Nouvelle courte

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Mon épouse m'avait donné une mission, et je devais m'en acquitter. Par amour plus que par plaisir, puisque je n'aimais guère enfreindre la loi - rien de plus normal pour un avocat. Mais elle avait insisté, et je m'étais donc débrouillé pour rendre visite à son cousin, condamné à mort après un crime dont il était très certainement innocent.

Je le connaissais bien, ce Manfred. Jeune et blond, il avait toujours été très proche de ma femme, tout en dissimulant les démons qui le hantaient. À travers ses yeux d'un bleu aussi pur que celui du ciel je voyais la tristesse sous-jacente, intense et incurable. Sa joie de vivre apparente était atroce à contempler lorsqu'on comprenait la détresse se cachant derrière – étais-je le seul à m'en apercevoir ?

Voilà qu'il était désormais empêtré dans une sombre affaire, accusé d'horribles meurtres et condamné au gibet. Sûrement victime d'un complot, et je ne pouvais rien faire d'autre que lui rendre une dernière visite avant son exécution. Mon statut me permettait d'aller et venir dans la prison, robe noire et assurance m'ouvrant les portes comme si j'en avais les clefs. La veille du jour redouté, j'étais dans sa cellule.

Sale, amaigri et larmoyant, Manfred offrait un bien triste spectacle à mes yeux pourtant habitués à pire. L'affect était de la partie, je ressentais une profonde affection envers ce pauvre garçon à l'incontestable candeur. La pureté de ses yeux était souillée de rouge, à cause des coups reçus et des larmes versées. Je lui servis une timbale de bière, il la but goulûment tout en me lançant un regard empli de gratitude. Puis je sortis de quoi écrire, afin de rédiger son testament. J'étais venu pour cela, en sus de lui offrir un peu d'humanité avant qu'il n'ait à subir son châtiment injustifié.

Il me parla longuement de son enfance, de ses rêves, du bonheur qu'il avait cherché en vain. Je cachai mes larmes de compassion, réfrénai ma folle envie de le libérer sur le champ. Il n'avait rien d'autre à léguer que ses mots, et à ceux-ci n'ajouta qu'une seule demande : une arme, pour qu'il puisse s'ôter la vie à l'abri des regards plutôt que subir la haine irraisonnée de ses concitoyens aveugles.

D'abord hésitant, je finis par céder à sa supplique et lui donnai mon stylet. Avec cet outil il pourrait s'ouvrir les veines sans trop de difficultés, et mourir dans un semblant de paix. Il me remercia encore, et je l'étreignis une dernière fois avant de quitter la cellule, le coeur gros. Grinçant les dents, j'entendais les gardes salir son innocence, et leurs paroles d'ignorants me donnaient la nausée. Une fois rentré, je narrai le tout à ma femme et pleurai avec elle.

Dès l'aube j'étais dehors, pressé de lire le journal. Y figurerait l'incident dont j'étais l'un des acteurs, le suicide du tristement célèbre condamné. J'étais prêt à assumer les attaques éventuelles, me préparais à tout nier en bloc, protégé par ma réputation d'avocat intègre et sans histoires. Pour quelques sous je me procurai les nouvelles du jour, un hoquet stupéfait s'échappa alors de ma bouche bée.

Nul suicide dans le journal, mais un massacre. Quatre gardes poignardés dans la prison, en pleine nuit, et un prisonnier évadé. Manfred. Je n'en croyais pas mes yeux, relus plusieurs fois l'article pour tenter de m'imprégner d'une réalité que je me refusais d'accepter. Manfred ? Comment pouvaient-ils salir une fois de plus sa mémoire ? Il était sans doute mort, et voilà qu'ils l'accusaient d'autres meurtres qu'il n'avait pas pu commettre.

La colère m'étouffait tandis que je me rendais jusqu'à la prison. Me faufilant malgré le remue-ménage, j'aperçus quatre cadavres. Pas seulement poignardés, mais défigurés. Leurs visages n'étaient plus que des masques horribles et sanglants, et leurs corps étaient couverts de blessures. Alors le doute me submergea, un vertige me saisit. Fuyant la scène de crime, je courus jusqu'à chez moi pour informer ma femme de ce que j'avais vu.

Elle n'était pas seule dans ma maison. Un jeune homme était assis face à elle, nu et couvert de sang. Il riait, et elle pleurait. Des yeux bleus se tournèrent vers moi, et la lueur que j'y vis n'était pas de la tristesse mais plutôt de la folie. Manfred. Comment avais-je pu être si aveugle à son sujet ? La détresse que je voyais en lui était en fait celle d'un homme ayant basculé dans la démence, et non celle d'un mélancolique désespéré.

La lame d'un stylet étincela, ma femme s'effondra sur le sol. Ce fut la dernière image que j'emportai avec moi, résigné face à la mort qui m'était destinée. Quel imbécile ...

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