L'épreuve

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Le premier jour, il sentit que le temps imparti, même s'il était relativement court, pouvait lui poser problème. Ecrire un texte, en 30 jours. Rien de compliqué. Surtout si l'on prenait en compte le fait que ce texte n'avait pas de contrainte de longueur ou de nombre de mots. Il n'était pas non plus nécessaire d'y mettre des rhymes ou de compter les pieds. Rien de bien compliqué en somme.

Mais c'était un défi. Et cela changeait tout. Etait-il à la hauteur pour relever ce challenge?

Voyons, 30 jours, cela permettait de répondre à dix voir vingt de ces défis, sinon plus.

Oui mais... Et s'il n'en était pas capable?

Il secoua la tête pour se reprendre, tira ses joues pour les détendre et résolut de boire un verre d'eau pour se donner de l'élan et ainsi se lancer. Une sorte de rituel improvisé. Il lava le verre, le sécha et le rangea. Un détail attira son attention. Son plan de travail n'était pas vraiment propre. Rien de grave.

En même temps, cela ne risquait-il pas de l'obséder et l'empêcher de commencer ce fichu texte? Le plus cocasse dans cette situation, se dit-il, c'est qu'il n'avait plus de produit nettoyant. Il était donc bien obligé d'aller en acheter. Il était persuadé que cela ne relevait pas d'une quelconque procrastination, bien sûr que non. Il avait réellement besoin de ce produit. Comment peut-on se concentrer, si un élément aussi insignifiant soit-il vient parasiter votre créativité? N'est-ce pas?

Quand il rentra à son domicile, il nettoya le plan de travail avant, bien entendu de se mettre au clavier de son ordinateur.

Finalement il s'assit sur son fauteuil disign, fit craquer ses doigts en guise de préparation et... rien.

Le vide absolu.

Il sentit une gêne dans son ventre. Rien de grave mais quand même, ne pas réussir à commencer! Ce petit texte voulait le mettre à l'épreuve! Eh bien il n'allait pas se faire dicter le calendrier. Après tout ce n'était pas le jour. Il faut savoir reculer pour mieux sauter.

D'accord, il était légèrement contrarié. Mais trente jours, cela lui laissait largement le temps. Non?

Le deuxième jour était particulièrement chargé. Il devait aider un ami à déménager. Il partit tôt, sans même jeter un regard à son ordinateur portable. Il ne pensa pas à son texte de la journée. Vers 18h, il ouvrit la porte de chez lui, s'allongea paresseusement sur son canapé, alluma machinalement la télévision dans un soupire et regarda sans conviction son siège de bureau. Il sentit une pointe de stress l'éfleurer. Il s'était promis d'écrire en rentrant...

Mais là, il devait être honnête avec lui-même, il n'était pas en état de produire quoi que ce soit de correct. Après cette journée, la seule chose raisonnable à faire était le repos. Un douce culpabilité s'insinua en lui mais elle était étouffée. Son coeur battait légèrement plus vite, mais comme en sourdine. Puis, son esprit se raccrocha à la série qui défilait devant lui. Et il prit pour acquis de travailler sur l'épreuve le lendemain.

Le troisième jour, il reprit le travail après ce week-end bien chargé. Il se rendit compte en rentrant le soir que, finalement, ses batteries ne s'étaient pas rechargées. La faute à ce fichu déménagement. Il en viendrait presque à en vouloir à son ami. Le stress qui était si progressivement monté en lui pendant ces deux jours ne se présenta même pas ce lundi. Il restait vingt-sept jour, c'était bien assez.

La semaine se passa comme le lundi. La fatigue engendrant la fatigue, il ne réussi pas à écrire. Aucune inquiétude car il avait bien intégré dans ses plans qu'il ne reprendrait réellement le challenge à la fin de la semaine.

