Chapitre 17 - 2
L’adolescence ne changea rien au fait qu’elle restait la fille à son papa. Au contraire. Plus elle grandissait plus elle avait peur des garçons. Sa méfiance s’était décuplée. L’extérieur lui apparaissait comme un traquenard permanent. Son père renforcait ses craintes, nourrissait ses peurs en lui rappelant dès qu’il le pouvait le dernier fait divers concernant la mort horrible d’une jeune femme seule. Lucie s’était mise à surveiller ses arrières, à éviter les ruelles sans éclairage, à se déplacer accompagnée, même sur de courtes distances. Elle ne voyait le monde qu’à travers ses livres, la petite lucarne et l'anxiété de son parternel.
Inexpérimentée, elle n’avait pas conscience de ses jolis traits fins. Sa blondeur, son regard timide, ses joues qui trahissaient ses émotions, attiraient le sexe opposé. À l’heure où les jeunes femmes s’amusaient, expérimentaient les jeux de l’amour, Lucie se préoccupait déjà de trouver le garçon parfait qui saurait plaire à son père. Elle n’avait pas le droit à l’erreur. Si elle se trompait, cela remettrait en question son éducation. Elle énumèrait tous les critères obligatoires pour le séduire – de belles études, une situation convenable, non-fumeur, qui parlait bien, se tenait bien, présentait bien. Où chercher cette perle rare quand tous les jeunes hommes de son âge ne rêvaient que de brûler la vie par les deux bouts ? Lucie ne connaissait pas un seul garçon dans son entourage qui répondît à ces critères de sélection. Le voisin ? Fumeur de cannabis. Son père serait prêt à l’embrocher malgré ses études de commerce.
Lucie ne cherchait pas vraiment, mais elle considèrait chaque homme qu’elle croisait comme un potentiel mari. À la bibliothèque de la fac, elle voyait régulièrement cet étudiant, toujours à la même table. Toujours seul, comme elle. Elle commenca à l’observer de loin. Il lui fit grand effet avec ce regard si sérieux. Il ne souriait jamais et ne parlait à personne. Au fur et à mesure, la jolie Lucie s’approcha de ce garçon si différent des autres, trop bruyants, trop arrogants à ses yeux. Elle s’assit à sa table. Les jours suivants aussi. Les semaines passèrent, elle gagna quelques places, jusqu’à finir face à lui. Ce fut à ce moment-là qu’elle put vraiment le détailler. Rien ne ressortait de son visage. Il avait les traits fins, une jolie tignasse qui invitait à y passer la main. Lucie lui adressa un sourire. Il se retourna avant de comprendre qu’il était pour lui.
— Tu as l’air passionné par ton bouquin, lui dit-elle.
— Mouais…
— Tu étudies quoi ? L’ingénierie ? J’en serais incapable ! s’exclama-t-elle.
— Si tu le dis.
— Mon père me dit souvent de laisser les choses sérieuses aux hommes, que les femmes sont la mémoire de chaque homme, ainsi chacun sait le rang qu’il a à tenir.
— Il dit ça, ton père ? s’étonna le jeune homme en relevant pour la première fois la tête.
— Oui, alors quoi de mieux que devenir professeur d’histoire ?
— Oui, c’est sûr, pour le coup, tu as de quoi archiver !
Lucie rit. Elle ne savait pas si c’était vraiment drôle, ni si d’autres auraient ri à sa place. Le jeune homme fut surpris d’entendre ce son cristallin rompre le silence convenu. Il se contenta de sourire. Ce rendez-vous à la bibliothèque se renouvella, ils se découvrirent l’un l’autre. Jusqu’au jour où Lucie lui proposa de venir manger chez elle, avec ses parents. Les doigts rongés jusqu’au sang, elle attendait la réponse de Martin. Oui. C’était un oui. Lucie sourit de toutes ses jolies dents blanches. Elle était lumineuse. Trois jours plus tard, Martin rencontrait le père de son amie. Le repas se déroula sans accroc. Le jeune homme était poli, respectueux, réservé, cultivé, autant de belles qualités qui plurent au paternel. Normalement. Martin ne semblait pas saisir l’enjeu du dîner, ni qu’il passait un examen d’entrée. En fin de soirée, profitant d’être seule avec son père dans le salon, tandis que Martin proposait son aide à sa mère, Lucie posa la question qui lui brûlait les lèvres.
— Alors, papa, comment tu le trouves ?
Le père retint son souffle, fronca les sourcils, avant de délivrer son verdict.
— Il m’a l’air d’être un bon garçon, intelligent, fiable, bien éduqué, pas comme tous ces jeunes cons qui font n’importe quoi…. Tu l’aimes bien, Lucie ?
Au bord des larmes, la jolie jeune fille, prononca les seuls mots qu’elle savait dire :
— Oui, papa.
Ce soir-là, à l’arrêt du bus 52, Lucie embrassa Martin. Elle lui donna son premier baiser avec ses rêves d’une vie paisible et sans accroc.
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