La légende de la nymphe et du bucheron.
Perdu au milieu d’une immense forêt de Finlande habitait un bûcheron du nom de Usko. Il vivait modestement dans une petite cabine de rondins fabriquée par ses soins au bord d’une rivière. Il gagnait son pain en coupant et en vendant au village voisin le bois qu’il ramassait. Pendant son temps libre, il s'adonnait avec passion à la sculpture. Avec son vieux couteau, il passait des heures le soir au coin du feu à tailler des animaux ou des personnages imaginaires dans de petits morceaux de bois. Usko aimait la nature qui l’entourait, bien plus qu’il n’appréciait la présence de ses semblables.
Un matin, alors qu’il était parti pêcher sur le cours d’eau voisin, il aperçut une créature étrange à l’allure féminine qui nageait avec aisance. Il s'agissait d'une nymphe des rivières.
Celle-ci le scruta prudemment de ses grands yeux d’un bleu profond et lorsque leurs regards se croisèrent, Usko sentit son cœur battre la chamade et sa peau devenir moite. Vraisemblablement touchée par sa réaction, l'irréelle créature lui sourit. Mais lorsqu'il tendit la main pour la toucher, elle plongea pour disparaitre dans les profondeurs.
Abasourdi tant par cette rencontre que par la beauté de l'apparition, Usko s’empressa d’attraper un morceau de bois pour y sculpter son magnifique visage. Le cœur battant de peur d’oublier cette vision merveilleuse, il tailla une réplique parfaite de la nymphe.
Les jours passèrent sans que Usko puisse oublier celle qui faisait désormais battre son cœur autrefois si solitaire. Espérant l'apercevoir une fois encore, il se rendit inlassablement au bord de la rivière, à l’endroit exact de leur première rencontre. Mais la fantastique apparition semblait s'être évaporée pour toujours.
Dans un geste de deuil, le malheureux déposa l’une des nombreuses sculptures qu’il avait faites d’elle sur un rocher à proximité.
Plus tard, lors d’un passage au village pour vendre son bois, Usko passa à la taverne boire un verre et entendre les dernières nouvelles du monde. Il s’attabla avec un groupe de quatre hommes qu’il connaissait quelque peu et leur raconta son histoire. Tous lui rirent au nez, le traitant de vieux fou et insinuant que son isolement dans la forêt l’avait aliéné. Il tenta par tous les moyens de les convaincre de la véracité de ses propos, en vain.
Après avoir regagné sa modeste cabine, Usko se demanda s'ils n’avaient pas raison. La solitude et le manque d’interactions avec ses semblables avaient peut-être réellement insinué cette vision chimérique dans son esprit. L'esprit embrouillé par cette réflexion et le cœur lourd à l’idée de ne jamais revoir celle qui le hantait, le triste bucheron alla se coucher.
Au petit matin, un chant mélodieux et irréel le tira des bras de Morphée. Ouvrant fébrilement la petite fenêtre de sa cabane, il découvrit la nymphe assise au bord de la rivière, peignant délicatement ses longs cheveux verts. Sans même prendre le temps d’enfiler son pantalon ou ses chaussures, Usko sortit en trombe et courut vers la créature pour admirer sa beauté, une fois encore. Il se figea en apercevant entre les mains de l'apparition, la sculpture qu'il avait réalisée d'elle.
Doucement, elle se tourna vers lui, souriante, puis embrassa ses mains pour lui darder son baiser telle une flèche en plein cœur. Usko ferma les yeux, foudroyé par leur amour naissant.
Lorsqu’il les rouvrit, elle avait à nouveau disparu. Ses yeux se remplissant de larmes, il se jeta dans la rivière pour tenter de rejoindre celle qui avait volé son cœur. Mais le fort courant le ballotta en tous sens, si bien que sa liquette se coinça dans une branche immergée, le retenant sous la surface. L’air venant à lui manquer, il sentit son corps se raidir tandis que la vie le quittait inexorablement.
Soudain, la nymphe reparut des profondeurs houleuses de la rivière. Affolée, elle plongea sur le pauvre homme pour tenter de le délivrer, mais voyant qu’elle n'y parviendrait pas à temps, elle remonta à la surface prendre une grande inspiration. Dans un baiser, elle offrit l'air de ses poumons à Usko. Malheureusement, ce dernier ne bougeait plus, son corps inerte ballotté par l’impétuosité de la rivière.
Dans un dernier effort désespéré, la nymphe parvint à le dégager et le ramena rapidement à la surface, puis déposa son corps sans vie sur la berge. Les larmes inondèrent ses joues lorsque, dans un dernier élan désespéré, elle frappa de toutes ses forces la poitrine du pauvre bucheron, faisant jaillir de l’eau hors de sa bouche violacée. Usko toussa violemment en recrachant le liquide, tentant de reprendre son souffle à gorge déployé.
Voyant son bien-aimé transit de froid, La nymphe s’allongea de tout son long contre son corps pour lui transmettre sa chaleur. Lorsqu’il reprit ses esprits, il passa ses bras autour d’elle, l'enlaçant dans une étreinte qu'il aurait souhaitée éternelle. Il était sauf.
À son réveil, il était allongé seul au bord de la rivière. Ses vêtements étaient encore mouillés, mais il n’avait plus froid. Il se redressa tant bien que mal et s’assit sur le sol rocailleux, cherchant du regard sa dulcinée. Dans un remous fantastique, elle jaillit hors de l’eau et se jeta dans ses bras, déposant un tendre baiser sur ses lèvres.
Brusquement, les quatre hommes à qui Usko avait raconté son histoire surgirent de nulle part et se jetèrent sur eux, lui arrachant sa bien-aimée des bras. Deux d’entre eux le retinrent tandis qu’il se débattait. Un autre hurla au blasphème, qualifiant la nymphe de monstre puis l’attacha sans ménagement avec une corde. Aveuglé par la colère, Usko sentit un coup dans sa nuque. Sa vision se brouilla tandis qu’il tombait inconscient.
Lorsqu’il reprit connaissance, ses assaillants avaient attaché sa dulcinée à un arbre et s’apprêtaient à y mettre le feu. Dans un accès de rage d’une férocité animale, Usko attrapa une bûche qui traînait là puis frappa si fort le crâne d’un des hommes qu’il se fendit dans une explosion de sang et de cervelle. L’un après l’autre, il les exécuta avec tant de fureur que leurs corps se retrouvèrent en morceaux, éparpillés autour de lui.
Le visage et les mains dégoulinant du sang de ses assaillants, il parvint à retrouver un semblant de lucidité et courut détacher la nymphe. Son corps couvert d’ecchymoses trahissait la violence avec laquelle ses assaillants l’avaient battue. Usko la porta jusqu’à la rivière et la déposa dans l’eau en une vaine tentative pour la ranimer. Il était trop tard. Il déchira le silence de la forêt d'un hurlement de souffrance et de tristesse en serrant dans ses bras la dépouille sans vie.
Anéanti, il sortit doucement de l’eau en emportant le corps de sa dulcinée puis, dans une petite clairière non loin de là, l’allongea sur l’herbe avant de se recroqueviller à ses côtés. Il caressa ses longs cheveux, déposa un dernier tendre baiser sur ses lèvres et en la serrant de toutes ses forces contre lui, se laissa mourir, emporté par un chagrin infini.
Depuis, les habitants racontent qu’à l’endroit où les deux amants se sont figés dans l’éternité, pousse un arbre aux fleurs d’un bleu profond et dont l’écorce noueuse rappelle deux corps entrelacés.
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