V.

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 Deux jours à peine ! Je sais pas à quel fourrage ils nourrissent leurs chevaux, mais ça cavale bien ! On a emprunté une longue route, du genre qui rappelle la voie ducale mais en moins spacieux, attiré à nous des foules de curieux, dans les centres de Magahé, Taclara et d’autres bourgades aux apparences aussi charmantes que leurs noms le suggèrent.

 J’ai pas le pinceau dans le cœur, si ça vous intéresse, je demanderai à Eneko de vous montrer tout ça. C’est le genre de gamins qui finira loin, vu son talent. Je parle d’expérience.

 Quoi qu'il en soit, après notre cavale, à manger des fruits toujours plus farfelus à même les selles de nos zaldias, à camper sous des étoiles qui dansent différemment de chez nous, voilà que la rumeur de la capitale s’approche. Ça se remarque à l’augmentation du trafic, sur les routes, et, par voie de conséquence, à l’augmentation du nombre de curieux, si bien que ça devient difficile de cheminer tranquillement.

 Et puis, après avoir grimpé une jolie colline fleurie, on aperçoit un gros bâtiment. Un temple, peut-être. En tout cas, il est assez élevé pour crever le tapis de brume. À mesure qu’on descend, on découvre des maisonnettes à toits plats, toutes bardées de panneaux solaires.

 Pas même la rumeur d’une fumée. Ça change de chez nous. Pas de porte de la ville ; pas de remparts, non plus.

 Quel luxe ! Je suis sûr qu’ils n’en ont pas conscience. Bizarrement, je me dis qu’il vaut mieux garder ce genre d’info privée ; sait-on jamais, des fois que l’appétit des puissants se focalise sur le pays de Ba’an.

 Au départ, quand on arrive, les quelques locaux à leurs balcons tirent des têtes tantôt effarées, tantôt en admiration. Petit à petit, le séisme de la nouvelle se répand dans la ville, emplit ses veines, déclenche des torrents d’acclamations et de gentils mots.

 Notre escorte nous amène directement aux portes du bâtiment qui dominait la brume, un peu plus tôt. De l’intérieur, un homme au teint plus clair que celui de ses compatriotes, vêtu luxueusement – toge mordorée, plus courte que celle de ses compatriotes, bottes montantes à l’allure métallique, épaulière faite en ce qui s’apparente à de l’orichalque –.

 Autour de nous, les locaux s’effondrent devant lui, donnent à la terre de quoi rougir face à tant de baisers. J’hésite un instant entre suivre le mouvement – la ville a beau être propre, goûter à son sol me tente moyennement – et rester figé.

 Mon cerveau en décide autrement, et lance une génuflexion maladroite.

 D’un geste amical, l’homme me sauve de la gêne. Trop tard, j’ai déjà vu Aitor et Eneko pouffer à ma droite. Sûr que l’histoire sera amplifiée, travestie, reconditionnée et importée à la cour du duc.

 Pas grave. Le Ba’anien s’approche de moi, pose sa main blanchâtre sur mon épaule, et m’invite d’un mouvement gracieux à le suivre dans le bâtiment.

 Les villageois qui nous ont recueilli, juste derrière nous, lâchent un “sfruteh-la” avant de disparaître dans l’immense foule.

***

 La demeure de l’homme en pourpre est immense. Il ne s’échine même pas à nous parler dans sa langue et se contente de nous montrer des fresques, nous faire apprécier la ribambelle d’objets aux usages inconnus amassés sur des étagères.

 Moi, c’est un petit bonhomme coiffé d’un bol, carabine à la main, qui m’intrigue. Sa figure suinte la colère. Je le regarde sous toutes les coutures, espère trouver des réponses concernant la nature de cette île, mais ne découvre qu’un symbole étrange. Une sorte d’enchevêtrement d’un objet courbé, qui rappelle un croissant, et d’un autre, plus carré, presque posé en son creux.

 Le Ba'anien nous guide à travers des couloirs aux proportions qui rendraient jaloux tous les princes de chez nous. À l’aide d’une espèce de micro-trompette circulaire (m’en voulez pas si c’est pas clair, ça l’était pas pour moi non plus), il ouvre non seulement les portes, mais il peut réorganiser les escaliers et les meubles selon ses besoins.

 Là où nos archivistes s’enquiquinent à enfiler des bottes à étages pour récupérer LE manuscrit poussiéreux d’il y a trois siècles, que LE seul usager depuis ces dits trois siècles souhaite parcourir, l’homme en pourpre n’a qu’à activer deux ou trois boutons sur sa trompette et voilà que le rayon descend à lui. C’est tout juste s’il doit tendre le bras en entier pour s’en saisir.

 Notre hôte essaie de nous montrer un premier ouvrage, voit qu’on lit rien à son charabia, et dégage vite fait l’étagère.

 Ça le rend perplexe. Il semble creuser dans son esprit, quand, soudain, la lumière s’allume à l’étage.

 Il désigne un petit couloir, nous guide à travers un monument proprement antédiluvien, ouvre une porte… en bois (moi non plus, j’y ai pas cru quand je l’ai vue !).

 À l’intérieur, une petite chapelle. Ça, je reconnais. C’est bien ça qui me surprend, d’ailleurs. Je demande aux gars s’ils comprennent à quoi ça rime, mais je reçois des haussements d’épaules pour toutes réponses.

On est invtiés à entrer et à toucher ce qu’on veut. Au départ, je fais comme les autres, j’admire le luxe des candélabres, le marbre de la pièce. Et puis, mon regard commence à monter. Il parcourt d’abord les vitraux aux motifs abstraits et multicolores, avant de se poser sur le visage d’un homme barbu, en noir et blanc.

 L’expression fière, il a les yeux perdus dans le lointain. Une chevelure brune cascade de sous ce qui s’apparente à un béret, tombe sur le haut de sa veste.

“Vous l’avez déjà vu ?

  • Ben… Capitaine, bien sûr que non”, répond Eneko du tac au tac.

 Plus surprenant encore que cette chapelle au mélange de styles qui frôle le mauvais goût (j’ai bien dit “frôle”, je veux pas froisser mes auditeurs du Pays de Ba’an s’il y en a), c’est l’inscription, juste en-dessous.

 Cette fois, contrairement à tous les documents qui m’ont été présentés depuis notre arrivée sur l’île, je reconnais les lettres.

 Même si le contenu n’a aucun sens, je peux néanmoins vous le réciter de tête. Ça disait :

 “En memoria de los héroes de la revolución. Para que nunca mueran en nuestra mente. Les dedicamos este edificio en conmemoración del bicentenario del triunfo de su labor política.”

 Bien sûr, quelques mots ont un air de déjà-vu. Mais à quelle langue est-ce qu’ils appartiennent, je suis infoutu de le dire. Alors que je me creuse les méninges, je remarque en-dessous une inscription plus petite, bien qu’en lettres capitales. Celle-là disait :

“LA HABANA, PRIMERO DE ENERO 2159.”

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