Or le week-end ne se passa pas du tout comme prévu. Pour le remercier pour le déménagement, son ami vint le chercher aux aurores pour l'emmener dans un camping sauvage histoire de faire la bringue et de penser à autre chose que le déballage des cartons. Drôle de façon de fêter un déménagement. Le dimanche le ramena chez lui, éreinté. Il regarda son ordinateur et laissa échapper un soupir. Une semaine passé et pas un écrit. Pas un mot ni même une lettre. Pas l'ombre d'une idée non plus. l'appitoyement se rapprocha de son esprit et lui fit une accolade. Etait-il seulement capable de reprendre son PC, de l'ouvrir et d'écrire quoi que ce soit. Bizarrement, cette réflexion aurait du le révolter et l'obliger à composer. Bien sûr qu'il en était capable!

Mais plus d'une semaine sans aucune production... Son ventre se contracta désagréablement et un sentiment de froid rampa, insidieusement sur sa nuque jusqu'à le faire frissonner. La semaine prochaine serait différente, il le fallait!

La deuxième semaine passa avec son lot de fatigue. Et plutôt que d'attendre le week-end avec impatience, il finit par le redouter. Et si un imprévu arrivait encore une fois? Il n'était pas sûr de savoir comment réagir. Jetterait-il l'éponge? Non! Il s'était engagé. Mais qu'est-ce qui lui avait pris! Relever ce put... de défi! Cette épreuve si insignifiante, si ridicule qu'il s'en était gaussé au départ.

Il n'écrivit pas ce week-end là... Ni la semaine suivante.

L'obsession de l'écriture atteint son paroxysme la dernière semaine. Il tremblait involontairement en passant à côté de son bureau. La respiration hachurée, il regardait son antre, une boule dans sa gorge. Comme si un monstre sorti des enfers allait faire son appartion. L'atmosphère y était étouffante. Peut-être était-il cardiaque? N'avait-il pas ressenti une douleur à son bras droit? Ou était-ce le gauche qui présageait d'un infarctus? Lequel serait le mieux pour expliquer pourquoi sa feuille word était toujours aussi blanche?

Son téléphone sonna. Une fois, puis deux. Puis il perdit le compte. Quelle heure était-il? Il lui semblait entendre le tic et le tac en regardant ses horloges numériques. Non-sens!

Il vit une tache sur son t-shirt et se rendit compte qu'il ne se souvenait même pas l'avoir choisi. Quelqu'un l'aurait-il choisi pour lui? Peut-être était-il observé... De nos jours, avec tout ce que l'on voyait dans les médias, cela ne lui paraissait pas plus absurde qu'autre chose. Il partit changer son haut et ne trouva rien dans son tiroir. Quelqu'un l'avait vidé. Il n'était plus en sécurité. Mieux valait fermer les volets avant qu'une caméra ne réussise à identifier où il se trouvait au sein même de son foyer. Un fois dans le noir, il prit un couteau et attendit. Son souffle était irrégulier et la boule dans sa gorge lui faisait l'effet d'un kyste. Non d'une tumeur. Qu'on lui aurait implantée avec une puce lors de sa dernière nuit.

Il se rendit compte qu'il pleurait, ou riait. L'avait-on déconnecté de ses émotions aussi? La nausée l'envahissait tandis que l'angoisse le submergeait. Il ne pouvait plus fuir. Pouvait-il se cacher de façon durable? Un hurlement de frustration enfla dans sa gorge avant de sortir, plus puissant qu'un hurlement félin. Sa vision se brouilla, il entendait les pulsations de son coeur en écho dans sa tête. A chaque battement, l'environnement lui paraissait moins net. Avant de sombrer, il jeta un dernier regard à son ordinateur qui tronait dans son bureau, seulement éclairé par le blanc de l'écran, vide d'idée, vide d'histoire, vide de substance.

8 heures, devant la chambre d'un patient, deux infirmiers échangent sur les nouveaux arrivants.

- Tu te rends compte. Il paraît que c'est une histoire de page blanche qui l'aurait fait disjoncter.

- Non je ne te crois pas! Il a du lui arriver un truc sacrément plus intense pour qu'il décompense comme ça!

- T'as raison! Une page blanche... T'imagines! Ce serait vraiment dingue!

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