Les enfants du Tout
À la naissance du Ciel et de la Terre, il n'y avait rien. À perte de vue le désert blond et le ciel bleu. Le Nuage et la Verdure n'étaient pas encore ; l'Eau, le Soleil, la Nuit et le Jour non plus ; L'Être Vivant n'était même pas envisagé.
Mais bien vite les deux dépérirent. Sans les Arbres ou la Pluie la Terre se mourait ; sans le Soleil, le Nuage ou l'Orage le ciel s'ennuyait.
Ils se retrouvèrent donc à l'Horizon, qu'ils avaient créé pour l'occasion, cet endroit entre Ciel et Terre que seuls ceux-ci peuvent atteindre.
« Je me meurs, dit la Terre, regardant avec désolation les friches la recouvrant.
— Je me meurs aussi – d'ennui, dit le Ciel qui ne pouvait plus voir le bleu en peinture.
— Je voudrais être riche, vivante ! et sentir la vie sur moi ! Je voudrais regorger de vie.
— Je voudrais être varié ! de toutes les couleurs ! Je voudrais être rose, violet, rouge ou jaune...
— Oh, non ! Je déteste le jaune !
— ... ou gris ou noir ou blanc ! Tout sauf bleu !
— Nous devons faire quelque chose, déclara la Terre. Créer, ajouta-t-elle gravement.
— Oui, dit le Ciel solennel. Je voudrais... quelque chose qui change de couleur pour me recouvrir ! Avec... du rouge, du noir, du orange, du violet ! Et une lumière qui changerait elle aussi de couleur !
— Tu en demandes trop, le réprimanda la Terre. Prenons plus sobre. Dans des tons de blanc et de gris, pour ta couverture. On l'appellera...
— Le Nuage.
— Soit. Et pour la lumière, du blanc aussi. Quelque chose de clair. Ou du jaune, si tu veux.
— Du jaune, oui ! Mais un peu de rouge... » La Terre le toisa sévèrement. « Bon ! du orange, ou du rose, alors...
— Je n'arriverai pas à te faire changer d'avis. Du orange et du rose, disons. »
Le Ciel, tout content, fit apparaître le Nuage qui devint d'un blanc éclatant. Puis il créa une infinité de lumières qu'il appela Étoiles.
« Je nommerai celle-ci le Soleil, annonça-t-il.
— À mon tour maintenant ! Je veux... je n'arrive pas à me décider, je veux trop de choses...
— Tu aimes le vert ?
— Oui, pourquoi pas... » Galant, le Ciel, s'inspirant des ses Nuages, créa les Arbres. « Mais je veux qu'il soient plus grands ! » Le Ciel les mit sur des tiges. « Une autre couleur ! » réclama la Terre, et le Ciel les changea en brun. « Mais mes Arbres vont mourir ! » La Terre créa l'Eau, qui reflétait le Ciel, car celui-ci voulait un miroir.
Ils délibérèrent longtemps, plusieurs heures, puis créèrent enfin un Monde acceptable. Ça alla quelques temps, mais ensuite les choses se gâtèrent : le Soleil était fatigué, le Jour aussi ; l'Eau se trouvait morne et voulait plus de couleurs, surtout le bleu qu'elle aimait beaucoup ; les Arbres proliféraient, se marchaient sur les pieds. Alors on créa la Nuit et la Lune, avec d'autres Astres pour faire joli dans l'Espace ; le Ciel fit des concessions et déchira un peu les Nuages pour se laisser paraître à nu ; les Êtres Vivants et le Feu apparurent pour freiner les Arbres. Mais ils y avait toujours plus de problèmes ; on inventait toujours plus de solutions ; alors tout implosa, se distendit et fut brisé en une infinité de morceaux ; tout fut mélangé, recoupé et remixé ; cela créa un être unique, l'arstri.
Ars, l'enfant.
Et tri, le Tout.
Mais les arstrii étaient faits de tellement de choses qu'ils étaient terriblement fragiles ; à chaque heurt, tout ce dont ils étaient composés se détachait du reste ; finalement tout fut recréé avec un peu plus de retenue ; on calma les râleurs, on fut plus raisonnable. Mais plus tard, des milliards d'années ou plus après la création du Tout, on commença à vouloir trop, toujours plus ; alors un jour tout recommencera.
Nous arrivons à la fin de notre récit. Ce récit, il n'est pas très étonnant ; c'est globalement ce que l'on apprend à l'école – même si l'on pense que le Ciel, la Terre et les autres n'ont pas de conscience.
Mais ce qu'on tait souvent, peut-être par peur de l'inconnu, de ce qu'on ne peut pas maîtriser, ce qui ne se dit pas, c'est un être, un seul, celui qui fut composé environ d'un quart de Vent, d'un huitième de Verdure et d'Eau et d'une bonne moitié de ce qu'on appelle le Souffle infime de la collision de plusieurs réalités ou moins rationnelles à nos yeux, nous les humains. Cet être, donc, n'ayant que peu de composants, et fort de sa deuxième moitié, survécut. Son côté surnaturel lui permit également se diviser en plusieurs parts égales qui avaient chacune leur propre conscience et qui se multiplièrent.
Ce n'étaient pas les Hommes comme les plus égocentriques le penseront, non ; c'étaient des êtres qu'on, tantôt, haïssait ou adulait ; des êtres dont on ne connaissait rien, sinon qu'il ne fallait pas se les mettre à dos ; mais toujours on les craignait.
C'étaient les enfants du Tout.
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