Chapitre 15 - 2

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Quand Hélène coupa le contact, son sourire disparut. Elle resta dans l’habitacle rassurant de sa voiture quelques instants de plus. J’y suis. La portière s’ouvrit, de longues jambes bronzées en sortirent, Hélène sortit avec grâce de l’automobile. Elle réajusta sa robe avant d’observer la rue dans les moindres détails. Des employés de mairie nettoyaient les trottoirs. Un marché avait dû avoir lieu, des restes de légumes jonchaient le bitume, et des montagnes de vieux cartons et de cagettes s’entassaient, ça et là. Les véhicules municipaux faisaient un boucan d'enfer : bruit d'aspiration et de jet d'eau, frottement des grosses brosses latérales contre le trottoir. Au-delà de l’espace où s’était visiblement tenu le marché, deux longues enfilades de voitures bordaient la route. Plus une seule place de disponible. La rue était agrémentée de quelques arbres. Un pont ferroviaire recouverts de tags plus ou moins réussis coupait la perspective. Hélène ne s’attendait à rien de précis. Elle était surprise d’être émue. Je suis dans le paysage qu’il foule du regard chaque jour. À moitié intruse, à moitié invitée, elle se sentait autant familière qu'étrangère.

Face à la porte d’entrée, lourde et toute de bois travaillé, elle vérifia une dernière fois que le numéro était correct. Le vingt... C’est bien ça. Elle trouva rapidement son nom sur l'interphone usé. C’est ici qu’il vit. Hélène avait du mal à contenir son émotion. Elle appuya sur le bouton couleur acier, un long bruit strident retentit.

Une voix nasillarde sortit du micro :

— Oui ?

— C’est moi… Hélène.

Un silence suivit, Hélène s’était peut-être trompée.

— Martin ?

— Je t’ouvre.

Une autre sonnerie retentit, Hélène poussa la porte et s’engouffra dans l’immeuble. Quel étage déjà ? Le troisième ? Je ne sais plus. Hélène décida de monter en vérifiant les noms à chaque palier. Devant chaque porte, son ventre se nouait un peu plus. Elle avait l’impression de gratter une carte de jeu de hasard, à tout instant son cœur flancherait en voyant les trois télés.

***

Martin avait fini dans les temps. Plus tôt que prévu, même. Tout était en place. Il avait tout anticipé, — les encas, une liste de films à regarder s'il se mettait à pleuvoir, le programme du cinéma, les meilleurs restos dans son budget, des fleurs, et même des bouquins sur des destinations exotiques. Martin avait tout imaginé, anticipé l’imprévu dont il rêvait sans se l’avouer vraiment : des draps de rechange, un jogging et un tee-shirt pour Hélène, une brosse à dents.

Il attendait à la fenêtre du troisième étage, regardait les employés municipaux effacer les dernières traces du marché. Il scrutait avec attention chaque passant, chaque voiture qui traversait la rue, à l’affût d’une image furtive de son invitée.

Quand une petite Panda blanche s’y reprit à trois fois pour se garer, Martin espéra que son intuition était bonne. Seule Hélène, peu habituée à conduire, surtout en ville, pouvait s’en voir à ce point. Une fois stationnée, la voiture resta close de longs instants. Martin attendit. Il ne faisait plus attention à l’agitation de la rue. C’est elle.

Une grande femme brune descendit de la voiture. Martin ne la quitta pas des yeux. Même de loin, il reconnut sa démarche. Elle marchait lentement. Avant d’arriver à sa porte, elle marqua deux temps d’arrêt. À quoi pense-t-elle ? Elle arrivait à l’interphone, d’ici quelques minutes elle serait face à lui.

Juste en voyant le sommet de la chevelure brune d’Hélène, Martin avait l’estomac qui se resserrait. Celle qu’il avait tant rêvée, Hélène, elle était là, en chair et en os, dans son quartier, juste en bas de chez lui. Il aurait pu rester à la regarder de loin, d’en haut, secrètement, afin de se familiariser avec les émotions folles qui le submergeaient, mais la sonnerie l’obligea à quitter son poste d’observation.

Après des milliers de kilomètres, des frontières, des océans, il n’y avait à présent plus que trois étages qui les séparaient. Martin patientait derrière sa porte, à l’affût du moindre bruit de pas. Dans ce vieil immeuble, il était impossible de monter l’escalier sans avertir tous les voisins de sa présence. Pour une fois, Martin était ravi d’entendre les marches craquer, car elles craquaient sous les pieds d’Hélène. Il suivait, le cœur battant, la progression de son amie.

Premier étage, elle marqua un temps d’arrêt. Les pas reprirent jusqu’au deuxième. À nouveau, elle s’arrêta. Martin en oublia de respirer : et si ce n’était pas elle finalement ? S’il avait mal vu ? Les marches craquèrent, il respira. Troisième étage. Le sien. Martin sentit sa présence à travers la porte d’entrée. Il posa sa main sur la poignée. Pourquoi ne frappe-t-elle pas ?

***

Au premier étage, Hélène vérifia les noms inscrits sur chacune des deux portes. Aucune n'était celle de Martin. Elle poursuivit sa montée. Bien que sportive et habituée aux randonnées, elle perdit son souffle trop facilement. Les marches étaient plus difficiles à gravir que n’importe quelle montagne. Chou blanc au deuxième. Martin n’était toujours pas là. Elle continua son ascension, le pas plus hésitant.

Au troisième, elle s’approcha de la première porte à gauche, ce n’était pas celle de Martin. Puis elle se dirigea vers l’autre. Son cœur fit un saut dans sa poitrine. C’est là. Je peux faire marche arrière. Non. Si. Tu es bête ou quoi, Hélène ? Elle regarda son portable. Un message d’Irène attendait d’être lu : « Fonce ma belle ». Un rire s’échappa. Elle ne pouvait plus fuir. Il était là, à l’attendre. Elle leva sa main, la ferma, et elle allait frapper quand la porte s’ouvrit avant qu’elle ait pu l'effleurer. Un homme, plus grand qu’elle, la regarda comme une apparition. Elle sourit.

— Bonjour, Martin.

L’homme mit quelques secondes à lui répondre.

— Bonjour…Hélène. Entre, dit-il en s’effaçant de l’embrasure.

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