Chapitre 9

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Karin regarda la pile de cendre se mélanger à l’humidité du sol dans une bouillie grisâtre. Elle ne réalisait pas encore ce qu’il venait de se passer. La sorcière avait disparu mais quand la jeune fille leva sa main gauche, elle remarqua que celle-ci était désormais également prisonnière du cristal maudit. Le désespoir s’abattit sur ses épaules. Elle pensait que tuer la sorcière briserait l’enchantement. Elle constata que l’entièreté de son anatomie était désormais faite de minéral et elle se laissa tombée au sol, abattue et épuisée.

Elle fut réveillée quelque temps plus tard par un grand fracas. Elle se releva en position assise et chercha l’origine du bruit. Derrière elle, le dragon aquatique était en train d’étendre ses ailes-nageoires. Les larges battements produisaient un vacarme dont l’écho se propageait dans la grotte à en faire vibrer les parois. Karin était éblouie par ce spectacle magnifique. Les lumières de la lune, filtrant par l’ouverture circulaire du plafond, laissait deviner en transparence les veinules turquoise des gigantesques membres, comme une œuvre d’art. La bête s’ébroua et lécha ses plaies. Sous les coups de langues, les blessures se couvèrent de cristaux et comme lors de sa fuite du village sauvageon, la peau se reforma dans un ballet minéral. Chaque petit cristal disparaissait aussi vite qu’il avait apparu, laissant derrière lui une écaille d’un bleu bien plus clair et vif que le reste de l’épiderme. Le processus de guérison hypnotisa Karin pendant de longues minutes et elle perdit la notion du temps. Le dragon ne lui prêtait pas attention et s’occupait plutôt de dégourdir ses muscles ankylosés depuis un long siècle. Il fit battre ses nageoires caudales puis leva sa queue pour fouetter l’air, faisant siffler l’aiguillon de cristal. La créature prit soin de faire cliqueter chacune de ses griffes sur le sol de pierre avant d’ouvrir la gueule et de pousser un puissant hurlement. Sur son palais, la cicatrice laissé par le pieu était encore bien visible et Karin en eut le cœur serré. Comment pouvait-on faire souffrir un si magnifique animal ? Le monstre ferma les yeux et resta immobile un instant durant lequel toutes les lignes turquoise parcourant son corps s’illuminèrent à l’unisson. La grotte fut alors éclairée vivement avant d’être de nouveau plongée dans la pénombre. Le joyau sur le front de la créature avait retrouvé tout son éclat d’antan et Karin sourit. Elle continua de sourire quand la bête s’approcha d’elle, faisant trembler le sol à chacun de ses pas. Elle continua de sourire quand le dragon renifla l’air juste au-dessus d’elle. En revanche, elle cessa de sourire quand il ouvrit grand la gueule, prêt à la croquer. Les crocs acérés de la bête n’étaient plus qu’à quelques centimètres d’elle et elle sentait l’humidité de l’haleine odorante du monstre sur son visage. Elle ferma les yeux face à sa mort imminente, laissant ses dernières pensées dire adieu à son village, ses parents et à l’infâme soupe de légumes bouillis. Elle attendit la morsure fatale, le baiser léthal du dragon sur son corps mais rien ne vint. Elle entrouvrit les yeux timidement et constata que seule la langue de la créature entra en contact avec elle dans une léchouille visqueuse. Elle eut envie de rire face à l’incongruité de la situation mais son corps affaibli n’en avait même plus la force. Alors, la magie opéra. Son armure minérale se fêla au niveau du cœur et comme lors de la libération du dragon, de fins cristaux grignotèrent sa carapace dans une chorégraphie bien orchestrée. Elle remarqua que les minéraux tapissèrent le sol sur lequel elle était allongée, désormais libre de son carcan maudit, pour rejoindre en fil indienne les griffes du monstre plantées dans la pierre. Encore une fois, les veines illuminèrent le corps de l’animal à mesure qu’il absorbait les cristaux par magie. Quand le dernier d’entre eux disparu, Karin se sentait légère et osa enfin bouger. Elle put se remettre sur pied et constater avec soulagement qu’elle était enfin la jeune femme qu’elle était il y a quelque temps, dans une autre vie. Elle regarda le dragon dans les yeux et dans un dernier moment d’audace lui caressa le museau.

« Merci, jeune humaine. Tu m’as délivré de l’emprise de cette sorcière maléfique. Laisse moi t’aider en retour. »

La voix rauque de la bête résonna dans le crâne de la jeune fille qui en fut à peine surprise.

« J’aimerais simplement rentrer chez moi… »

Karin se languissait de sa vieille chambre et de la forge. Elle ramassa avec affection son marteau, heureuse de pouvoir de nouveau en sentir le manche sur sa peau. Alors la créature ouvrit la gueule, souleva sa langue et attendit.

« Grimpe dans mon jabot, petite. Je me charge du reste. »

Un peu hésitante Karin se hissa toutefois sous la langue du monstre, glissant avec précaution dans l’espace étroit. L’endroit était tapissé de cristal et elle fut obligée de s’allonger pour y être confortable. Il faisait chaud, l’odeur était peu ragoutante mais au moins, elle était en sécurité. Quand la créature rabattit sa langue, Karin perdit tout contact avec le monde extérieur et elle s’assoupit dans un sommeil sans rêve comme elle n’en avait pas eu depuis longtemps. Puis le dragon se retourna et sans plus attendre plongea dans l’eau sombre du lac souterrain, emportant Karin inconsciente de la situation, paisiblement endormie dans son cocon de cristal.

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