Au rêveur
Le dégoût, la rancœur, le mépris, la lésine,
Défendent nos esprits et attachent nos corps,
Et nous mentons aux gens par d’affables remords,
Comme les médias éructent leur vermine.
Nos rêves sont foutus, nos pensées sont lâches ;
Nous sommes des moutons gémissant leurs aveux,
Et nous marchons en rang dans ce monde bourbeux,
Qui nous infantilise et nettoie nos taches.
Au matin de l’éveil c'est Phébus Trismégiste
Qui révèle en plein jour notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.
Ce sont les hommes-dieux, monstres qui nous remuent !
Aux desseins morbides nous voyons leurs appas ;
Le pouvoir despotique accélère d'un pas,
Sans qu’on soit vigilants aux mensonges qui puent.
Ainsi qu'un pantin fou qui s’aliène et qui mange
Le vers sociétal d'une abjecte catin,
Nous sommes abusés d’un plaisir clandestin
Que nous voulons tâter ce fruit comme une orange.
Tassé et agrippé, tel un essaim d'helminthes,
Dans nos esprits se tient un peuple de Démons,
Et, quand nous les voyons, le Monde, en nos poumons,
Va sur les fils veineux, avec de lourdes plaintes.
Si le rêve et l’espoir, éternel incendie,
Sont du genre craintif à croquer leurs dessins
Sur la réalité et la porte des destins,
C’est que notre art n’a pas de vision hardie.
Au milieu des humains, des cloportes, des lices,
Des femmes, des vieillards, des enfants, des serpents,
Des exploiteurs criants, bavants, rampants,
Dans la scène du théâtre ignoble de nos vices,
Il en reste un plus froid, plus sournois, plus immonde !
Il ne fait aucun geste et s’invite sans cris,
Il ferait aisément de l’âme un débris
Et dans un raclement râperait notre monde ;
C'est le Pouvoir ! — regard gâté, involontaire,
Il songe à nous mouler en fumant son houka.
Tu le connais, rêveur, ce loup-dieu délicat,
— Hypocrite rêveur, — toi, mon autre, — mon frère !
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