Chapitre 3

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Un vent d’altitude se fit sentir sur les vestiges d’une forêt. L’homme se pelotonna sous son long manteau. Il tirait toujours une gueule de six pieds de longs, en façade. Secrètement, il bouillonnait sous sa capuche. L’assaut de la brise ne lui enlevait pas son enthousiasme.

Le Sud-Est comme seul option. Cette montagne au fond du paysage, il ne pouvait l’oublier. Il évitait toutefois de trop la regardé. Mais du visuel qu’il avait pu établir, cette rondeur dans le panorama il l’estimait à 60 et 80 kilomètres.

Pourtant la marche du jour semblait s’en éloigner, Nord-Est. Le peu qu’on aurait pu gagner sur l’axe Est, on le perdait en partant au Nord. Et la direction prise par l’éclaireuse suggérait qu’ils allaient descendre ce mont dégarni effectuant un virage plein Nord.

Sa carte mentale prévue cette disposition. Le tracer de sa route devint clair. Il faudra repasser par ce mont, mais en le longeant par sa courbure Est. Eviter de le gravir en entier, passer par les zones qui seraient plus praticables. Les champs de troncs et de souches retardaient. Mais passer par les vallées augmentaient le danger. Les questions s’enchainaient.

Mais la route à demi-pente dans la zone éclaircie par la tempête devenait un compromis intéressant. Il faudrait s’en doute passer par la vallée et peut-être traverser une rivière ou un fleuve. L’option d’une baignade en eau hostile était sans doute inévitable. Il faudra éviter le plus longtemps possible les zones fluviales. Mais ce qu’il gardait en tête s’était qu’il serait poursuivi, à chaque instant de sa fuite. Cette traque modifierait sans doute ses plans à tout moment.

L’un des points constants de perturbation du plan serait le vent. La sorcière s’arrêtait souvent un micro-instant pour humer l’air. Si son odorat était développé, il fallait prévoir une situation qui lui serait défavorable. Naviguer vent dans le dos, et changer de cap comme le vent.

Mais il y avait tant d’autres points à penser. Il avait cependant toute la journée devant lui pour y réfléchir.

Le soir arriva. Dans un rituel immuable la sorcière posa ses affaires pour aller chercher de la pitance. Très vite, le campement pour la nuit s’avéra trop bien fourni en eau et l’escapade de la sorcière de courte durée. Un vent d’Est soufflait, un point négatif. Car le chemin prévu prenait à l’Est et fatalement apporterait à un moment ou un autre une information à la sorcière. La poussant sur les pas du fuyard.

Elle n’avait pas allumé de feu. Elle prévoyait un repas frugal et avait surement du repéré u.ne source de nourriture dans les environs. Le petit lac clair à cents pas du lieu de repos était le principal point noir. Elle ne partira pas loin. Pire encore elle se lavera surement et restera à proximité.

Tout indiquait une escapade qui tournerait court. L’homme calcula ces options. Mais l’évidence revenait toujours à lui, le terrain lui était défavorable. D’une oreille elle pouvait l’entendre et d’une narine le distinguer. Malgré son envie profonde et son enthousiasme, il devait se résigner pour ce soir. Il n’aurait jamais le temps de plier bagages et de mettre suffisamment de distance entre elle et lui. Refreiner ses émotions, jouer encore un peu le jeu du captif.

Il ne pouvait attendre, mais se lancer à corps perdu dans une cause perdue entrainerait sa chute. Il avait beau ne pas craindre cette fin, il tenterait de l’éviter au mieux. Ne pas être irréfléchi et gâché tout le premier soir.

Mais il manquait de temps.

Etre avec quelqu’un qui savait, éveillait les vieux démons. Ce qui sommeillait dans sa tête réagissait à cela. Combien de temps encore ? Combien de songes avant que son esprit fusse se briser ? La conscience comme seul garde-barrière. Il ne pouvait le nier, cette barrière était fine. Il l’avait protégé par tout un tas d’artifices. Le secret absolu sur son passé avait été le seul à avoir un effet positif dans cette lutte. Quand ces cauchemars assaillaient, leur territoire restait limité aux absences de la nuit. Quand la raison reprenait le contrôle, elle effaçait ce grand tableau noir rempli d’horreurs. Le songe meurt au soleil et le secret garde alors la porte fermée de cet enfer intérieur.

