Le Plan
La colère a rempli son carquois et m'inflige jour après jour d'épouvantables douleurs. Elle me ronge jusqu'à faire bouillir mon sang et cristalliser ma rage. Un exécrable torrent de haine circule dans mon corps. Je dois évacuer cette indésirable sève.
Tout cela va mal finir.
Depuis la séparation la cible était parfaite. Fragile, atteinte, blessée et apeurée. C'est à elle que j'allais faire mon macabre don. C'est à ce moment-là que j'ai basculé. Mais déverser ma colère comme on couvre une route d'un épais goudron n'aurait pas été efficace. Il se serait braqué face à mes menaces. Ma rage l'aurait convaincu que finalement il n'est pas si coupable, que ce n'était qu'un tragique accident comme il en arrive bien souvent. Et puis, devant mes incessantes aigreurs, mes foudres non maîtrisées, il aurait fini par croire que la vie continue et que parfois même, un peu brutalement, elle fait justice et discipline les gens comme moi. Je ne voulais pas que ça se termine comme ça. Je décidai donc d'un autre scénario. Il m'a fallu seulement quelques minutes, là assis pendant qu'une infirmière m'interrogeait.
J'ai tout de suite éprouvé du dégoût pour cet homme. Il venait de nous enlever la vie à ma tendre épouse et moi. Je m'abandonnais dans une émotion qui avait chargé comme un taureau et l'impact fut douloureux. À l'intérieur, mon corps a commencé à émettre cette étrange musique. J'étais comme envahi par une symphonie d'aversions saturée à l'extrême.
Le mépris dirigea mes actions et déguisa ma folie meurtrière dans un formidable pouvoir. J'endossai alors le rôle de victime à la perfection et portai les coups psychologiques les plus violents à ce pauvre type. J'avais décelé dès le départ qu'il était faible et incapable de prendre le dessus. Il me fallait donc habilement le faire plonger dans sa faute jusqu'à ce qu'il abdique définitivement. Jusqu'à ce qu'il meurt de regrets.
L'idée ne m'a pas effrayé. Ce n'est pas moi qui vais le tuer, c'est la culpabilité. La haine dirigea complétement mes pensées et elle prit vite l'ascendant. Elle demandait justice et réparation d'une façon ou d'une autre, rapidement.
Je me maitrisai donc et, à grand renfort de pleurs, de sanglots exagérés, jusqu'à en oublier ma propre peine, je jouai le veuf dont la vie n'avait maintenant plus de sens. J'étouffai mon véritable chagrin pour laisser place à une tristesse surjouée, mais sensiblement efficace. Dans ce jeu morbide, j'écrivai gras en veillant à diriger ce flot de faux-semblants droit dans la conscience de ma victime.
Ce fut plus facile que prévu. Plus rapide.
L'homme m'a quitté, le jour où j'ai invectivé contre lui. Je l'ai suivi du regard pendant quelques minutes. Il s'est arrêté. Il est revenu sur ses pas de quelques mètres.
Il a enjambé la rambarde et m'a regardé.
En dessous, l'autoroute.
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