Chapitre 5
Cela faisait trois jours qu’elle clopinait dans la plaine et la montagne semblait toujours si loin. Son côté droit était désormais totalement immobilisé et les cristaux enserraient son cou tel un collier mortel. Les visions avaient continué et Karin étaient persuadée qu’il s’agissait de flashbacks. Ils survenaient juste après que la magie faisait progresser la malédiction sur son corps, la clouant à terre sans prévenir. Elle ne comprenait pas pourquoi le cristal grandissait mais elle en ressentait les effets secondaires. Parfois il lui était impossible de respirer et d’autres fois elle se sentait libérée, comme si ce maudit minéral n’agissait qu’à temps partiel. Lors de ses moments de repis, elle pouvait mouvoir son corps avec aisance et un flot d’énergie électrifiait des veines. Galvanisée, elle reprenait alors espoir, du moins jusqu’à la prochaine crise, qui ne tarda pas. Convulsant sur la berge du lac au bord duquel elle faisait une pause, Karin replongea dans sa transe devenue désagréablement familière.
***
La femme rentre au village, laissant l’empreinte de ses pas dans la neige. Tout le monde s’écarte devant elle. Elle est absolument magnifique. Un beau visage entouré d’une cascade de cheveux noirs. Seuls ses yeux dénotent sur cette figure angélique. D’un vert sombre, ils luisent d’une lueur malsaine. Sur son front, un diadème d’argent, orné de cristal bleu, à ses poignets des manchettes du même acabit. Sa robe fluide vole derrière elle sous le vent glacial d’hiver. On devine son corps fin en transparence sous le tissu aussi pâle que sa peau. Son cou est orné d’une parure imposante, recouvrant le haut de sa poitrine ainsi que ses omoplates. Les mêmes pierres bleues sont figées dans le bijou. Elle marche à travers la foule qui la salue avec crainte. Un homme se tient devant elle, brandissant son épée.
« Sorcière ! Nous ne sommes pas tes esclaves ! Meurt ! »
Il s’élance. La femme continue son chemin. La lame la transperce de part en part, sans qu’elle ne s’en soucie. De sa main gauche elle attrape l’homme par la nuque et la brise d’un coup sec. Marchant l’épée toujours figée dans son corps, elle laisse tomber le cadavre sur le sol. De son autre main, elle le fait léviter et l’envoie valdinguer contre le puit, dans un crac sonore répugnant. Elle ne prend pas la peine d’ôter l’arme qui lui traverse les côtes et rejoint sa demeure. Le seul sang souillant la poudreuse coule de la bouche de l’homme qu’elle vient de tuer.
***
Karin sortit des limbes poisseux qui la piégeaient dans cette affreuse vision, un cri puissant déchirant ses cordes vocales. Qui était donc cette sorcière ? Pourquoi n’était-elle pas morte ? Trop de questions sans réponse. La jeune fille saisit son marteau de sa main valide et commença son entraînement quotidien. Jamais elle n’atteindrait la dextérité de sa main directrice mais elle était contente de ses progrès. Elle avait découvert comme contrôler les pouvoirs du cristal, qui semblait de plus en plus lui obéir à mesure qu’il lui dévorait le corps. Il semblait parfois comme animé d’une force intérieure dont elle n’arrivait pas à déterminer la nature. Elle continua son exercice, alternant coups de marteau et lancés de disques magiques jusqu’à ce que ses muscles soient endoloris par l’effort. Elle s’allongea auprès du feu, s’enroulant dans sa peau de bête et s’endormit, l’énergie du cristal pulsant comme un cœur contre sa peau.
Le lendemain, elle fut réveillée aux aurores par une douleur sourde à la mâchoire. Assoiffée, elle maudit les cristaux qui l’empêchaient encore une fois de se déplacer correctement et rampa jusqu’au lac. Dans l’eau, son reflet n’avait plus rien à voir avec son visage d’enfant. Son expression c’était durcie et de larges cernes noirs alourdissaient son regard. Cependant, ce n’était pas le changement le plus flagrant. Un masque de cristal tapissait désormais l’entièreté de sa joue droite jusqu’au front, immobilisant une partie de sa bouche et recouvrant son œil. La forme des cristaux n’était plus aléatoire et Karin pouvait clairement distinguer la gueule d’un dragon se superposant à ses propres traits, encore visibles en transparence. Elle possédait même des crocs. C’en était trop. Elle glissa sur les galets, poussant et tirant sur les muscles de son côté gauche, seule partie encore mobile, pour se hisser dans l’eau. Le froid du lac fut comme une brûlure puis plongea son corps hybride dans un engourdissement salvateur. Elle se laissa aller, le liquide gelé bouchant ses narines. Elle était prête à mourir mais le cristal n’était pas de cet avis. Dans un électrochoc, elle fut propulsée hors du lac, atterrissant lourdement sur le rivage. Prise de convulsions, elle sombra de nouveau dans les flashbacks cauchemardesques.
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La sorcière pose la pierre sur sa table de bois. Elle a devant elle une simple bague en argent. Elle ferme les yeux. Ses lèvres bougent sans qu’aucun son ne s’en échappe. La pierre luit et les cristaux se désolidarisent de leur réceptacle. Ils tournoient dans les airs et fusionnent en une sphère parfaite dans une explosion lumineuse aveuglante. La bague rejoint la danse aérienne et dans un autre éclair, la pierre précieuse se fixe sur le bijou. La femme ouvre les yeux et attrape l’anneau encore en lévitation. Elle se lève et ôte sa robe. A son flanc gauche, une plaie béante sans trace d’hémorragie. Elle enfile la bague et plasmodie encore. Chacune des pierres ornant son corps se mettent à briller. Les lèvres de la blessure se recouvrent de cristaux et les chairs de reforment ne laissant qu’une fine cicatrice bleue sur la peau blême.
***
Les larmes ne coulaient plus. Karin supportait la douleur et le désespoir sans émotion. Cette dernière vision la terrifiait. Cette sorcière était extrêmement puissante et si elle devait la combattre, elle ne donnait pas cher de sa peau. Comment tuer une immortelle ? Et puis de toute façon, la jeune fille ne savait même plus quel était son objectif : la montagne, le dragon, la sorcière ? Alors, elle se remit en marche, repoussant ses craintes comme elle shootait dans les cailloux sur la route. Après une demi-journée de marche, elle aperçu le village, identique à celui de ses rêves. Elle foula la rue principale déserte avec appréhension, en direction du puits à côté duquel trônait une tombe. L’adolescente s’approcha et tomba genoux au sol à la vue de l’épitaphe. Apparemment, l’homme de son rêve était mort il y a un siècle.
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