou quoi dire, ce n'est ni mon amie, ni ma copine, tout juste une connaissance physiquement intelligente, que j'ai envie de mettre au lit rapidement.
J'ai certains mots à la bouche du genre : salope, connasse, putain, allumeuse..
J’en passe des plus polis, et je ne sais toujours pas s'il faut que je reste avec elle, au risque d'être un faire valoir, tandis qu'elle peut, sur un claquement de doigts, mettre à sa disposition la moitié des mâles ici présents.
__ Il danse bien le mec, c'est rare.
Je crois que je suis en train ramasser ma mandibule tombée à terre, parce que je ne peux plus articuler.
__ Il a voulu discuter avec moi après, mais je te raconterais plus tard.
Je suis encore en train de recoller certains morceaux de mâchoire, mais j'arrive à articuler péniblement :
__ Tu te rends compte que tout le monde vous a regardé danser, enfin danser, si l'on veut, et que la plupart t'ont classé dans une certaine catégorie ?
Elle ouvre de grands yeux, et me répond calmement :
__ Je t'ai toujours dit que les filles étaient jalouses, je n'ai rien à faire du jugement des autres.
Je suis sûrement en train de rêver, d'avoir raté un chapitre, ou alors, justement quelque chose me titille en arrière-plan.
Je suis tombé sur l'échappée d'un couvent, restée cloîtrée des années durant, sans lecture, ni radio ni télévision. La fugitive d'un asile dans un superbe corps.
Le cas ultime de l'ingénue, de l'innocence, et je fouille dans ma mémoire pour trouver des mots qui ne commencent ni par débile ou par conne.
__ Tu te rends compte que le mec te caressait les fesses en dansant, et que tu as continué jusqu'à la fin ?
__ Oui, tu as raison, mais c'est ce genre de danse qui veut ça, on ne s'arrête pas comme ça. Justement il me disait à l'oreille que mon cul l'intéressait, ça m'a fait rire.
Heureusement que j'ai la mâchoire bien recollée, sinon, j'étais bon pour recommencer de nouveau.
__ Mais si le mec t'avait vraiment tripoté ou violé en dansant, parce qu'il était limite avec sa jambe baladeuse, tu aurais attendu la fin de la musique par convenance ?
__ Tu exagères toujours.
Je regarde son visage en lui parlant, je ne vois ni malice ni méchanceté, juste de l'incompréhension.
Je crois que c'est à partir de cet instant que j'ai commencé à voir au-delà de son enveloppe attirante, pour tenter de comprendre.
J'aurais dû faire plus attention à une petite voix intérieure qui me murmurait :
__ Danger, attention danger !
Je la vois repartir en direction du danseur, et je me dis :
__ Ce n'est pas possible, elle fait quoi encore ?
Elle revient tout sourire, sa démarche comme si elle danse pour démontrer son joli corps à la cantonade, et me dit toute contente d'elle :
__ Voilà, c'est fait, j'ai mis les points sur les ‘i’.
__ Ça veut dire quoi ? Je ne comprends pas.
__ Je lui ai demandé de s'excuser, nous ne danserons plus jamais ensemble, et ce malgré qu'il se débrouille bien. Cela n'empêche pas que je lui dirais bonjour par politesse si je le croise.
Je n'ai pas osé répondre, mais je cherche dans ma mémoire, le type de fusil capable de faire de gros trous dans le corps d'un mec, ça allait devenir le début d'une longue série de meurtres si je reste avec elle.
C'est à ce moment-là je me souviens très bien, que je n'ai plus trouvé de mots justes dans mon vocabulaire pour la désigner.
À chaque fois qu'une de ses actions ou paroles semblaient hors de ma compréhension, je lui dirais :
__ Tu me sidères.
C'est devenu un jeu entre nous, un début de complicité que j'apprécie, et je ne sais toujours pas pourquoi, au fil de nos futures rencontres et sorties, elle revient toujours vers moi.
Je sais deviner dans les regards, les rapprochement polis, des mots ou des paroles, une certaine attirance, mais là j'ai perdu mes repères.
Qu'elle m'ait avoué, mais bon, tout le monde se doute, le rempart de papier qu'elle brandit en disant qu'elle est mariée, ne trompe personne, où plutôt, tous supposent.
Le petit monde de la nuit qui se croise ici ou là, bruisse de rumeurs diverses et variées, aussi bien sur son compte que sur le mien.
Ça fait partie d'un jeu de façade et de déguisement qui alimente ainsi le peu de conversations intéressantes dans ces lieux.
Le fait que l'on soit ensemble aux mêmes sorties, bien qu'il n'y ait jamais de gestes déplacés, ne remet pas en cause les avis de tous et toutes, ils avaient jugé.
Quand j'arrive seul, je commence à connaître un peu tout le monde, après les civilités d'usage, certains me demandent des nouvelles de ma copine avec un sourire entendu.
Je suis vraiment flatté qu'ils croient ce qu'ils supposent, et je n'infirme ni ne dément qu'une certaine jolie fille est avec moi.
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