Un cycle qu’il tentait de tenir immuable. Mais une simple entorse à la règle et c’est toute sa mémoire qui se déverserait en un flot d’images insoutenables. Alors il n’y aurait plus de cycles, juste un abysse fixe et profond. Une chute sans retour, à en perdre la raison.

La petite collation du soir fut bien triste. Sans même un regard. Il évitait l'échange, évitant ainsi toute allusion ou moquerie. Le mutisme comme esquive. Elle ne faisait pas non plus d'efforts particuliers. Les discussions faites de banalités ne l'enchantait guère, elle était au final assez peu bavarde. Il n'y avait ni feu, ni nuit étoilée. Juste le bruit de la forêt, si perturbant dans la pénombre.

L'angoisse devint plus grande. La sueur coula dans son dos. Le moment de dormir arrivait et il le redoutait de plus en plus. La spirale négative était lancée. L'insomnie comme seule amie, mais la fatigue pesait. Et il sombrait malgré tout. Le manque de repos infligeait plus de cauchemars que de rêves. Et fatalement cela alimentait l'angoisse, nourrissant ainsi l'insomnie.

Mais ce soir encore il flancha et l'insidieux passé revint à la surface.

Les petites pierres d'une dalle solide. Une odeur de sueur, de souffre et de sang caillé, un parfum acide irritant et entêtant. Le sol de roches sombres dur frais et poussiéreux. La joue collée dans une moiteur immonde contre ce parterre crasseux. Il leva la tête péniblement dans un vertige et un écœurement propre aux soûlards. Il avait vomi jusqu'à sa bile et son corps subissait le violent contrecoup d'une nuit passée à vomir.

Mais dans ce cloaque, nul bouge à vinasse, nulle fête, nuls alcools bon marché. Juste les litres d'eau qui sortaient d'où ils pouvaient. L'aigreur et le mal être profond. La torture et le supplice de l'eau, rempli comme un vulgaire outre à boissons. Forcé à boire jusqu'à la lie. Une eau croupie, sale, a l'arrière-goût de vieux tonneau. Il l'avait germé et pissé suffisamment pour l'avoir en horreur. Ce goût restait incrusté dans le palais. Il avait l'impression de recracher continuellement la même flotte et d'être toujours plein de ce liquide. Son système interne avait beau se purger de ce surplus, il en gardait la trace. Maladif et tremblant, il tenta de décoller son buste du sol. Ces bras répondaient avec difficulté. Le froid, l'humidité, dans cette chaleur ? Non, c'était la fatigue ou plutôt l'épuisement. Spasmes, rigidité et grelotement dans une puanteur d'urine, de rejets stomacaux et de transpiration. Les coudes eurent du mal à se maintenir en position. À demi relevé, les cheveux collés, le teint malingre. La nausée aigre rongeant comme une boule acide le creux du centre digestif. La panse fulminait, brassée par des quantités improbables de bouillon poisseux.

Puisant dans son fond ventral, un bruit sourd résonna puissamment, le corps cherchant désespérément quelque ressource nutritive. Le côté gauche du visage englué telle une limace humaine. Il regarda autour de lui. L'œil vitreux se posa sur les barreaux de son cachot. Il perçut le mouvement dans la geôle d'en face, un homme en lambeaux y gémissait. On venait de lui jeter un seau d'eau sur ses plaies béantes. On lui avait retiré des carreaux de peau sur tout le corps, si bien qu'il ressemblait à un damier. Un gardé éclaboussait du contenu de son seau chaque cage en passant, différenciant les vivants des morts. Et bientôt il finirait son tour en arrosant cette cellule. Il n'eut pas le temps de se couvrir et prit la giclée de bouillasse en plein dans la tronche. Le liquide glacé le saisit. Il rampa jusqu'à la grille et s'y agrippa pour se relever. Les doigts entourèrent fébrilement les barres de métal. Quand un gobelet de bronze vint les heurter, écrasant sciemment les phalanges du prisonnier. Après un faible cri l'homme s'effondra dans sa cage. Le visage d'un énorme garde balafré apparu de l'autre côté.

