10ème kilomètre, matinée, 00’08’’00
Je suis seul.
Seul à nouveau.
À nouveau face à l’obscurité, je me résigne : ces astres aveuglants, qui s’étaient révélés à moi, s’estompent au futur. Suivant leurs axes sans plus d’égards, filant d'aphélie à périhélie, ils se soustraient à mes regards. Il n’y avait plus que le plus lent d’entre eux pour me gratifier encore d’un feu lointain. Frêle douceur, proximité improbable dont il me prive trop tôt :
Je suis seul.
Cette glaçante réalité n’échappe à personne ; nul ne peut faire abstraction de ma lourdeur, m’accorder une clameur ou m’annoncer parmi les vainqueurs sans provoquer l’hilarité de la multitude rassemblée. Et pourtant, tout comme Neptune, je fonde en mon cœur éteint l’insensé projet de ne pas finir le dernier. La course est longue, suffisamment pour qu’il me soit permis d’espérer : serai-je de ceux qui se concilient les Moires ? De ces mortels qui parviennent, par leur obstination, à faire de Clotho une Pénélope, de Lachésis une Ariane et d’Atropos une Arachné ? Ce jour sera-t-il celui de mon apothéose ? J’ose, le croire, le vivre.
Cependant, je refrène cet élan homérique qui me propulse au-delà de mes limites, m’exhortant à distancer l’implacable Thanatos, ce spectre obsédant qui me talonne : je ne suis pas Atalante.
La fille de Pélion, la plus véloce des flèches d’Artémis, ne m’a pas laissé le temps de voir son ombre transpirer : à la seconde où le départ fut donné, elle était déjà loin devant. Je n’ai pu qu’apercevoir, et un instant seulement, sa toison traînante aux chaudes couleurs de son aïeul, claquant dans les airs comme mille bannières. Elle est partie sans se retourner, m’abandonnant parmi cette meute glapissante qui s’élance déjà à sa poursuite.
Tous m’ont dépassé sans grand effort, mais je n’y ai pas prêté la moindre attention. En moi, une chose a été emportée, noyée par les sombres flots de l’absence. Je n’ai plus qu’un seul désir : qu’elle embrase à nouveau mon foyer.
Alors... alors je cours et je me résigne à le faire seul.
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