Chapitre 1

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- Miss McAllister ! s'exclama une voix parmi celle des élèves qui remplissaient le couloir. Miss !
- Monsieur Loyle ? répondit une jeune femme, au regard émeraude et terne. 
- Vous n'avez pas oublié que demain soir c'est le bal de l'école ?
- Non, je n'ai pas oublié. Je serai présente, ne vous inquiétez pas.
- Bien ! s'exclama l'homme au crâne dégarnis, les cheveux poivre et sel recouvrant la moitié basse de sa tête.

Il remonta ses grosses lunettes, faisant luire son regard sur le corps mince de la jeune enseignante qui s'inclina élégamment avant de reprendre son chemin en direction de sa classe. 

Dans le déluge d'enfants enjoués ou boudeurs qui s'écriaient à travers les couloirs tout un tas de phrases qui n'avaient, pour la plus part, aucun sens. Seuls les cris rendaient l'endroit agréable et joyeux.

- Retournez tous à vos classes ! s'exclama la jeune femme, tentant de passer à travers les élèves.
- Miss ! Vous allez nous apprendre quoi aujourd'hui ?
- Vous verrez, c'est une surprise.

Les enfants la pressèrent, mais la jeune enseignante garda le silence, préférant sourire à ses élèves qui sautillaient tout autour d'elle pour en savoir plus.

Elle aimait beaucoup ses élèves, travailler avec les plus jeunes lui permettait de leur apprendre tant de choses. Leur curiosité naturelle à vouloir en savoir plus quand le sujet les captivaient, était si appréciable pour elle. Une fois la porte de la salle fermé, elle attendit que tous se soient installés à leurs petits bureaux avant d'annoncer :

- Nous allons regarder un film !
- Ouais ! s'écrièrent-ils tous.
- Miss, c'est quoi comme film ? demanda une petite au premier rang.
- C'est un film sur une romance entre un chevalier irlandais et une princesse mystérieuse. Rassurez-vous jeunes gens, dit-elle en souriant face aux moues des petits garçons. Il y aura de quoi vous contenter dans ce film.
- Il y aura des dragons ? 
- Des chevaliers qui se battent avec des épées ? 
- Du sang ?

Les petits étaient si excités que la jeune femme se mit à rire. Du moins, jusqu'à ce que la porte s'ouvre en grand sur Monsieur Loyle peu content du bruit.

- Je peux savoir ce qu'il ce passe ici ? Pourquoi vous n'avez pas commencé votre cours Miss McAllister ?!

L'homme s'exclamait encore plus fort qu'un bébé affamé.

- Nous venons à peine de rentrer dans la classe. répondit-elle en souriant, évitant ainsi à ses élèves de se faire réprimander ou bien de lui dire ce qu'elle leur avait réservé.
- Je compte sur vous pour garder votre classe attentive et silencieuse ! s'exclama t-il en fermant violemment la porte, faisant sursauter les petits déjà pétrifiés.

- Tout va bien, dit-elle en venant au milieu de sa classe pour tenter de calmer ceux qui pleuraient déjà, effrayés par l'homme irrité. Tout va bien, vous êtes tous et toutes très courageux. Comme les chevaliers qu'on va regarder.
- Les chevaliers aussi pleurent ?
- Bien sûr ! s'exclama t-elle. Pleurer est humain, mais ne pas le montrer ne signifie pas qu'on ne l'est pas non plus.

Elle se dirigea vers son pupitre et leur dit :

- Un chevalier est un guerrier valeureux, comme les vikings et les bersekers des montagnes. Tous les soldats sont des hommes et des femmes qui sont forts, puissants. Des tacticiens capable de préparer une guerre et de les remporter comme de les perdre.
- Mais si ils les perdent...
- Siméon, les guerres ne peuvent pas être toutes gagnées. le coupa la jeune femme. Mais nous sommes tous humains. Pleurer fait partie des émotions que l'on peut avoir, comme la peur, la joie, l'amour etc...
- Les chevaliers aussi peuvent tomber amoureux ? tenta une petite fille, les joues rosies par l'audace de sa question.
- Bien sûr ! Mais à leur époque, on leur a apprit à ne pas le montrer.
- Pourquoi miss ?

La jeune femme se lança alors dans un exposé sur les émotions et les chevaliers d'un temps révolu mais dont la trace restait sur la fresque du temps. 

Elle leur mit le film et durant toute l'heure que dura ce dernier, elle fut assaillit de questions en tout genre. Ses élèves étaient si curieux et affamés de savoir qu'elle ne pouvait qu'être heureuse. 

Mais quand sa journée de cours toucha à sa fin, son visage redevint terne. Son beau regard émeraude perdit à nouveau de son éclat. Elle n'était plus qu'une poupée désarticulée qui avançait sans penser par elle-même ni réfléchir à ce qu'elle faisait. 