Il souffla en direction de l'habitant de la geôle. Puis glissa le godet usé entre les barreaux en renversant parterre son contenu. Une purée de céréales gonflées d'eau dégoulina sur la dalle. Le repas était servi. Malgré un ventre douloureux et un manque d'envie, le faible personnage se jeta sur sa pitance comme un animal enragé. Il engloutit la paté jusqu'à lécher les pierres crasseuses.

Le triste spectacle amusait visiblement une silhouette derrière le gros borgne serveur de bouillie. Ce dernier tapa avec le récipient contre la grille. Un bruit métallique en sorti. Pas de réponse dans le cachot. Le détenu se concentrant sur la nourriture pour éviter toute discussion. Un nouveau son de cuivre sur la rouillé. Le prisonnier se refusa à tout échange. Une série de percussions agressives sur les barreaux sonna comme un ultimatum. Ce dernier manque d'attention fit entrer le puissant bouffi dans la cellule. Il assena une dérouillé au mangeur insolent qui ne put répliquer à la violence subit. Mais il lâcha un sombre travers au corpulent. Ce qui lui valut une nouvelle série de torgnoles. La scénette fut contemplé par l'ombre hilare resté en retrait. Une canne frappa le sol signalant la fin de la correction. Sur cet ordre, l'autoritaire vigile cessa son tabassage en règle et s'écarta pour laisser son supérieur placer son discours.

Alors entra dans les champs de vision, la silhouette restée jusque-là en arrière. Une large toge rouge glissa sur la marche. Des souliers de cuir noirs enjambèrent le léger défaut de niveau entre couloir et cachot. D'un geste ample et noble l'individu s'avança avec sa canne. La toge rouge surplombée d'une cape écarlate aux bords brodés de fils dorés s'arrêta à deux pas du condamné. L'homme se baissa à demi, s'accroupissant légèrement, pour capter le regard du prisonnier. Une main ferme posée sur son précieux bâton. Il tendit la tête et le visage apparu grâce aux lueurs des braseros. Cheveux noirs aux tempes grisonnantes, planqués et gominé en arrière. Un sourire blanc au milieu d'un bouc et d'une moustache soignés. Les mirettes d'ébène et pommettes saillantes narquoises soutenaient la forme triangulaire du faciès, de quadragénaire, de la personne venant d'entrée. En un récital de gestes gracieux de la main droite le fier individu commença avec verve son réquisitoire.

"Vous êtes bien peu aimable et reconnaissant. Votre belle souffrance se mue en une colère que je n'apprécie guère. Les fortes têtes ont l'habitude d'encaisser et souvent je prends le temps de les briser, personnellement. Mais vous. Le pleurnichard. Vous avez supplié Vous m'auriez raconté tout ce que je voulais savoir. Vous n'étiez ni fier, ni valeureux, et encore moins résolu. Petit être en porcelaine dans un monde d'acier. Petite tête à couper parmi la foule a exécutée. Même un chétif délinquant aurait mis plus d'honneur et de caractère à être moins insignifiant et insipide. La médiocrité à l'état brute. Pourtant, j'ai décelé et fait naître quelque chose en vous. J'ai pris soin de vous travailler, de vous battre à même la forge. Dans le sang nous avons progressé. Regardez votre haine ! Regardez votre imperméabilité face à La Question ! Regardez encore cette attitude téméraire ! Rien de tout cela n'existait chez vous.

Je vous vois froncez les sourcils et vous courroucez, mais cela ne s'exprimait pas chez vous. Toutes ces choses dormantes que j'ai réveillées et vous m'en voulez ? Pourtant chaque jour je vous accorde ce rare privilège, que d'être affiné à coup, à cri et à sang. Je vous remodèle, je vous endurcis, et là où d'autres craques, vous vous pliez sans rompre. Et ça, vous me le devez. Mais je vous ne tiendrais pas rigueur, les bons enseignants ne demandent jamais de remerciements. C'est le fardeau des justes et des rigoureux."

Il se tourna vers le puissant boursoufflé et précisa.

"Amenez le à l’Épreuve, je vous prie. A plusieurs, s'il est récalcitrant. Tentez de ne pas trop le battre, car c'est mon devoir de le soumettre à cela. Chacun son talent que voulez-vous."

