2035e kilomètre, zénith, 29’04’’ 00

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Un astre peut-il naître à l’ombre d’un autre ?


Je l’ignore mais je la suis.

Convaincu que dans l’immensité de l’Univers une telle chose est possible :

je la suis.


Remontant le fil invisible de sa traînée :

je la suis.


Et ce faisant, je laisse en chemin les poussières de ce je révolu. J’abandonne à l’exploit présent ce corps appesanti, enchaîné tout à fait aux multiples renoncements jalonnant ma vie.

Je la suis et sans m’en rendre compte, plus rien ne m’entrave.

Je suis moi, moi pour la première fois et pourtant, pourtant je ne cours plus :


Elle a pâli.

Ce n’était qu’un court instant. Je l’ai vue, je l’ai senti et j’en tremble : cette aurore chaleureuse, qui posait il y a peu encore ses rayons ardents sur mon être transi, vacille sous le souffle glacial de Nyx. Alors qu’elle brillait jusqu’à l’or, voilà qu’elle se ternit. Assez proche des lèvres de Niké pour en sentir l’ambroisie, l’éclatante Atalante, effleurant du bout des doigts ce visage familier, désespère de ne pouvoir l’embrasser. Radieuse, cette éternelle fiancée se détourne d’elle, l’éconduit avec froideur et m’offre dorénavant ses charmes flamboyants. Enivré par les parfums élyséens qu’elle exsude, je me sens tituber, à deux foulées de lui céder. Mais rien n’y fait : j’oppose, malgré moi, à l’éclat de ses attraits, une sombre indifférence ; un accueil des plus glacials. Qu’a-t-elle à m’offrir aujourd’hui, si ce n’est l’illusion de la gloire ? Ne serait-il pas indigne de chanter mon aube alors qu’elle murmure son crépuscule ?

Elle rampe, Atalante de Pélion rampe. Creusant sa victoire coudée après coudée, elle se traîne sur la piste et je ne sais que faire. Que peut-on faire lorsque meurt une étoile ? La toucher m’est défendu : il ne lui aura fallu, d’ailleurs, qu’un seul regard, lancé alors que ses genoux rompus frappaient l’asphalte, pour tuer en moi toute idée de compassion. Je suis sommé à l’inaction, je m’y résigne. À nouveau, me voilà condamné à la suivre, à remonter le fil de sa traînée avec l’espoir qu’au bout du compte, peut-être, usant de son infinie clairvoyance, elle m’estime enfin digne de ses dernières lueurs.

Je me garde de toute pitié ; rien de ce que je vois n’en inspire. À cet instant, bien au contraire, je ne veux être qu’elle. Ne sentir que ce qu’elle sent, ne souffrir que ce qu’elle souffre et vaincre tout ce qu’elle vainc : je veux devenir ce qu’elle reste. À cet instant, j’ai honte d’être moi. Et lorsqu’elle franchit enfin la ligne blanche, qu’elle se retourne sur le dos, vibrant d’une vie écourtée, je la vois sourire, certaine de sa suprématie sur tous ceux qui ne ramperont jamais aussi bien.

Je m’approche avec prudence de cette créature, de cet être que je ne reconnais pas. Je crains de voir, sûrement, sur ce visage jusqu’alors rayonnant, danser des ombres folles. Mais il n’en est rien : comme toutes les craintes, celle-ci est infondée. Elle sourit toujours et lorsqu’elle m’aperçoit ses lèvres se fendent plus encore. Elles semblent même vouloir articuler un mot, un murmure qui s’élève jusqu’à moi et qui me transperce de part en part.

Pé…

   Pé…

      Paix ?

         Est-ce bien cela que me transmet la puissante Atalante, irradiant des sombres nitescences du trépas ? Figée à jamais dans sa gloire, l’Immortelle parmi les immortels, s'apothéose-t-elle de ce sursis accordé à d’autres ? Qui y a-t-il en ce Pélion, qui inspire un si grand sacrifice, une si grande assurance à l’heure la plus incertaine de l’être ?

Mars, mon foyer rouge sang, en mérites-tu autant ?

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