Elle monta dans le bus qui la ramenait chez elle, dans cette maison de l'enfer qui ne faisait que lui saquer ses forces et son énergie. Vivre dans cette maison était comme vivre dans une cuve remplie d'eau froide et sombre de laquelle on tentait de s'extirper mais dont le niveau continuait de monter à mesure qu'on se débattait, pour finalement nous engloutir et nous couper la respiration jusqu'à suffocation.

La jeune femme se savait condamnée quoi qu'il en soit.  Durant le trajet, elle regarda défiler le paysage de la vie sous la pluie et laissa son esprit vagabonder dans une imagination débordante. Elle se souvent alors d'une histoire qu'elle avait écrite quand elle devait avoir dix ou onze ans. Cette histoire que son jeune frère avait décidé de brûler deux ans plus tard quand il l'avait découvert, cachée sous l'oreiller. Dieu qu'elle avait pleuré ce jour-là, hurlé qu'on la lui rende, qu'on ne détruise pas son monde, elle avait même pleuré le nom de son personnage préféré qui n'était pourtant pas le personnage principal de celle-ci. Elle avait tenté de réécrire, encore et encore après ça, mais tout avait disparu : son envie, sa motivation… jusqu'à son propre cœur. Tout avait péri dans les flammes de ce jour-là où Caleight, son jeune frère, avait brûlé ses espoirs dans le feu en pleins milieu du jardin.

Caleight était de deux ans plus jeune que la jeune femme. Quand ils étaient petits, il l'avait poussé dans la rue, prétextant avoir eu du mal à marcher, jusqu'à ce que la jeune femme ne soit percutée et ne soit envoyée aux urgences. C'est à partir de cet instant qu'elle eut l'idée de créer un monde utopique dans lequel elle pouvait s'évader durant sa convalescence. Mais le rêve pris fin brutalement, laissant en miette son cœur et son désir de fuir.

Cette famille ne la trouvait ni attirante, ni utile pour leurs besoins de reconnaissances, d'argent et de pouvoirs. Au XXIe siècle, le pouvoir attirait toujours autant les gens, l'argent motivait les esprits détraqués, donnant des désirs de hauteurs jusqu'à ce que la chute soit dure et que les victimes collatérales ne soient nombreuses.

Elle en faisait partie, rien de ce qu'elle pouvait proposer ou choisir dans sa vie, ne satisferait sa famille. Alors, doucement, elle se laissa périr, tomber dans un cercle toxique qui ne pouvait plus la sauver.

Alors que la campagne se montrait à elle, à travers les vitres du bus, elle repensa à cet homme sombre qu'elle avait créé mais dont elle n'avait plus réussi à redessiner les traits. Il lui avait pourtant sauvé la vie plus d'une fois dans cette histoire, mais Caleight avait tout ruiné, lui faisant perdre ce désir de retrouver cet homme imaginaire qui avait fait battre son cœur.

- On est arrivé ma p'tite dame ! s'exclama le chauffeur en s'arrêtant devant un abris bus.
- Merci Monsieur, répondit-elle, reprenant ses esprits.

Elle quitta le bus et le regarda repartir sous la pluie et le ciel sombre et orageux.

Elle marcha vers sa maison et entra.

- Je suis rentrée, annonça t-elle, mais qui l'entendrait de toute façon ?

Personne. 

Pourtant, elle entendit des bruits de couverts qui tintaient dans la cuisine. Ils étaient déjà à
table ? Mais elle n'avait pas le cœur à les rejoindre, elle voulait juste s'allonger dans son lit et se laisser happer par une nuit d'horreur et de cauchemar. Elle y était habituée depuis tant d'années qu'elle se prenait à les attendre voire à les désirer.

Prenez moi ! s'était-elle écriée une nuit d'orage. Prenez ma vie ! Retirez moi à ce monde ! Engloutissez moi ! Je veux disparaître !

Mais personne ne l'avait écouté, elle qui n'avait eu que treize ans cette nuit-là.

- Tiens, t'es rentrée, fit une voix tout proche, alors qu'elle entamait les marches de l'escalier.
- Bonsoir, répondit la jeune femme. Je vais me coucher, je suis épuisée.
- On ne veut pas te voir de toute façon.

Pas de bonne nuit, ni de mots de politesse, aucun ton avenant, rien. Qu'attendait-elle ? Plus rien. Elle n'avait rien attendu non plus, depuis longtemps elle avait cessé d'attendre ou de désirer quoi que ce soit. Un mot ou une attention, elle n'en rêvait plus.

Elle alla dans sa chambre, pris une douche et se mit en chemise de nuit avant de se laisser aller sur son lit.

Épuisée, elle se laissa aller à ce monde noir de cauchemars qui attendait son retour avec impatience. 

