Chapitre 13 - 1

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Arnaud veut se transformer en souris. Assez petite, assez discrète pour se faire la malle, là, maintenant. Pour ne plus sentir sur lui le regard provocateur de Lucie. À quel moment ça a merdé ? Il n'a rien vu venir. A-t-il trop bu, au point de ne pas percevoir les signes d'une catastrophe imminente ? Un seul coup d’œil sur les autres convives lui suffit pour comprendre qu’il est seul face à la blonde en furie. Il est le seul à oser regarder Lucie dans les yeux, même si l’envie de fuir le tenaille, il soutient malgré tout son regard. Il n’est pas encore possible de se transformer en souris. Il essaie de ne pas s’accrocher au flot de paroles. Il voudrait ne pas entendre ces mots terribles, remplis de rancœur et d’insatisfaction. Même si ne connaît pas le couple, assister à ce spectacle est extrêmement gênant. Même pour lui qui n’a jamais eu peur du ridicule. Ses défis idiots, ses expériences absurdes ont toujours fait rire les autres. Être le clown de service ne lui pose pas de problème. Il sait rire de lui, de ses failles, il connaît ses limites. Lucie, elle, semble les découvrir. Ses lèvres frémissent après avoir lâché un « bandant » ou un « baisable ». Elle n’est pas taillée pour ça. Arnaud a pitié de cette femme qui explose en vol. Elle a tout du cliché bon chic bon genre, de la mère de famille respectable et respectée, de l’épouse modèle. Elle ne semble pas coutumière de ce genre de débordement. Il y a en elle comme un barrage qui vient de s'effondrer...

Enfin quelqu’un parvient à faire taire Lucie. Hélène, d’une voix posée, réussit là où tout le monde a échoué. Arnaud rebondit sur ses propos avec un soulagement non dissimulé. Juliette se joint à eux. La voilà de retour, la Juliette qu’il apprécie tant.

Martin se tait. Il regarde son assiette à peine touchée. Arnaud ressent de la compassion pour son acolyte masculin. Il aimerait lui taper dans le dos pour lui dire que ce n’est pas grave, que les femmes sont comme les volcans, qu’il n’y est pour rien et que tout va s’arranger. Une phrase sans profondeur pour masquer le vide. Un mensonge. Arnaud ignore tout du couple qu'il forme avec Lucie, de leur passé, de leur présent. Ce dîner n’est qu’une fenêtre ouverte sur un instant de leur relation. Il ne résume pas des années de vie commune. Ou au contraire, ces quelques mots sont-ils le surgissement soudain de la vérité de leur histoire ? Peut importe. Il est clair qu'Arnaud n’irait pas parier sur leur avenir. Ils semblent si différents l’un de l’autre. Mais qui est-il pour les juger, lui, le gars incapable d’avoir une histoire plus longue qu’une coupe du monde de football ?

Hélène se lève. Elle doit passer un coup de fil. Un prétexte. Elle doit être plus ébranlée par la situation qu’elle ne le laisse paraître. Martin la suit du regard, avec un air de chien battu.

Pauvre garsQuelques mots d’amour et le voilà fustigé en place publique. Je n’aurais pas aimé être à sa place. Comment aurais-je réagi ? Serais-je resté assis tranquillement, en laissant la lave se déverser sur la table ? Aurais-je quitté la pièce et claqué la porte ? Lui aurais-je répondu à mon tour avec autant de force ? Sûrement. mais je préfère ne pas savoir, en fait. Il y a des choses qu’il est préférable d’ignorer.

Arnaud se demande comment on peut surmonter « ça » — les esclandres, les non-dits, la routine, le temps qui passe sans faire de pause. Finalement, les années ne sont pas gage d’un amour sans faille. Un couple peut vivre en apnée. Il peut mourir bêtement de suffocation, d’auto-suffisance, étouffé par sa propre connerie. Lucie et Martin ne sont pas les amoureux parfaits qu'il s'est plu à voir d'abord en eux.

Pourtant, le beau jeune homme veut s’accrocher à cette croyance, même idiote, que l’on peut s’aimer follement et à jamais. Il souhaite un amour qui ne s’essouffle pas, qui ne vacille pas dans la tempête. À chaque couple rencontré, il tente de percer le mystère, il questionne, investigue, creuse pour découvrir le secret de l'amour, mais ne rencontre finalement que ses failles invisibles, et ses fondations se révèlent aussi fragiles que du verre. Mais il est à chaque fois déçu, ébranlé dans ses convictions avant qu'un autre couple ne lui donne un nouvel espoir. Son rêve renaît alors à l’infini.

L’amour reste un mystère qu’il ne comprend pas. Arnaud en a visité tous ses états, les a soumis à sa curiosité, sans jamais parvenir à les saisir. C'est un sentiment si fort que son empreinte te leurre quelques temps après sa fuite.Un parfum d’été qui s’estompe dans le creux des vagues.

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