Il sourit derechef au condamné qui ne broncha guère à l'issu du monologue.

La canne tapa sur le sol et le personnage écarlate sorti de la cellule, dans une allure propre aux biens élevés. Quelques secondes plus tard, trois musculeux gardes entrèrent pour se saisir du malheureux. Alors que le balafré s'armait de son gourdin. Les trois exécutants le bloquèrent aux épaules et au torse. Le prisonnier n'eut pas le temps de se débattre, lorsque la matraque lui fracassa le crâne.

D'un soubresaut il s'éveilla. En sueur. Avec cette impression d'eau croupie dans la bouche. Le ventre noué. Mal et écœuré. Il s’essuya le front avec le dos de sa main droite. Il respira lentement et profondément. Il tenta d'imaginer une clairière dans laquelle broutent quelques paisibles ruminants. Mais la mémoire est parfois une furieuse prédatrice.

Au matin, la sorcière tenta un geste. Elle proposa une galette sèche avec des morceaux de fruits. Le triste rêveur n'avait pas la tête au conflit, perturbé par la nuit et par les pensées d'une liberté prochaine. Il accepta l'attention avec un hochement de tête et un sourire distant. Son mécontentement permanent devrait être aseptisé. Il n'eut pas de remords à taire ses sentiments, cela éveillait trop de doutes. Et le côté avenant de la jeune femme était trop spontané pour être honnête. Ce qui prouvait en partie que sa réflexion était juste, sa colère était de trop dans ce jeu de dupe.

Il tenta un regard poli vers la jeune éclaireuse. Ces profonds yeux dorés tourbillonnaient dans une sérénité presque bienveillante. Ce signe lattant de pouvoir restait la trace du danger qu'elle représentait. Il se devait d'être irréprochable dans ses petites touches de comédie. Jouer juste.

Ils plièrent leur barda et s'enfoncèrent dans les bois à nouveau présent. La journée passa. Ils s'étaient éloignés comme prévu en direction du Nord. Il avait repéré des éléments d'orientation pour faire le trajet inverse. Ses qualités mémorielles fonctionnaient à pleine capacité. Un talent bien utile quand il faudrait fuir dans la nuit. Le soir venu, les espoirs étaient permis. Un vent léger de Nord Est. Un campement n'offrant pas de ressources à proximité immédiate. Seul ombre au tableau, le ciel couvert. Une nuit totale vint plonger le campement dans le noir. «Et merde ! pensa t- il. On y voit rien à plus d'un mètre.» Cette composante entachait gravement le plan. Il fallait une visibilité minimum, dont il ne disposait pas. Peut-être qu'en une heure ou deux le temps se dégagerait ?

La sorcière partit à la recherche de nourriture et laissa le soin à con compagnon de voyage d'entretenir le feu. Dès son départ, l'homme entama un décompte mental. De seconde en seconde et de minute en minute la frustration se faisait plus grande. Le ciel ne se découvrait pas. Il dû bientôt se résoudre à juste attendre le retour de la brune aux regards luisant d'or.

Après un repas appréciable, l’homme tergiversa avant d’aller se coucher. Il ne put éviter les cauchemars et les visions de personnes mise à mort de manière atroce. Il eut beau se réveiller à plusieurs reprises, rien ne calma les songes qui se révélaient aussi macabres les uns que les autres.

Seuls les vivants connaissaient toute l'horreur de la mort. L'enfer fut alors être vivant parmi les morts.

Une orbite décharnée, trou béant sur une âme absente. Il hurla de douleur et s'enferma sur lui-même en éclatant en sanglots. Il voulait oublier.

Le soleil apparu à l'orée du bois. Transperçant le feuillage. Frappant les gouttelettes de rosée, faisant naître un millier d'arc en ciel dans l'éclat de ces bulles d'eaux. La sphère céleste s'illumina d'or, de rose et de violet. Et dans la fraîcheur humide, l'astre flamboyant se leva de toute sa chaleur réconfortante. Comme une caresse sur une joue, d'une mère inquiète à son enfant apeuré par la nuit.

Seuls ceux qui étaient hantés savaient combien le matin fut la seule lueur d'espoir dans l'horizon sinistre sombre et sans lune.

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