Mais de ce rêve là, elle ne s'en réveillera pas.

[…]

- Debout ! entendit-elle crier à son oreille, raisonnant dans toute la pièce qui lui semblait bien plus froide encore que sa propre chambre.

Quelqu'un avait-il ouvert la fenêtre pour la tuer d'hypothermie ? Les connaissant c'était fort probable. Pourtant l'eau glacée qu'on lui jeta dessus brisa ses forces de manières bien plus rudes encore.

Elle ouvrit enfin les yeux et découvrit des barreaux en fer, rouillés. Où était-elle ? Elle ne reconnaissait pas les lieux, ça ne pouvait pas être sa chambre, ni cette pièce cachée dans le sous-sol de la maison. Non, elle n'était pas chez elle.

La jeune femme leva ses mains pour regarder, ce n'était pas les siennes non plus ! Mais... 

- Où est-ce que je suis ? demanda t-elle dans un moment de panique.

La femme qui la dévisagea ressemblait à une de ces servantes de vieux châteaux dans les temps anciens. Habillée d'une robe grise et d'un tablier, elle portait à sa taille une ceinture comportant plusieurs objets.

- Tu oses faire l'ignorante après ce que tu as fait à Lady Tella ?!

Lady Tella ? 

Pourquoi ce nom lui disait vaguement quelque chose ? Mais à quoi rimait tout ceci ? Elle détailla sa tenue qui ressemblait à celle de la femme. 

- Qu'est-ce que je fais là ? souffla t-elle.
- Non, mais on croirait rêver ! souffla la femme très en colère. Tu as osé te mettre sur le chemin de Lady Tella Karring alors que le Duc est venu pour la demander en mariage !

Karring ?

Elle se figea d'un coup, pris par le tonnerre qui grondait à l'extérieur. Non, cela ne se pouvait ! Elle ne pouvait pas être dans ce monde qui avait disparu, détruit il y a des années ! Non !

Elle devait fermer les yeux, prendre une bonne respiration, mais fut interrompu par la femme qui lui lança :

- Tu seras exécutée demain devant le Royaume d'Elibel.

Non ! s'exclama t-elle pour elle-même. Ce n'était pas possible ! Cette histoire ! 

Elle savait comment elle allait se passer car c'était celle qu'elle avait créé des années en 
arrières : "L'âme de la Pieuse".

La jeune femme resta figée, effrayée, elle savait ce qui allait arriver, mais ce n'était pas possible que cette histoire ait put tourner ainsi. Quelque chose n'allait pas, car aussi loin que ses souvenirs la portaient, elle n'avait jamais écrit une scène pareille. Elle se rappelait d'une exécution qui marquait le début de l'histoire entre Tella Magnus Karring, la fille du Conte de Karring et le premier fils de la famille Royale. Mais… Tella sauvait cette pauvre âme, ce qui lui avait valut le titre de "Pieuse" pourtant elle n'était pas à l'origine de cette exécution ! Pourquoi ?

Soudain, elle se redressa : Le Duc !

Si elle avait intégré son propre monde, créé pendant ses jours à l'hôpital, alors Nohakyr faisait partie de cette histoire ! Elle devait lui parler ! Il fallait qu'il la sauve ! Elle avait été amoureuse de son personnage même si il n'était qu'un secondaire ! Elle devait lui parler.

- Excusez-moi ! s'écria t-elle, se précipitant sur les barreaux. Le Duc Lightstrake ! Je… Je dois lui par-ler !

La femme la dévisagea surprise, mais quitta les lieux sans plus lui adresser le moindre mot. Allait-elle passer sa demande aux soldats ou même au Roi ? Elle ne savait pas, mais se mit à prier. Elle allait mourir de toute façon, qu'avait-elle à perdre ? Plus rien, tout comme rien ne l'attendait de l'autre côté du miroir.

Elle tourna la tête pour voir, à travers la meurtrière, le ciel sombre et orageux. 

- Il pleut, comme ce jour-là. dit-elle, assise par terre, absorbée par la douleur et la lassitude.

Elle voulait juste dormir et ne plus se réveiller du tout. La mort serait-elle plus douce ? Sûrement pas, rien ne l'avait été avec elle.

La jeune femme ramena ses genoux contre sa poitrine et y cacha son visage. Plus rien avait de sens pour elle, pourquoi était-elle là ? Venait-elle de mourir pour périr ensuite ici  ? Ce monde qu'elle avait créé, elle ne le connaissait plus.

Mais Il devait être capable de pouvoir l'entendre et de la sauver. Avait-elle seulement envie de
l'être ?

- Nohakyr… souffla t-elle avant de sombrer à nouveau.

Demain serai définitivement le dernier jour de son existence. sans aucun retour possible, dans aucune vie ni aucun monde.

***

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